Alors. Je n’ai sans doute pas le droit d’écrire ce billet. Je n’ai sans doute pas le droit de l’écrire, ni même d’y penser ou d’en faire un pastel gras, puisque, voyez-vous, je n’ai jamais expulsé la chair de ma chair.
Oh, il m’est certes un jour arrivé d’expulser un gaz, un cri, un rébus de pauvre ou une mordée de burger propulsée par le souverain bénéfice d’une franche poussée de Heimlich, mais jamais, à ma connaissance, un enfant ne fut tiré de ma panse. Ça viendra. Peut-être.
En attendant ce jour où une créature héritera de ma myopie sévère et mon ensorcelante motricité sourcilière, je ne puis que tenter de saisir l’immensité du contrat que l’on signe, méconium au chemisier, le jour où un petit être nous chamboule le cœur et le décor.
Quel grand jour ce doit être, que de créer un humain. Une petite personne qui, un beau soir, retontira dans le salon en moonwalkant en pieds de bas sur du Michael. Le vertige.
Je n’ai peut-être pas d’enfant, mais je suis fière tatie. Fière gardienne. Fière amie et fière témoin de dizaines de petites mains potelées qui sacrent leur yogourt en bas de la chaise haute en me défiant de leurs gencives pas-de-chicklets. Fière attendrie. Je ne suis pas Fierro… l’été des secrets, MAIS C’EST TOUT JUSTE.
Et ces enfants, petits verrats comme fraisinettes, je les aime tendrement. Je ne ramasse peut-être pas leur pisse autour de la bolle, mais je crois – JE CROIS – saisir, ne serait-ce qu’au quart du tiers de l’infiniment petit, la réalité d’un parent. Je crois (j’ai tout de même vu Treize à la douzaine).
Et c’est en discutant avec une copine enseignante, hier (le jeudi soir, je discute avec des copines pour me fueler la chronique au prix du gros), que j’ai eu envie de risquer vie et scalp en m’adressant aux parents.
Du moins, à CES parents.
CES parents qui, chaque matin, viennent reconduire l’héritier de leur splendeur à la petite école (la meilleure). Le chérubin baigné du privilège d’avoir, un jour, glissé le long d’une flore nourrie aux grains sterling et qui, qu’importe la bise, accomplira de grandes choses. C’est sûr. Il a marché avant l’âge. Maintes fois fleurté avec Tchekhov. Il maîtrise le pas-de-bourrée et connaît ses cépages. Bon; il ne sait pas attacher ses shorts, se sacre au pied de son pupitre au moindre désagrément et se chie dessus quand c’est pas lui qui est désigné pour nourrir la gerbille, mais vous savez, il n’a pas de problème. Il a du caractère. Il a six ans, bientôt trente.
CES parents. Ces parents de marde, ils existent.
Et cette copine, qui devra non seulement bientôt se coltiner – entre autres choses – une augmentation de sa charge de travail, des budgets sabrés, des ressources déjà vacillantes et dans lesquelles on coupera malgré tout d’un élégant coup de mousquet (avec mesures disciplinaires si elle a la hardiesse de rouspéter et de ne pas docilement porter son macaron protestataire en silence), mais surtout, et celui-là me fait pouffer dans mon puff aux fruits, encore plus d’élèves dans sa classe déjà pleine à craquer de tout-petits qui se vissent chaque matin la casquette sur la noix pour apprendre à lire, à écrire et à devenir de bonnes pousses d’êtres humains parmi les p’tits vites, les pas sûrs, les troubles d’apprentissage, les TED et les écorchés, eh bien, cette copine elle doit AUSSI vous gérer.
Gérer le petit Louis-Paul, qui s’absente pour la quatrième fois ce mois-ci, parce qu’il a dû vous suivre dans cette formidable retraite de yoga que tout le monde devrait essayer pour une détente optimale du trapèze et du pore.
Gérer ce petit bougre de Valère, qui a volé les Werther’s Original dans le sac de la maîtresse et qui, le matin suivant, lui présente ce parchemin serti de votre plus belle colère en lettres cursives, où l’on insulte l’enseignante sur la pauvreté de ses goûts en matière de friandises et célèbre plutôt la motricité fine de son rejeton qui vivra peut-être, à cause d’elle, les périls de la carie.
Gérer la petite Sandrine, qui ne fait toujours pas ses devoirs, mais que l’enseignante n’a, sweet baby Jesus, donc pas intérêt à priver de récréation, parce que votre enfant, VOTRE CHAIR, on ne prive pas ça de récréation. Votre chair mérite le meilleur. Le ruban doré. Le collant doux pour le simple miracle d’avoir un jour été conçue.
Gérer votre incapacité à faire face au fait que le petit Richard IV démontre tous les signes d’un trouble envahissant du développement, un trouble qui, hélas, nuit à votre planning de cocktails et de petits fours. Un trouble qu’il serait gré à sa petite mademoiselle de professeure d’effacer d’une gomme magique, parce que ça jure dans la lignée. Une professeure qui, au bout de douze approches pavées de délicatesse, de rencontres vaines et d’adroits conseils en temps sup’ à vous rassurer le pedigree, doit s’abaisser à vous suggérer de faire les tests nécessaires pour vérifier si Richard IV NE SERAIT PAS PLUTÔT SURDOUÉ, pour vous épargner la fierté et s’assurer que Rich’, bout de ciarge, ait l’aide dont il a tant besoin. Les avions que l’on nolise en cas de surdouance, je vous dis pas.
Et cette formidable requête STAT pour que la petite Suzanne-Élizabeth puisse, au gré de son vouloir, se lever de sa chaise au beau milieu de la dictée pour fesser dans le mur à répétition, parce qu’à la maison, vous savez, c’est ce qui la calme. On a même aménagé un espace de fessage, entre les Fabergé et le Renoir. Une panacée.
MON enfant. MA semence. MES BESOINS.
Il n’existe certes ni guide ni manuel pour élever un enfant. On apprend sur le tas et on en ramasse. Votre petit De Vinci n’a pas inventé les springs après les sauterelles? So what. Il ne demande pas à peindre votre fresque.
Laissez-le apprendre à tenir un pinceau et pour l’amour, mettez de l’eau dans votre tabarli de kir. Vous ralentissez le groupe.
La bise.
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Pour lire un autre texte de Catherine Ethier : Guylaine Tremblay va bien.