La vie adulte, puis la parentalité et surtout la maternité, isolent et confinent parfois à la solitude. Elles transforment aussi les amitiés.
Il y a quelques années, une très bonne amie que j’avais perdue de vue m’a écrit pour m’inviter à prendre un verre. La vie nous avait éloignées. Une embrouille, aussi, comme celles qui peuvent mettre fin à une amitié ou la mettre sur pause. Je savais qu’elle essayait depuis longtemps de tomber enceinte.
« J’ai quelque chose à te dire… », m’a-t-elle dit, attablée dans un bar où nous nous étions donné rendez-vous. Je savais déjà. Et pas seulement parce qu’elle avait commandé un mocktail. Elle attendait un enfant, comme moi, deux ans plus tôt. Nous étions désormais unies dans la maternité. Et dans l’amitié renouvelée.
La parentalité transforme les amitiés pour le meilleur ou pour le pire, quand elle ne les brise pas carrément. Karine Côté-Andreetti l’explique dans Ports d’attache, un livre sur l’amitié à l’âge adulte sorti l’hiver dernier.
Devenue mère dans la vingtaine, l’autrice décrit la grande solitude qu’elle a vécue post-partum, et le gouffre qui l’a aussitôt séparée de certains amis. Des amis qui ne comprenaient pas sa nouvelle réalité.
« Pas parce que mes amis n’étaient pas présents. J’avais 26 ans, mes amis n’étaient pas à cette place-là [d’avoir des enfants], et je sentais une pression énorme pour être l’amie que j’étais avant », raconte l’autrice. « L’amie d’avant », c’est-à-dire celle dont l’horaire ne tourne pas autour d’une sieste ou d’un allaitement.
Dans le New York Magazine, la journaliste Allison P. Davis se demande carrément si les parents et non-parents peuvent rester amis. Une « fraction amicale » peut subvenir, dit-elle dans un récit paru l’automne dernier, sans nécessairement faire trembler les murs.
« C’est un changement tectonique lent qu’aucune des deux parties ne remarque au début (en particulier les parents) », écrit la journaliste, citant une étude de 2017 réalisée aux Pays-Bas sur les amitiés et la parentalité. Ainsi, la qualité des amitiés déclinerait une fois que l’on devient parent, et la dégradation atteindrait son paroxysme quand l’enfant atteint l’âge de 3 ans.
Toujours la solitude
Adultes et parents, la solitude nous guette. Au parc, à la garderie, dans le voisinage. Souvent, j’aperçois des regards furtifs de mères qui aimeraient sororiser : aller au parc après la garderie, s’inviter pour l’apéro. On recherche de nouvelles amitiés, des parents avec qui traîner après la garderie et partager les défis du quotidien.
C’est souvent dans la trentaine, soit la décennie où de nombreux couples décident de concevoir, que les amitiés s’effritent, dit la journaliste américaine Lydia Denworth, également citée dans Ports d’attache.
Entretenir des amitiés forgées lors de l’adolescence n’est pas donné à tous. En créer de nouvelles à l’âge adulte non plus.
En effet, un adulte sur quatre se sent « seul », selon un sondage réalisé l’année dernière par Gallup dans 142 pays.
Le rêve d’une communauté
Et si pour briser l’isolement, on mettait l’amitié plutôt que la famille nucléaire au centre de nos vies? Dans son livre sur l’amitié The Other Significant Others : Reimagining Life With Friendship at the Center, la journaliste Rhaina Cohen relance le débat sur le modèle familial comme seul cadre pour élever nos enfants.
La journaliste elle-même et son mari vivent avec des amis et leurs enfants. « Le simple fait d’avoir plus de personnes dans son entourage peut rendre l’expérience parentale beaucoup moins stressante ou difficile », expliquait-elle récemment dans le cadre du balado The Ezra Klein Show.
Pour sa part, Karine Côté-Andreetti rêve d’une telle communauté, « comme des maisons de personnes âgées, mais entre familles. » Entretemps, la jeune femme s’est entourée d’un « village numérique » de moms. Une expérience salvatrice pour elle.
« Ça m’a fait du bien de trouver des gens avec qui parler de ces choses-là, de me sentir vue. Des amitiés numériques se sont transformées en amitiés dans la vraie vie. Une amie Instagram qui habite à Sherbrooke est devenue une de mes meilleures amies. Nos enfants sont nés en même temps », raconte-t-elle.
Récemment déménagée en Estrie, Karine a également trouvé une communauté IRL à la Maison de la famille.
« On boit du café entre mères. Tu te rencontres et tu t’ajoutes sur Facebook en espérant voir où ça va. »
« Ça peut être des amitiés de circonstances, des étoiles filantes. C’est OK aussi, on n’est pas obligées d’y rencontrer une amie pour la vie », poursuit-elle.
Filantes ou pas, ces amitiés permettent de grandir et de s’émanciper. D’élargir, aussi, notre réseau d’entraide et de se sentir moins seules.