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Passer sa vie au camp de vacances

Portrait de quatre irréductibles.

Par
Barbara-Judith Caron
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Ils ont passé leur enfance dans les camps de jour et les camps de vacances, puis leur adolescence, puis leur vie de jeunes adultes. Aujourd’hui dans la vingtaine, la trentaine ou même à la veille de la retraite, ils y sont toujours.

YANNICK GODIN, DIRECTEUR GÉNÉRAL, CENTRE DE PLEIN AIR L’ESTACADE

40 ANS

35e été en camp

SON PARCOURS

Depuis qu’il a cinq ans, Yannick Godin n’a manqué qu’une seule semaine de camp… pour son voyage de noces ! Campeur, aide-animateur, animateur : il sera tout ça au camp de jour d’Iberville. Puis, à 22 ans, on lui a offert un poste d’animateur d’hiver au Centre de plein air l’Estacade, un emploi qui l’a mené, il y a quatre ans, à celui de directeur général. Au camp, il a trouvé sa voie, maisaussi ses deux meilleurs amis et sa femme, avec qui il a eu trois enfants. Deux d’entre eux feront d’ailleurs leur entrée au camp cet été.

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Quand avez-vous eu le coup de foudre pour les camps de vacances ?
Probablement le premier jour ! J’ai toujours aimé l’ambiance de camp et les jeux. Mais si j’ai à nommer un moment, ce serait à neuf ans, quand on m’a donné la chance d’organiser une soirée spéciale « casino » avec les animateurs. À partir de là, j’ai su qu’un jour, je serais animateur.

Pourquoi évoluez-vous toujours dans l’univers des camps de vacances ?

Le camp m’a beaucoup aidé à prendre confiance en moi, à faire ma place et à exploiter mon imagination. Si je suis encore dans les camps aujourd’hui, c’est pour permettre aux jeunes campeurs (les 5-17 ans) et animateurs (les 18-25 ans) de grandir, en plus de devenir de meilleures personnes et de futurs travailleurs mieux outillés. D’ailleurs, les futurs enseignants devraient tous faire un séjour en camp. À l’école, on n’apprend pas à gérer, à encadrer et à amuser un groupe de jeunes… Au camp, oui !

Est-ce que travailler dans un camp de vacances, c’est être en vacances ?

Comme directeur, je travaille 60 heures par semaine, je couche sur place et je me fais réveiller en pleine nuit pour un problème. Je dirais qu’on a déjà vu mieux comme vacances ! Mais travailler en camp est une expérience de vie, une espèce de voyage qui te fait évoluer. Pour un animateur, on peut donc dire que ce sont des vacances fatigantes, mais particulièrement enrichissantes !

Quel était votre nom d’animateur ?

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Devine. J’ai eu beaucoup de plaisir avec ce nom-là avec les jeunes, et les jeunes avec leurs parents. « C’est quoi le nom de ton animateur ? » « Devine. » « Ben là ! » « Devine. » « Arrête de niaiser. » « Je te niaise pas, c’est Devine ! »

Votre meilleure anecdote de camp ?
Je me souviens de cette campeuse, vêtue de noir de la tête aux pieds, qui était arrivée au camp en pleurant. Elle devait avoir 15 ans et elle ne voulait clairement pas être là : les premières 24 heures, elle les a passées dans sa chambre. Mais à force de l’encourager, elle s’est fait des amis et a commencé à porter des vêtements colorés. Au feu de camp, la fin de la semaine, elle a même chanté une de ses compositions en s’accompagnant à la guitare. Quand, au terme du séjour, sa mère est débarquée, la jeune campeuse était en larmes. La maman en question croyait qu’on avait laissé sa fille pleurer toute la semaine et elle trouvait ça inacceptable. L’adolescente lui a alors expliqué pourquoi elle était dans cet état : « Maman, en m’inscrivant au camp, tu as changé ma vie ! »

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Quel est le projet le plus stimulant sur lequel vous travaillez en ce moment ?

Prends ta place dans le CLAN (Confiance en soi, Leadership, Activité et Nature). C’est un projet qui va permettre aux jeunes de 5 à 16 ans victimes d’intimidation à l’école de venir en camp, en collaboration avec les commissions scolaires, pour vivre une expérience heureuse, prendre confiance en eux et développer leur leadership. C’est un projet qui me tient à cœur, car j’ai vécu de l’intimidation et je sais que le camp peut être d’une aide précieuse.

