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Qui rêve de devenir enseignant?
L’autrice de ce texte enseigne le français au secondaire avec passion depuis un peu plus de dix ans.
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Le mois d’août tire à sa fin. Mes dernières journées de vacances sont marquées, comme toujours, par un rituel que mes collègues enseignants connaissent bien : les « cauchemars d’enseignement ». Chaque été, on en rit; c’est à qui réussira l’exploit de faire son premier cauchemar le plus tard possible dans l’été!
Permettez-moi une petite parenthèse pour vous expliquer cette délicieuse tradition. L’anxiété pré-rentrée se manifeste chez beaucoup d’enseignants par des rêves récurrents où toutes les catastrophes nous tombent dessus : on se retrouve en classe sans nos pantalons, on imagine arriver en retard dans un local peuplé d’élèves qui grimpent sur les murs, on se voit courir dans des labyrinthes de couloirs infinis… On devrait étudier le phénomène, c’est tellement répandu !
Du cauchemar à la réalité
Mais cette année, c’est dans un cauchemar bien réel qu’on se trouve. Il manque un peu moins de 9 000 enseignants au Québec, quelques jours à peine avant la rentrée. Tandis que notre ministre dévoile son objectif d’avoir un adulte par classe et se permet de suggérer qu’enseigner dans une classe du préscolaire serait « moins exigeant » que de le faire dans d’autres niveaux, les directions d’écoles s’arrachent littéralement les cheveux pour pourvoir des postes d’enseignants qui devront être occupés dès lundi prochain.
Oui, lundi prochain.
Lundi matin, dans quatre jours à peine, des enfants et des ados vont se présenter en classe et seront accueillis par… personne.
Cette possibilité bien réelle me fait dresser les cheveux sur la tête.
Normand Baillargeon parlait plus tôt cette semaine dans Le Devoir d’un « drame national » pour qualifier cette pénurie et je trouve qu’il n’y a pas d’enflure verbale, ici. Ce qui se déroule sous nos yeux, c’est bel et bien une catastrophe.
Cette pénurie se préparait depuis plusieurs années, nombre de chroniqueurs en ont déjà parlé. Vétusté des écoles, alourdissement constant de la tâche tant au primaire qu’au secondaire, sans parler de la complexification de la tâche des enseignants en raison de l’intégration des élèves à besoins particuliers et de la rareté des professionnels de soutien nécessaires, du manque d’appui des parents, de l’intimidation et d’autres impolitesses qui sont le pain quotidien des enseignants dans certains milieux…
On a déjà fait le tour des raisons de la désertion des troupes depuis un bon moment.
L’avenir du métier
Par ailleurs, dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre généralisée, on ne se surprend pas qu’il manque des ressources humaines ici et là, dans les écoles comme ailleurs.
Mais ce qui me frappe avec les chiffres qui font la une des journaux cette semaine – et cela m’atteint en plein cœur – c’est cette désagréable impression qui m’envahit : plus personne ne veut enseigner.
Plus personne ne semble vouloir de cette profession, de ma profession, celle qui m’habite, me passionne, me stimule, m’élève.
On apprenait en juin dernier que l’UQAM fermait l’un de ses programmes en enseignement, faute d’inscriptions.
Faire carrière en enseignement? Non, merci.
Quand, dans mes classes de deuxième secondaire, je fais travailler mes élèves sur une profession qui les intéresse, c’est extrêmement rare que certains d’entre eux choisissent l’enseignement. Médecins, avocates et pharmaciens sont des postes bien plus convoités. Femme d’affaires, influenceur, joueuse professionnelle de tennis, pas loin derrière.
Mais enseignante? Bof.
Voilà donc des ados qui passent toutes leurs journées avec des enseignants, mais qui ne s’imaginent pas un instant prendre leur place. Difficile de les blâmer! Une carrière en enseignement ne fait pas vraiment rêver, du moins, pas à notre époque.
– Mais madame, est-ce que ça paie bien?