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Profession: illustrateur de bandes dessinées

Vivre de son art quand on dessine des bonhommes.

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Lorsqu’on demandait en classe ce que vous vouliez faire plus tard, il y a fort à parier qu’au moins un·e de vos petit·e·s camarades avait pour ambition de devenir bédéiste. Aussi attrayant que cela pouvait l’être à l’époque, ce n’est pas si évident que ça d’en vivre.

Depuis son appartement de Rimouski, Djibril Morissette-Phan le vit, ce rêve. Pour dessiner pour Marvel, cependant, il faut être prêt à ne jamais trop s’éloigner de sa table à dessin.

Un monde de contacts

«Depuis la garderie, mon activité préférée a toujours été de dessiner des bonhommes.» Djibril Morissette-Phan sait depuis longtemps qu’il veut faire de la bande dessinée. À sa sortie du DEC de technique en animation 2D, Djibril a travaillé quelques mois dans une boîte d’animation: «On faisait des animations pour les machines à sous. Ce n’était pas passionnant, mais je consacrais tout le reste de mon temps à travailler sur mon portfolio et à aller à des conventions.»

Pour un travail qui demande de passer autant d’heures seul devant ses dessins, le métier d’artiste de bandes dessinées repose beaucoup sur le réseautage.

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Les conventions, si elles font le bonheur des fans de comics, s’avèrent encore plus importantes pour les artistes. C’est en exposant son travail au Comiccon de Montréal que Djibril s’est fait offrir son premier contrat. J’ai décidé de lâcher mon autre emploi pour me consacrer à ça à temps plein. C’était un pari risqué, parce que je ne savais pas si j’allais retrouver du travail après, mais je n’ai jamais arrêté depuis.»

Pour un travail qui demande de passer autant d’heures seul devant ses dessins, le métier d’artiste de bandes dessinées repose beaucoup sur le réseautage. «Si on a aimé ton travail, c’est sûr qu’on va te rappeler pour d’autres projets. Entre artistes, aussi, on passe les contrats qu’on ne peut pas faire à nos collègues.» Après quelques années à courir après les contrats, c’est grâce à ses contacts montréalais que Djibril a pu dessiner pour une grande maison d’édition pour la première fois.

Djibril Morissette-Phan, Crédit photo: Maude Touchette
Djibril Morissette-Phan, Crédit photo: Maude Touchette
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«J’ai croisé Jim Zub (Samurai Jack, Dungeons & Dragons) à Comiccon. C’est comme ça qu’est né Glitterbomb, la série qui m’a permis de faire des conventions aux États-Unis, rencontrer plus d’éditeurs et entrer sur le marché américain avec Image Comics.»

Glitterbomb, Image Comics
Glitterbomb, Image Comics

Une page par jour

Il existe un marché de la bédé et de l’illustration au Québec, mais il est beaucoup plus modeste que celui des géants américains et européens. «Ça peut être très incertain de travailler au Québec. Les projets sont plus petits et on n’a pas toujours les moyens d’offrir un bon salaire», constate Djibril Morissette-Phan, même s’il est heureux de travailler avec des éditeurs indépendants.

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Heureusement, l’internet lui permet de trouver du travail à l’international sans quitter la ville de Rimouski où il s’est récemment installé.

Depuis les deux dernières années, Djibril travaille sur des projets de bandes dessinées franco-belges. Il constate que le rythme de travail est très différent de ce qui est attendu dans le monde des comics américains: «Aux États-Unis, t’es payé à la page et il faut faire à peu près une page par jour. Les comics sont publiés par numéros et le prochain numéro doit sortir vite. C’est pour ça que tout le travail est séparé comme une chaîne de montage: quelqu’un fait le dessin, l’autre l’encre, l’autre la couleur, l’autre le lettrage.»

«Je travaille 7 jours sur 7, huit heures par jour. C’est la réalité du travail autonome, mais j’organise ces heures-là comme je veux.»

