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Qui sont ces jeunes adultes qui ne sont ni au travail, ni aux études?

L'école de la vie, ça existe pour vrai.

Par
Zacharie Routhier
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Leyla, 25 ans, ne travaille pas dans le sens classique du terme. Mais elle élève cinq enfants et s’occupe d’une trentaine d’animaux de ferme. Bref, la néo-paysanne est bien loin du stéréotype d’une tourneuse de pouces.

Pourtant, son statut stresse les habitués de l’école-boulot-retraite-sans-jamais-arrêter. Avec 750 000 autres Canadiens, elle est placée dans la catégorie statistique des NEEF, qui englobe tous les jeunes qui ne sont ni en emploi, ni aux études ou en formation.

« Est-ce qu’ils sont dans le sous-sol chez leurs parents ? […] C’est une bombe à retardement qui va nous exploser en plein visage. À 40 ans, ils vont être des dropouts de la société », s’est inquiété le vice-président exécutif du Conseil du travail du Canada, Larry Rousseau.

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On se calme un peu

La tendance n’est pas nouvelle. Même que ça fait depuis la fin des années 1990 que les sociologues l’étudient, et Jacques Hamel, spécialiste de la jeunesse, en fait partie.

« C’est très vague, très flou comme catégorie. On veut dire quoi par ça? »

Son premier constat? « C’est très vague, très flou comme catégorie. On veut dire quoi par ça? », demande-t-il. N’importe qui ayant de 15 à 29 ans et qui n’est pas aux études ni au travail au moment de l’Enquête sur la population active du Canada est considéré comme étant un NEEF.

On s’entend que ça brosse large.

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Prendre une pause pour voir le monde

« Quand on est jeune, notre situation change très rapidement, explique M. Hamel. Aujourd’hui, vous êtes aux études, mais dans six mois, vous aurez peut-être un sac sur le dos, à faire un voyage à l’étranger ». Ce qui veut dire qu’un NEEF peut être seulement en « pause » temporaire. Et de profiter d’un moment d’arrêt pour voyager, c’est un phénomène qui est de plus en plus populaire.

L’idée a notamment séduit Daphnée et son chum, jeunes dans la vingtaine ayant décidé de mettre les breaks sur leur vie académique, histoire d’expérimenter une autre liberté que celle squeezée entre les devoirs et les obligations. Ils sont sur la route depuis septembre, notamment en Asie, en Europe et en Australie.

« Nous ne croyons pas qu’une carrière d’universitaire nous aidera à atteindre nos envies. »

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Prendre conscience de l’ampleur du monde, ça leur a permis de trouver leur place. Ou du moins, de prendre un pas de recul. « Nous ne croyons pas qu’une carrière d’universitaire nous aidera à atteindre nos envies », explique Daphnée. Ils souhaitent plutôt mener une vie flexible comme travailleurs autonomes.

En quoi, exactement? « On verra, on n’est pas stressé et de toute façon on a la vie devant nous », dit-elle.

Valoriser les apprentissages alternatifs

Il y a aussi des NEEF qui se placent en marge de la société à plus long terme. Des jeunes qui trouvent que le marché du travail ne correspond pas à leurs aspirations. « Il y a plein de cas de figure qui sont positifs », nuance le professeur. On parle de jeunes qui restent à la maison pour s’occuper des enfants. Ou qui s’investissent beaucoup dans des activités citoyennes, cumulant des jobines à droite et à gauche.

Comme Leyla, mentionnée plus tôt, qui vit sur sa terre reculée, à Saint-Luc-de-Bellechasse. « Même le facteur, quand il vient chez nous, il dit… ouain. T’es loin », dit-elle en riant.

