« OK – fa’que, tu veux commencer ou c’est moi qui commence? »
Mon cœur entame sa course à obstacles et trébuche violemment. Un face plant de battements.
Je sais ce que ma date va me dire : elle a aimé notre soirée samedi passé. Elle ne regrette pas de m’avoir frenchée à profusion. Baisers 100 % commandités par les gin-tonics qui lui coulaient à flots dans les veines.
Je sens un « mais » s’en venir à cent milles à l’heure, comme un F-150 dans une annonce de char.
Ma date se lance :
« J’ai eu beaucoup de plaisir samedi passé, mais je ne veux rien de sérieux – avec toi. On est à des places différentes dans la vie. »
Elle a accès à la propriété et sa carrière est prolifique.
Moi, je sors de l’École de l’humour, j’habite avec ma sœur médecin qui m’aide avec mon loyer, et j’ai encore porté ses leggings sans le lui demander.
Le F-150 vient de me rouler dessus. Son moteur vrombit encore dans mes oreilles et mes narines.
Entre l’enfance et l’âge adulte
Je suis vraiment gênée d’exister. Je flotte entre l’enfance et l’âge adulte.
Le problème, c’est moi. Si j’avais une job stable, j’aurais du beau linge et on ne pourrait s’empêcher de me refrencher à l’infini.
On me désirerait si j’avais un condo dans Saint-Henri, près d’un café 3e vague staffé par des baristas bisexuels inaccessibles.
Je suis pressée d’atteindre une stabilité professionnelle. Je sens l’urgence de me caser comme si j’avais les culottes en feu. Et pourtant, j’ai choisi le milieu des arts, un milieu aussi stable que les émotions d’un bambin.
J’ai 27 ans et je me sens en retard. La valeur que je m’accorde est calquée sur ma carrière. Ça va prendre combien de temps avant que je perce dans mon milieu? Je veux des réponses claires. J’attends combien d’années avant de me résigner? Est-ce que j’aurais dû devenir ergothérapeute? Je voudrais kicker l’incertitude dans la gorge.
Merde, ma sœur est fâchée. Elle a plus de leggings à porter.
Tolérer l’incertitude (ou essayer)
Quand on choisit d’être artiste, il n’y a pas de « guide vers la gloire » (en même temps, une chance, ça sonne super louche). Je voudrais me détacher de la tendance qu’on a à octroyer une immense valeur à notre performance sur le plan professionnel, mais j’ai un feeling que ça va me prendre plus que 3 rencontres avec ma psy.
J’aspire à ce que l’incertitude soit mon alliée au lieu de vouloir la réduire en purée.
Ne pas avoir de carrière stable est un bouton sensible sur lequel ma date a appuyé.
Je perds le fil. Tout se mélange : les mots de ma date, être une adulte, réussir, être heureuse.
Tout ça spinne à vive allure dans une machine à laver qui n’a pas les dimensions nécessaires pour accueillir tout ce stock. Elle menace de fendre en deux et de cracher tout son contenu avant qu’il ne soit lavé. J’appuie désespérément sur le bouton Power pour que l’électroménager cesse son rituel satanique, mais rien n’y fait.
La machine implose : mon p’tit cœur fragile de fille sensible est expulsé avec le contenu de ma brassée. Tout est encore trempé, mon p’tit cœur avec. Heureusement, le semblant d’adulte en moi avait prévu le coup : j’ai un très bon rack à sécher.