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Pourquoi on taxe la richesse de la classe moyenne, mais pas des riches?

Pour la classe moyenne, l’impôt foncier est fonctionnellement une taxe sur sa richesse.  Mais pour le 1%, c’est tout autre.

Par
Farnell Morisset
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« Or, ce que je vous dis, c’est que les gens qui ont un actif d’un million, ce ne sont pas des très riches. »

Paul Larocque, animateur de télévision, septembre 2022, s’opposant à une taxe sur la richesse des millionnaires.

À l’aube des civilisations, les ancien.ne.s se sont heurté.e.s à un problème plutôt fâcheux. Les terres agricoles qui faisaient la richesse de ceux qui les possédaient étaient souvent éloignées des villes et difficiles à protéger. Leurs propriétaires se sont entendu.e.s sur une solution : ils allaient inscrire leurs avoirs dans un registre de la ville et payer un montant en argent proportionnel à la taille de leurs terres pour assurer leur défense.

Cette solution élégante accomplissait trois objectifs : définir les terres de chacun.e, financer l’armée qui allait les protéger, et assurer que chacun.e paie sa juste part… parce qu’une terre qui n’était pas inscrite et payée n’était pas défendue en cas de raid ou d’invasion ennemie.

C’est ainsi qu’est né l’impôt foncier.

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Quand la classe moyenne paie la taxe des riches

Quelques petits millénaires plus tard, les terres ne sont plus la source de richesse absolue qu’elles ont déjà été. Certes, l’immobilier fait probablement partie des portefeuilles adéquatement diversifiés des élites économiques du monde, mais, pour la plupart, leur richesse est surtout composée de biens intangibles : actions à la bourse, bons d’épargne, flux de revenus d’institutions financières, et j’en passe.

Parmi les avantages de ce genre d’actifs : au Québec, on ne paye aucune taxe à simplement les détenir (à ne pas confondre avec le fait qu’on taxe les revenus, bien sûr – c’est tout autre).

Mais pour la classe moyenne où l’on est souvent propriétaire de sa maison (une fraction qui se fait de plus en plus rare, reconnaissons-le), leur unique actif immobilier représente souvent de loin leur actif financier le plus important.

Considérant qu’en 2019, la famille québécoise médiane avait une valeur nette de 237 800$, mais que la maison médiane valait 265 000$, on peut même dire que pour beaucoup de propriétaires, la valeur de leur maison dépasse la somme totale de leur richesse (la balance étant, bien sûr, en hypothèque). Et évidemment, l’impôt foncier doit être payé sur cette valeur année après année.

Ce qui nous amène à une constatation un peu amère :

Ce qui était autrefois la taxe des riches tombe maintenant disproportionnellement sur la classe moyenne.

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Les heureux.ses de la classe moyenne à avoir obtenu l’accès à la propriété se retrouvent à devoir payer l’impôt foncier sur l’évaluation municipale de la valeur d’une maison qui représente souvent même plus que l’ensemble de leur richesse. C’est, pratiquement, une taxe sur leur richesse complète, et souvent, un peu plus. Mais pour les très riches, eux, c’est seulement une fraction de leur richesse totale que représentent leurs actifs immobiliers qui est assujettie à l’impôt foncier. En termes relatifs, ils payent beaucoup moins de taxes sur leur richesse nette – c’est-à-dire, moins de taxes sur la richesse qu’ils ne font que détenir – que la classe moyenne.

On pourrait y voir une consolation pour ceux de la classe moyenne qui sont encore locataires, mais détrompez-vous. Si votre proprio paye cette taxe sur son immeuble, soyez assuré.e.s qu’il vous la refile dans le prix de votre loyer.

Au lieu de payer une taxe sur votre richesse, vous payez essentiellement une taxe sur sa richesse à la place – ou, plus probablement, sur la valeur de l’hypothèque de votre bloc, donc sur la richesse de la banque.

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Abolir l’impôt foncier?

Québec Solidaire, lors de la dernière campagne électorale, avait d’ailleurs suggéré une taxe de 0.1% sur la richesse nette de plus d’un million de dollars. L’idée a aussitôt suscité une levée de boucliers. Parmi ceux et celles qui étaient réfractaires à cette proposition, beaucoup affirmaient qu’une telle taxe était trop punitive envers les riches, malgré le fait qu’ils étaient eux-mêmes bien loin d’être millionnaires. Pourtant, comparativement à l’impôt foncier que la classe moyenne paye actuellement sur sa richesse principale à Montréal (jusqu’à 0.7%) ou à Québec (jusqu’à 0.9%), les millionnaires s’en seraient relativement bien sortis.

Je ne dis pas qu’une solution équitable à ce déséquilibre passe nécessairement par une taxe sur la richesse des grand.e.s fortuné.e.s.

On pourrait aussi simplement abolir l’impôt foncier, le relayer aux oubliettes d’un temps résolu, et permettre aux villes de se financer par d’autres moyens mieux connectés aux besoins économiques modernes.

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Pourquoi pas une taxe d’occupation, par exemple, payable selon le nombre et le type de logements dans un immeuble plutôt que sur la valeur de l’immeuble lui-même? Comme ça, on motiverait les villes à maximiser l’offre de toits disponibles à sa population, plutôt qu’à maximiser la richesse des propriétaires fonciers qui s’accroît avec la demande pour des logements. Dans un contexte de pénurie, ça pourrait peut-être donner un bon coup de barre.