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Pourquoi les déficits avantagent les riches

Quand l’argent public paie des intérêts privés.

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Le gouvernement Carney vient de déposer son dernier budget qui prévoit un déficit de 78 milliards $, qui s’ajoute à la dette actuelle de 1 281 milliards $. Le reste du scénario est écrit d’avance : les conservateurs s’insurgent de la dette qu’ils vont qualifier d’irresponsable et les progressistes vont les ignorer, croyant que leurs adversaires représentent des riches qui veulent payer moins de taxes. (Je n’ai pas encore lu le budget, ma chronique ne le concerne donc pas directement.)

Mais comme dans tout, la nuance est de mise. Alors, permettez-moi de vous proposer une idée à contre-courant, mais qui est tout de même digne d’intérêt : la dette, elle sert surtout les ultrariches.

La dette publique vue par le créancier

Économiquement, le principe est simple. Fondamentalement, un gouvernement n’a que deux moyens de se financer : (1) les taxes et impôts, et (2) la vente de biens et services monopolisés par le gouvernement. En pratique, contrairement au gouvernement du Québec, le gouvernement fédéral verse presque seulement dans la première option. Vous remarquerez que l’endettement ne figure pas parmi les options, parce que l’endettement n’est en réalité qu’un financement différé dans le temps qui devra être soit repayé par un des deux moyens précédents ou refinancé par une nouvelle dette qui répète le processus.

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Quand le gouvernement s’endette, essentiellement, il achète de l’argent aujourd’hui en échange d’un paiement plus important plus tard – récolté à partir de taxes et d’impôts – à son créancier. Jusqu’ici, je sais bien que je n’apprends rien à personne, mais c’est important de le mentionner pour mieux comprendre le point de vue du prêteur :

celui qui prête au gouvernement est essentiellement en train d’acheter d’avance une part des taxes et impôts à récolter par le gouvernement dans le futur.

Et qui achète cette dette du gouvernement? Il existe des fonds de pension et de petites épargnes dans des REERs, oui, mais dans le contexte actuel de l’écart croissant entre les ultrariches et tout le reste du monde, une part importante (mais difficile à quantifier exactement) de cette dette est achetée par des institutions financières qui opèrent directement ou indirectement pour de très (très) grandes fortunes privées.

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Bref, dans le contexte économique actuel, l’expansion constante de la dette, c’est l’achat de nos taxes et impôts futurs par ceux qui semblent toujours s’en sortir gagnant pendant que le reste d’entre nous peine à survivre à l’inflation et nous résignons à être locataires permanents dans des immeubles qui appartiennent à ces mêmes gagnants perpétuels.

En défense de la dette?

Soyons juste : oui, la dette sert, entre autres, à financer les services dont dépendent les plus vulnérables d’entre nous pour vivre dignement et se remettre sur pied. Et oui, la part la plus importante des taxes et impôts est payée par les plus aisés d’entre nous. On pourrait donc y voir une certaine forme d’équité sociale : la dette, c’est essentiellement les riches qui payent leurs impôts d’avance en achetant de la dette fédérale aujourd’hui contre un retour qui aura l’effet économique d’un rabais d’impôt futur.

Mais cette explication me laisse un goût amer. Si on croit – avec raison, je dirais – que les services offerts à ceux qui en ont besoin font partie du droit de chaque membre de notre société de vivre dignement, notre organisation économique devrait considérer que c’est le plancher des dépenses à être assumées par la collectivité, et pas comme un bien que l’on vend à ceux qui peuvent se le permettre. Pour les ultrariches, payer « sa juste part », ça ne devrait pas vouloir dire l’acheter au rabais pour le futur.

Et surtout, il ne faut pas s’imaginer que les riches sont tous pareils ; il y a plusieurs niveaux de riches.

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Un professionnel qui gagne 250 000 $ par année appartient à la classe aisée (et le 1%) et peut facilement être qualifié de « riche », et c’est surtout cette classe qui paie une part disproportionnée (mais pas injuste pour autant) de taxes et d’impôts. Mais ça, c’est des pinottes en comparaison avec la richesse des multi-milliardaires de ce monde – le 0,01 % – qui eux peuvent s’acheter des rabais d’impôt à grande échelle. Le riche du 1 % a beau être loin de la réalité de ceux qui en arrachent à la fin du mois, il en est néanmoins beaucoup plus proche (et vivra probablement dans la même société) qu’il ne l’est de celui dont la fortune fait bouger des gouvernements.

Les dette est un outil

Avant de s’emballer, soyons clair : ceci n’est pas un endossement de l’austérité, une politique économique visant à couper dans les services aux plus vulnérables pour éviter l’endettement.

L’austérité nous appauvrit tous ; on vend les pauvres aux riches pour les exclure de la classe moyenne et du chemin vers la richesse.

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La dette est d’abord un outil et les gouvernements ont des raisons légitimes de s’endetter, et en modération, elle peut stimuler notre richesse collective et individuelle. L’endettement public, quand la politique associée est bien pensée, peut même avoir un effet de redistribution équitable de la richesse et de la valeur créée par une société. Ceci n’est donc pas un argumentaire anti-dette, non plus.

Ce texte a plutôt pour but de lancer un avertissement collectif d’un point de vue progressiste sur la dette : si la classe moyenne n’a un jour plus les moyens d’épargner et d’investir, l’endettement aura simplement l’effet de concentrer encore plus la richesse entre les mains de gens qui, souvent, ne partagent pas notre société.

(Et sur ce, je vais maintenant lire le budget.)

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