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En Europe, les bandes dessinées sont plutôt publiées sous forme de livres. Ce sont des projets plus longs où les illustrateur·ice·s ont plus de contrôle sur le processus de création. «C’est un rythme qui me convient, mais je fais encore les deux. Je touche à tous les projets qui m’intéressent, je fais encore de l’illustration pour des affiches ou des projets artistiques.»

Quant au tarif pour son travail, celui-ci varie grandement de projet en projet. «Chez Marvel, je suis payé à peu près 250$ US la page. J’ai appris que c’était considéré comme un starter rate», explique l’illustrateur. Si la taille réduite du marché au Québec permet facilement d’échanger entre artistes et de générer une sorte de standardisation des tarifs, ce n’est pas le cas chez nos voisins du Sud. «Il n’y a aucun barème et peu de gens se disent combien iels sont payé·e·s. Le pouvoir est dans les mains des gros éditeurs et on peut facilement se faire exploiter.»

Histoire de la Science-Fiction, les humanoïdes associés
Histoire de la Science-Fiction, les humanoïdes associés
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Une page par jour, c’est à peu près le rythme que maintient Djibril depuis qu’il a commencé à illustrer des bandes dessinées. «Je travaille sept jours sur sept, huit heures par jour. C’est la réalité du travail autonome, mais j’organise ces heures-là comme je veux.» Il se réjouit cependant de ne plus travailler jusqu’aux petites heures du matin depuis qu’il ne vit plus seul.

Il effectue la grande majorité de son travail dans le studio qu’il a aménagé dans son appartement, entre sa table à dessin et son ordinateur. «Avant, je vivais dans un petit studio, mon bureau était littéralement au pied de mon lit. Je pouvais littéralement passer de mon lit à mon bureau en un mouvement, ce n’était pas très sain.»

Pendant les premières années de sa pratique, Djibril a préféré travailler dans un espace partagé avec d’autres collègues. «C’était très pratique pour échanger et s’entraider, mais ça reste un travail très solitaire. Il faut être capable de passer de longues heures seul devant son dessin.»

L’endroit où vous risquez de trouver Djibril
L’endroit où vous risquez de trouver Djibril
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Des projets pour le futur

«J’aimerais arriver à un moment de ma carrière où je peux aller proposer mes idées à des maisons d’édition et être sûr que ça va être pris.»

C’est avec sa sœur Yasmine que Djibril a trouvé une collaboratrice de longue date: «Déjà au secondaire, on faisait des bédés ensemble.» Ensemble, iels ont créé Khiêm: Terres maternelles, un projet tout personnel inspiré par l’histoire de leur grand-mère. Le récit s’étalant sur trois générations de femmes du Vietnam au Québec a donné l’envie au duo de retenter le coup. «J’ai tellement trippé sur Khiêm. Ma sœur et moi on veut continuer de collaborer pour des bandes dessinées, mais aussi des contes ou des anthologies.»

«On est tellement content·e·s qu’on ait pu publier avec Glénat Québec. J’ai vraiment aimé travailler sur une histoire dans laquelle je me reconnais autant.» Dans l’avenir, l’illustrateur souhaiterait être à la barre de plus de projets du genre.

Khiêm: Terres maternelles, Glénat Québec
Khiêm: Terres maternelles, Glénat Québec
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Dessiner pour de grands éditeurs comme Marvel et Image a permis à Djibril Morissette-Phan de se faire un nom, ce qui est un pas vers plus de liberté créative selon lui: «J’aimerais arriver à un moment de ma carrière où je peux aller proposer mes idées à des maisons d’édition et être sûr que ça va être pris.»

En attendant, il continue de toucher à tout. L’illustrateur tient à travailler tant au Québec qu’aux États-Unis et en Europe, en bande dessinée ou en illustration, à la main autant qu’au numérique. «J’essaie toujours de trouver l’équilibre, mais dans tous les cas, je finis par avoir mal au dos!»

Trouver une meilleure posture de travail fera sans doute partie des projets d’avenir du jeune artiste.