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JULIE CÔTÉ CYR, DIRECTRICE, CAMP MINOGAMI

28 ANS

21e été en camp

SON PARCOURS

De 7 à 17 ans, elle a été campeuse au Camp Trois-Saumons, puis au Camp Minogami, où on l’a embauchée à 17 ans. Après avoir agi à titre de plongeuse (pour la vaisselle, là, pas dans une piscine !), de monitrice, de guide d’expédition et de coordonnatrice, elle a été promue directrice au même endroit en 2015.

Quand avez-vous eu le coup de foudre pour les camps de vacances ?

Au secondaire, j’avais peu d’amis ; on m’intimidait et j’avais du mal à entrer en contact avec les autres. Débarquer à Minogami, c’était repartir à neuf. Je me souviens des premiers soirs : on faisait ce qu’on appelle un tour de flamme, où toutes les campeuses de la hutte partageaient quelque chose sur elles-mêmes. Chaque année, j’inventais quelque chose : une année, mes parents avaient une écurie ; la suivante, je disais que je composais des chansons… Je pensais qu’on ne m’aimerait pas si j’étais honnête sur qui j’étais. Ça m’a pris deux ans avant d’arrêter de mentir. Le coup de foudre, je l’ai eu la première fois où j’ai dit la vérité et qu’on m’a accueillie dans mon entièreté.

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Est-ce que travailler dans un camp de vacances, c’est être en vacances ?
Loin de là ! Ce sont quatre mois durant lesquels tu es constamment débordé, avec des horaires changeants, et où la limite entre ta vie personnelle et ta vie professionnelle n’existe plus. Tu déconnectes presque complètement de tes amis en ville et ton bureau, c’est le bois. Tu dois soudainement avoir un doctorat en tout : en restauration (parce qu’on administre une cafétéria qui nourrit 500 personnes par jour) ; en menus travaux (pour gérer un parc immobilier de 110 bâtiments) ; en comptabilité ; en enseignement ; en gestion des risques ; en tourisme d’aventure ; en soins de santé ; en gestion des ressources humaines… C’est rare qu’on réussit à se baigner ou à participer à un feu de camp. Quand ça arrive, c’est magique !

Est-ce que c’est « gênant » d’être encore dans ce milieu à l’âge adulte ?
Ceux qui me connaissent savent l’énergie que je mets dans mon travail ; ils voient que je m’épanouis et que ça me permet de développer des habiletés. Par contre, si je ne prends pas le temps d’expliquer mes tâches au quotidien, on pense que je fais de la gestion de terrain de soccer, que je chante des tounes et que je joue au ballon tout l’été.

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Quelle chanson de camp n’êtes-vous plus capable d’entendre ?
Sol indien (pour les explications, voyez la question suivante).

Quel est le projet le plus stimulant sur lequel vous travaillez en ce moment ?
On travaille depuis trois ans avec le Réseau DIALOG sur la création d’outils pédagogiques pour permettre à nos moniteurs de mieux enseigner du contenu portant sur la culture atikamekw. Le camp est situé sur le territoire de cette nation autochtone, le Nitaskinan (« notre terre » en atikamekw), et nous parcourons beaucoup de rivières qui nous amènent à croiser les réserves de Wemotaci et d’Opitciwan. On essaie de cultiver nos liens avec les différentes communautés dans un esprit de partage et d’enseignement pour nos campeurs. On essaie aussi de faire le ménage dans certaines de nos vieilles traditions qui pouvaient véhiculer des préjugés sur le sujet.

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FRANÇOIS VÉZINA, DIRECTEUR GÉNÉRAL ET VICE-PRÉSIDENT, CAMP KÉNO

60 ANS

45e été en camp

SON PARCOURS

Déjà, au milieu des années 70, on le trouvait dans les camps de jour et les camps de vacances. Ça fait donc quatre décennies qu’il évolue dans le milieu, et ce, autant comme campeur qu’aide de camp ou moniteur. Amoureux fou de nature et de plein air, il a fondé en 1994 le Camp de jour Kéno et il est aujourd’hui directeur général du Camp Kéno. Il prendra sa retraite dans quelques semaines, auprès de sa femme Isabelle… qu’il a rencontrée au camp il y a 40 ans !

Quand avez-vous eu le coup de foudre pour les camps de vacances ?
Le premier coup de foudre est arrivé un peu malgré moi ! En fait, je n’ai pas particulièrement aimé être campeur. C’est quand je suis devenu aide de camp, puis moniteur, qu’il y a eu un déclic. Les gens appréciaient mon travail — on me le disait souvent —, puis je me suis pris au jeu. La nature a aussi joué un rôle déterminant dans mon amour pour les camps. Et impossible de passer à côté du fait que le contact humain, autant avec les enfants qu’avec les moniteurs ou le personnel, a fait que mon parcours professionnel a toujours été riche et stimulant. Finalement, je m’écoute et je me dis que j’ai eu plusieurs coups de foudre au cours de ma carrière !

