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Rafting en Gaspésie : récit d’une descente houleuse
Lors du très court printemps gaspésien débutant fin avril, les périodes de grande crue réussissent à transformer les rivières en merveilleux terrains de jeu pour les amateurs et amatrices d’eau vive. Ainsi, avec la fonte des neiges, une mince fenêtre s’ouvre pour l’essai d’une activité thrillante : le rafting.
En effet, le débit de la rivière York, coulant des monts Chic-Chocs jusque dans la baie de Gaspé, grimpe de jour en jour jusqu’à atteindre 130 mètres, voire 140 mètres cubes, alors qu’en moyenne, elle stagne à 13 mètres cubes. Si vous n’êtes pas un.e expert.e dans le sujet, ça peut paraître abstrait comme données, mais c’est vraiment un énorme changement dans le débit d’eau. Pour vous donner une idée, une partie de la rivière est fermée aux touristes pour des raisons de sécurité durant cette période…
Par conséquent, durant le mois de mai seulement, la rivière est prise d’assaut par les embarcations pneumatiques dirigées par des pros. Vers la mi-juin déjà, le débit devient trop calme pour que l’activité puisse apporter l’adrénaline souhaitée.
Sans hésiter, j’ai attendu le moment où le cours d’eau se déchaîne le plus violemment pour affronter le torrent au nom du droit à l’information (et pour le gros trip).
En guerre contre les rapides de la rivière
Lorsque je parle de ma virginité du rafting à mes ami.es gaspésien.nes (la plupart des crinqué.es de plein air qui déshydratent leur nourriture pour souper « seulement pour le fun »), ils et elles m’avertissent que l’intensité sera définitivement au rendez-vous. Depuis une semaine, ils et elles font leur cours de rafting et constatent que le niveau d’eau grimpe dangereusement vite. J’ai beau avoir l’eau à la bouche à l’idée d’essayer ce sport, n’empêche, je suis nerveux.
« Tu vas voir, malgré le danger, le rafting te force à entrer en forte harmonie avec la rivière », tente de me rassurer une étudiante dans le programme en Tourisme d’aventure. Hum… En constatant la violence de la rivière, je doute que cette escapade me permettra de rencontrer mon animal totem tout en m’apportant la zénitude promise…
J’attaque plutôt la rivière dans un état d’esprit belliqueux, prêt à la braver avec une attitude de combattant rappelant celle des soldats alliés voulant libérer la Normandie en bateau dans l’ouverture du film Il faut sauver le soldat Ryan.
La haute rivière étant fermée, nous descendons la basse rivière deux fois, soit 7-8 kilomètres au total, équipé.e.s d’un wetsuit ET d’un drysuit (l’eau est à 6 degrés environ). La première fois, c’est assez tumultueux. Nous sommes quatre dans le raft avec un guide derrière qui dirige. On tombe d’ailleurs sur le fondateur de Chic-Chac, l’entreprise récréotouristique campée à Murdochville qui chapeaute l’activité.
Baptisée « Les mâles alphas » (on repassera pour le nom), mon équipe s’élance donc silencieuse et aux aguets pour écouter les ordres du guide, surtout à l’approche des premiers rapides. « EN AVANT! PLUS FORT!» On obéit et on pagaie nos vies dans les rapides, alors que le bateau vacille et passe dangereusement près de chavirer. C’est intense, mais la force de ses ordres nous donne l’énergie de rencontrer les remous avec entrain.
Avec le bruit de la rivière déchaînée et les cris du guide, nous sommes en guerre avec la sensation des vagues. Ce sont les mêmes qui venaient secouer notre fragile embarcation lorsque nous entrions dans les rapides de plein fouet, sans les vomissements et les prières à Dieu.
Or, une fois notre première série de rapides vaincue, on remarque que les deux autres raftings derrière nous disparaissent. Tout le monde se retrouve à l’eau et, constituant l’équipe qui mène la flotte, nous nous retrouvons malgré nous dans une opération de sauvetage. Légèrement stressant, surtout que les directives du guide deviennent beaucoup plus autoritaires qu’auparavant et que son regard commence à dégager un soupçon d’inquiétude. Néanmoins, on assure et personne n’est blessé.
Cette première descente terminée, je quitte avec un goût légèrement amer. J’étais placé à l’avant du bateau, commandant ainsi notre rythme de croisière. J’étais inquiet face à mon coup de pagaie, à savoir si j’étais trop lent ou trop rapide, puisqu’il est primordial que tous les pagayeurs et pagayeuses travaillent de concert.
Ainsi, lors de la deuxième descente, je me place derrière, préférant suivre la cadence plutôt que la diriger. Cette fois, notre synergie est inébranlable, si bien qu’on termine notre parcours en à peine 15 minutes alors que la moyenne est de 35 minutes. Il faut préciser que le débit de la rivière était si élevé que même sur du plat, on pouvait se la couler douce sans pagayer.
J’ai aussi appris de mes erreurs pour ne pas m’épuiser prématurément. Il faut vraiment impliquer tout le corps dans les coups de pagaie, avec les épaules et le tronc même si ça déstabilise légèrement l’équilibre. En n’utilisant que vos bras, vous allez définitivement avoir peu de plaisir.
Si vous voulez vivre cette expérience hors du commun cette année, dépêchez-vous. « Il reste encore deux fins de semaine à la saison puisqu’en bas de ce niveau, les rafts frottent les roches », explique Guillaume Molaison, le fondateur de Chic-Chac.
En raison des rivières qui sont bien protégées pour la pêche au saumon, seules les rivières York et Madeleine (aussi située en Gaspésie) peuvent devenir le théâtre des folies du rafting dans l’Est-du-Québec. Mais si vous leur donnez une chance, vous serez rassasié.e en émotions fortes et en souvenirs inoubliables, c’est garanti.