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Quand c’est plus facile de soigner une jambe cassée qu’une tête qui va mal

Parce que les étudiant.e.s méritent une meilleure accessibilité à de l'aide psychologique.

Par
Emmy Lapointe
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Avertissement : Le texte qui suit aborde la santé mentale dans des termes qui pourraient déstabiliser.

Pendant les années ‘60 au Québec, c’était le party des assurances publiques et de l’interventionnisme, which is cool si tu veux mon avis. Le problème est arrivé quand on a choisi ce qui allait être couvert par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) : « Ah, tiens, on pourrait couvrir tout ce qui se trouve entre les pieds et le menton. Au-dessus de ça, ils s’arrangeront. »

Et depuis ce jour, si tu te casses une jambe, tu vas à l’hôpital, et on te la plâtre gratuitement avec ta carte soleil. Mais si t’as des migraines, parce que tu as besoin de lunettes ou que tu as mal à une dent, c’est toi qui vas devoir payer. Si tu as de la chance, des assurances paieront au moins la moitié.

Si tu fais de l’insomnie, que tu break down deux fois par semaine, que de te brosser les dents te demande tous les efforts du monde, ce sera un.e psy ou un.e travailleur.euse social.e qu’il te faudra voir. Cette fois-ci, tu auras le choix entre le public ou le privé.

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Je dis choix, mais entre toi et moi, c’est ton portefeuille qui choisira. Parce que 120 $ la séance, quand t’es étudiant.e (et même quand tu ne l’es pas), c’est un gros montant. Alors, comme tu ne fais pas un salaire d’architecte encore, il te reste deux options : les services de l’université ou le CISSS.

Malgré ce que tu entends sur les services de l’université, tu décides d’aller de l’avant et de voir par toi-même, parce que de toute façon, tu n’as rien à perdre.

Infiltration no 1

Quelque part à l’automne 2020, l’Université Laval annonçait que le trimestre d’hiver 2021 se déroulerait encore une fois à distance. Ça faisait plusieurs mois que j’étais en télétravail, télé-étude, j’habitais seule, et là, on repoussait encore la sortie du tunnel avec cette annonce et celles qui viendraient dans les semaines à venir (Noël annulé, couvre-feu, commerces fermés, etc.). Alors comme plein d’autres, ça allait vraiment moyen, même moins que moyen, donc je me suis essayée du côté des services de soutien de l’université, parce qu’encore une fois, je n’avais rien à perdre.

J’ai rempli le formulaire, on m’a répondu après une quinzaine de jours, soit trois fois le délai normal mentionné sur le site web.

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J’ai rempli le formulaire, on m’a répondu après une quinzaine de jours, soit trois fois le délai normal mentionné sur le site web. Au téléphone, j’ai décrit ma situation : insomnie, manque de motivation, sentiment d’être à l’extérieur de moi, breakdowns fréquents, etc. J’ai aussi mentionné qu’au-delà de ça, je maintenais une moyenne scolaire relativement haute, que je travaillais une trentaine d’heures par semaine, bref, j’étais ce qu’on appelle « fonctionnelle ». J’ai également dit que j’étais sur les Effexor (des antidépresseurs) depuis des lunes, que ça palliait mon essence un peu dépressive et anxieuse, mais que je sentais que ça ne suffisait plus.

La dame au téléphone a principalement insisté sur trois choses : est-ce que j’avais envie de me tuer, est-ce que j’étais capable de m’occuper de moi et est-ce que je voulais rester à l’école? J’avais un peu envie de me tuer, mais pas de façon concrète, juste comme une envie latente qui n’avait pas vraiment de chances d’exploser. Je ne m’occupais pas super bien de moi, mais je tenais debout, et oui, malgré tout, j’allais entamer ma maîtrise à l’hiver.

Elle m’a placée sur la liste d’attente pour rencontrer un.e psy et en attendant, elle m’a dirigée vers un atelier en ligne de gestion du stress.

La session a passé et je n’ai jamais eu de nouvelles.

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C’est quoi, les odds

Mon expérience n’étant qu’une expérience, j’ai décidé de tâter le pouls et mis mes méthodes quantitatives en application pour la première fois depuis 2015 : j’ai fait une enquête (pas) vraiment rigoureuse. Mais après avoir lu une soixantaine de réponses, c’était clair que ma situation n’avait rien d’unique; elle n’était qu’une au milieu des autres.

Je pense aussi que peu importe d’où viennent les témoignages, il faut faire attention à ce qu’on leur fait dire.