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Est-ce que travailler dans un camp de vacances, c’est être en vacances ?
C’est mal connaître notre travail que de dire qu’il s’agit de vacances ! La période estivale, c’est l’aboutissement de toute une année de travail. Et une fois que les camps sont lancés, on n’arrête pas ! Ça demande de l’énergie et de l’engagement. Et il ne faut pas oublier qu’être un gestionnaire présent, ça veut parfois aussi dire… gérer des poubelles !

Qu’est-ce qui est le plus gratifiant dans votre travail ?
Constater que l’expérience de camp laisse des traces chez les jeunes et les ados ! On construit quelque chose avec eux, on les aide à déployer leur plein potentiel et à devenir des leaders. Saviez-vous que Guy Laliberté a fréquenté notre camp ? Il y a aussi ce groupe d’amis qui a fréquenté le camp, qui y a fait du canot-camping et qui, récemment, a traversé le Canada en canot. On a contribué à semer quelque chose qu’ils ont fait grandir.

Quel était votre nom de camp ?
Grand Père Loup Gris. Ce n’est pas un nom de campeur, c’est plutôt un totem qui reflète mon leadership et ce qui me tient à coeur : les rassemblements, la famille… La meute, quoi !

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Quelle chanson de camp n’êtes-vous plus capable d’entendre ?

Celles qui ne reflètent pas ou plus nos valeurs. On n’hésite pas à retirer des chansons de notre répertoire quand c’est le cas. Par exemple, la chanson Zimbabwe, on ne l’entend plus chez nous, parce que les paroles ne sont pas en adéquation avec ce qu’on veut passer comme message, notamment sur l’ouverture aux autres.

Quel est le projet le plus stimulant sur lequel vous travaillez en ce moment ?
Le programme de développement du leadership Jeunes Leaders, en partenariat avec la Fondation Roméo Dallaire. On accompagne des jeunes, surtout issus de milieux défavorisés, en offrant à la fois des séjours en camp et un suivi pendant l’année scolaire pour les aider à développer leur plein potentiel. C’est incroyable ce que les jeunes peuvent accomplir quand on leur donne les outils !

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MARIE-PIERRE LACASSE, DIRECTRICE, CAMP PORTNEUF

37 ANS

22e été en camp

SON PARCOURS

À l’été 1996, alors qu’elle avait 15 ans, elle est devenue aide de camp à l’Auberge la Clé des champs. Elle a ensuite fait son chemin dans plusieurs camps en devenant tour à tour monitrice, chef de camp, directrice des expéditions et gestionnaire. De 2012 à 2015, elle a occupé le poste de directrice générale du Camp Boisjoly, puis celui de directrice du Camp Minogami avant d’atterrir au Camp Portneuf, où elle est directrice depuis 2015.

Quand avez-vous eu le coup de foudre pour les camps de vacances ?
Mon père était directeur au Camp Trois-Saumons. De là vient mon amour pour les camps et leur magie. J’avais quatre ans !

Pourquoi évoluez-vous toujours dans l’univers des camps de vacances ?
Pour le plaisir de voir grandir les enfants et les accompagner dans ce processus !

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Est-ce que travailler dans un camp de vacances, c’est être en vacances ?
Oui et non. On vit les mêmes défis que des gestionnaires de moyennes entreprises… sans la reconnaissance. En même temps, j’aime ce milieu plus que tout ! On est en vacances parce qu’on aime ce qu’on fait et qu’on est plus que content de le faire.

Est-ce que c’est « gênant » d’être encore dans ce milieu à l’âge adulte ?
Je suis particulièrement fière de ce que je fais. Je ne crois pas que ce soit gênant ! Au contraire : je suis heureuse de pouvoir contribuer au développement de ces enfants.

Qu’est-ce qui est le plus gratifiant dans votre travail ?
Ce serait faire fausse route que de rechercher de la gratification dans ce travail. Il faut le faire pour les vraies raisons : parce qu’on aime les enfants et la vie de camp.

Quel était votre nom de monitrice ?
Natik. Il s’agit du nom qui m’a été attribué par des campeuses du Camp Wa-Thik-Ane, parce que j’étais toujours dans l’eau !

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Quel est le projet le plus stimulant sur lequel vous travaillez en ce moment ?
Nous sommes à mettre sur pied un camp adapté pour enfants vivant avec un trouble déficitaire de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) et les troubles associés. L’idée est de proposer un cadre d’intervention en plein air qui favorise l’esprit de communauté et de dépassement.