J’ai passé l’été avec mes p’tits. L’idée même du camp de jour leur levait le cœur et pour la première fois dans ma condition de précaire avec pas de poste au cégep, je pouvais me permettre de les garder avec moi, à tous les jours. J’ai su, pour une rare fois à l’avance, que j’avais de la tâche cet automne, j’avais donc pas à passer mon été à chercher du peut-être travail et à cumuler des contrats à la pige, au cas où.
Premières vacances qui peuvent porter ce nom en huit ans.
On avait beaucoup de temps devant nous, du temps que je voulais slaque question de bien rompre avec la temporalité serrée de l’horaire des 180 jours d’école. Des matins lents, des journées en pyjama, aller à la plage, lire dans le gazon, je nous voyais faire des affaires qui exigent pas trop, dans lesquelles on se coule, que le mou puisse prendre un peu le dessus sur nous.
Aider, participer à sa communauté, se dire qu’on contribue à rendre le monde un peu moins laid.
Je nous ai juste imposé une affaire qui reviendrait à toutes les semaines. Une affaire que je trouve importante, humainement parlant: apprendre à donner de son temps, de soi, de manière désintéressée. Juste parce que c’est la bonne chose à faire. Pour aider, participer à sa communauté, se dire qu’on contribue à rendre le monde un peu moins laid, savoir qu’on peut être un rouage du mieux. Cela fait que. On a passé deux heures par semaine, le mardi matin, dans les locaux de Moisson Estrie, à essentiellement mettre en sacs des petits contenants de confiture ou de vinaigrette ou des rouleaux de papier de toilette. C’est un organisme que j’affectionne particulièrement et avec lequel je travaille déjà en étroite collaboration, tous les printemps, depuis cinq ans, lors du laboratoire pédagogique La Guignolée des cégeps. Me suis dit qu’on pourrait collaborer autrement, à la hauteur de mon six et de mon huit ans.
Je les ai vus s’engager dans un monde loin et autre que le leur.
C’était notre dernière journée, ce mardi. Pis. On y a sincèrement vécu quelque chose de beau. Je peux difficilement quantifier tout ce que les p’tits ont appris. Y devaient trouver des manières de travailler efficacement, de coopérer, d’atteindre les défis qu’on se donnait, parler à des inconnu.e.s, s’en faire des ami.e.s; je les ai vus prendre des initiatives, avoir le goût de tout lâcher, mais se reprendre; on leur a dit qu’ils avaient le droit de se tromper; on les a fait se sentir grands et compétents et importants. Ils savaient qu’ils oeuvraient pour que d’autres puissent manger et je les ai vus visiter l’épicerie de l’organisme avec beaucoup d’humilité, et prendre soin des produits qu’ils manipulaient pour qu’ils soient le plus beaux possible, pour ceux et celles qui allaient les consommer. Je les ai vus s’engager dans un monde loin et autre que le leur. Et en être contents.
On ne peut pas complètement morpher nos enfants à une image qu’on chérit, mais on peut leur donner des outils et des valeurs.
Dans ma parentalité, je me demande souvent quel genre d’humains j’ai le goût de côtoyer et dans quel genre de monde j’ai le goût de vivre, ça me sert un peu de guideline dans mes choix éducatifs. On ne peut pas complètement morpher nos enfants à une image qu’on chérit, mais on peut leur donner des outils, des valeurs, des options et espérer que ça leur convienne. Et je sais que trouver un certain réconfort dans la capacité de donner de soi, reconnaître l’action juste et la mettre en œuvre, apprendre à voir et accepter les vulnérabilités, s’exercer à la sollicitude, on a besoin de ça. On a fucking besoin de ça. Collectivement. Ne pas tolérer l’intolérable. Et, à la mesure de ce que l’on peut, agir pour l’amoindrir.
Je pense que c’est ça, aussi, que je cherche à leur montrer. La pogne qu’on a sur le réel. Ce n’est pas toujours suffisant, mais ça vaut mieux que la conviction d’impuissance qui, elle, paralyse tout. Je les veux meuvant et moteurs, mes p’tits. Capables de voir les trous du monde pour les remplir et y semer des affaires.
Mon p’tit a lâché un «je suis chanceux, moi. J’ai une maison, du manger, des livres…
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On est retournés à la voiture les mains pleines du chocolat que Carlos, celui qui s’occupait de nous chez Moisson, leur a donné avec des high five, pour leurs efforts des dernières semaines. Ils avaient le sourire large, évidemment. On roulait dans le silence des bouches heureuses quand mon p’tit a lâché un «je suis chanceux, moi. J’ai une maison, du manger, des livres, une tablette, mes cartes Pokemon. Faut que je donne un peu parce que je peux». Et là, la mère que je suis a un peu fondu devant son constat de l’équité, du privilège, de sa chance à lui. Et de la mienne, d’avoir une progéniture de même.
Pour lire un autre texte de Véronique Grenier: «Mère seule».
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