La session d’hiver a recommencé et dès la troisième semaine, j’étais crevée. Socialement, intellectuellement, physiquement.

En entrevue avec la directrice du centre d’aide aux étudiant.e.s Louise Careau (et avec une surveillante des comms de l’UL), on m’a confirmé que dans la mesure du possible, le personnel fait un premier retour avec l’étudiant.e dans un délai maximal de cinq jours. Elle m’a aussi dit que l’on suggérait d’autres ressources à tou.te.s les étudiant.e.s, qu’ils et elles soient ou non placé.e.s sur la liste d’attente pour rencontrer un.e professionnel.le. Ces ressources-là, c’est souvent de l’autosoin : le nom paraît un peu idiot, mais on peut parfois y tirer quelque chose en attendant.

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La directrice du centre d’aide est toutefois assez consciente de la saturation des services et avec le plan d’action du gouvernement pour la santé mentale aux études supérieures. La direction a, entre autres, engagé 14 nouveaux et nouvelles professionnel.les (psychologues, psychothérapeutes, intervenant.e.s psychosociaux pour le CAÉ et pour les facultés) en un peu moins de trois ans. En fait, le centre d’aide a augmenté ses effectifs de 45 %, mais juste dans la dernière année, les demandes d’aide ont augmenté de 74 %, m’a partagé Louise Careau.

Infiltration no 2

J’ai fini l’automne un peu fatiguée. Je m’étais dit que pendant les Fêtes, je récupèrerais et que ce serait ok. Sauf que la session d’hiver a recommencé et dès la troisième semaine, j’étais crevée. Socialement, intellectuellement, physiquement. L’idée d’aligner deux réunions Teams me donnait mal au ventre alors que je suis Gémeaux et que par essence, je suis normalement inépuisable socialement.

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J’ai donc tenté à nouveau ma chance aux services de soutien psychologique de l’uni. J’ai rempli un formulaire similaire à la première fois, sauf que cette fois, j’ai reçu un appel en six jours et j’ai obtenu un rendez-vous avec un psy en deux semaines.

Et ça s’est bien passé avec lui. Évidemment, c’est un peu plus direct qu’en clinique privée, mais je n’avais pas l’impression de n’être qu’un dossier à régler dans sa semaine. Même qu’en deux séances, il a mis le doigt sur des petits trucs qui alimentaient ma fatigue – pas un truc de fou qui chamboule une vie, parce que des psys, ça ne chamboule pas des vies du jour au lendemain, mais quand même. Ça aide un peu à comprendre certains de nos mécanismes, et tranquillement, on apprend souvent par nous-mêmes à les désamorcer.

Et si je n’ai eu que deux séances, c’est parce que c’est moi qui ai mis fin au suivi. Pas parce que je ne me sentais pas bien ou pressée, mais parce que ma psychologue au privé est revenue en ville, et je me suis dit qu’en retournant la voir, ça permettrait à quelqu’un de l’uni d’avoir à son tour accès à un psychologue.

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Infiltration d’eau

Donc oui, la santé mentale devrait être un droit, pas un privilège : ouh, breaking news. Alors go, engagez des psys partout, donnez de l’argent, réformez vos institutions en santé mentale, tapissez les murs des universités, des abribus et des métros de numéros à contacter au bout desquels il y a des gens pour répondre. Il y aura des seaux pour les fuites d’eau. Mais très vite, il manquera de seaux, parce que les tuyaux continueront de péter de partout encore et encore, parce que tous ces seaux ne servent à rien, monsieur le Plombier ministre, si personne ne ferme la crisse de valve.

Dans son livre Depression: A Public Feeling, Ann Cvekovich écrit que tant que nous continuerons, d’un côté, à considérer la fonctionnalité et l’efficacité comme des marqueurs de notre réussite individuelle et collective, et de l’autre, à traiter la santé mentale comme une condition individuelle plutôt que collective, tout le discours autour de la santé mentale sera vain.

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Et Ann Cvekovich en sait quelque chose, parce que le milieu qu’elle fréquente tous les jours, depuis des années, c’est l’université. Elle y a étudié, et maintenant, elle y enseigne. Jour après jour après jour, elle rencontre des étudiant.e.s de plus en plus essoufflé.e.s, mais qui continuent de performer malgré tout. Une façade qu’il nous faut absolument fracasser à coups de cris du ventre, de cohérence, de promesses tenues.

***

Si vous avez besoin d’aide, des ressources existent. Vous n’êtes pas seul.e.

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