Puisqu’elle a la garde totale de ses enfants et aucun revenu, elle vit actuellement sur ses allocations familiales. Pour ce faire, économiser, réutiliser et tendre vers l’autonomie alimentaire sont ses trois objectifs. Et ça, c’est un terreau fertile d’apprentissages, qu’elle partage avec ses enfants. Elle donne l’exemple du foin, un truc anodin pour les citadins. Mais quand on a essentiellement une ferme à s’occuper, trouver le bon foin relève de l’aventure !

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« On a des chevaux, des vaches, des chèvres, des poules des cailles, des chats, un cochon, des lapins… veut ou veut pas, c’est quand même plusieurs heures de travail par jour, et les enfants s’y impliquent à fond », raconte Leyla.

On aurait tous voulu avoir des animaux à coller comme les enfants de Leyla quand on était petit. Et même encore aujourd’hui.
On aurait tous voulu avoir des animaux à coller comme les enfants de Leyla quand on était petit. Et même encore aujourd’hui.

Changement de paradigme

Le travail dans sa forme traditionnelle, explique M. Hamel, semble avoir moins de valeur qu’autrefois aux yeux des jeunes. « Avant, on finissait nos études, on était tout de suite intégré au marché du travail, on formait un couple stable, on avait des enfants, on s’achetait une maison en banlieue… ce modèle-là, il s’effrite depuis une quarantaine d’années », note-t-il.

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Mais il y a aussi le fait que le marché de l’emploi est plus flexible, un euphémisme pour dire plus précaire. « Il ne faut pas s’étonner qu’il y a des jeunes qui sont ni à l’emploi, ni aux études, ni en formation, car ils sont à un moment où ils ne peuvent pas être actifs, du fait que l’emploi est devenu précaire. Que lorsqu’on travaille à contrat, on est inactif entre deux contrats. »

C’est le cas de Marc*, 29 ans, qui fait des inventaires et des rapports de caractérisation écologiques, en plus d’avoir longtemps travaillé en aménagement paysager. Selon lui, il s’agit de milieux de travail difficiles, où les employés vivent généralement de contrat en contrat.

« Souvent, j’étais engagé pendant quelques mois comme salarié, puis après, j’avais un moment d’inactivité, un peu de chômage, puis je travaillais ensuite comme travailleur autonome », raconte-t-il. Et selon son expérience, les jobs à l’extérieur amènent souvent ce genre de pattern.

Même qu’il a parfois dû faire le choix de ne pas déclarer son salaire au gouvernement afin de pouvoir joindre les deux bouts. Donc même en situation d’emploi, il était parfois considéré comme un NEEF.

« Tu travailles au noir parce que c’est ce que tes employeurs t’offrent, ou alors parce qu’en tant que travailleur autonome, tu ne fais pas suffisamment d’argent pour survivre autrement. »

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« Tu travailles au noir parce que c’est ce que tes employeurs t’offrent, ou alors parce qu’en tant que travailleur autonome, tu ne fais pas suffisamment d’argent pour survivre autrement », témoigne Marc. Et ce genre de situation, on le voit de plus en plus avec l’émergence de la gig economy.

750 000 profils différents

Alors pour répondre à la question de ce bon Larry, non, il n’y a pas 750 000 Canadiennes et Canadiens en train de se tourner les pouces dans le sous-sol de leurs parents. Quelques-uns, peut-être. D’autres subissent malheureusement les contrecoups d’un marché de l’emploi qui peut se montrer difficile. Et certains, aussi, créent l’extraordinaire!

Le professeur Hamel rappelle que le Conseil supérieur de l’éducation s’est déjà penché sur la difficulté de reconnaître les acquis qui ne sont pas de nature académique ou professionnelle comme capital social.

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« Ça, c’est un peu une patate chaude. On se demandait s’il ne fallait pas donner un revenu minimum d’insertion aux individus qui ne sont pas en emploi classique, mais qui se livrent à des activités qui méritent une rétribution », raconte celui qui a participé aux discussions.

Chose certaine : ce n’est pas en réduisant la jeunesse à une gang de tourneux de pouces qu’on trouvera la solution!