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Pourquoi la psychothérapie n’est-elle pas couverte par la RAMQ ?

Techniquement, elle l’est. Mais pas dans tous les cas.

Par
Sarah-Florence Benjamin
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Les deux dernières années n’ont pas été tendres avec notre moral. La pandémie a accéléré une tendance observée depuis plusieurs années: on souffre de plus en plus de détresse psychologique au Québec.

M’étant retrouvée, comme beaucoup d’autres, avec beaucoup plus de temps pour faire de l’introspection en plus d’un épuisement professionnel que je traînais depuis des années, je me suis enfin décidée à faire usage des services psychologiques de mon université. Une fois arrivée à la fin du nombre de rencontres permises par le service, je n’avais fait qu’effleurer la surface de problèmes pas mal plus complexes et profonds que je n’aurais cru.

Si je voulais continuer le travail, il fallait continuer en pratique privée. À 100$ la séance, j’ai dû faire une croix là-dessus. «Je t’appellerai quand je serai riche», ai-je dit à ma psy lors de notre dernière rencontre.

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Ma situation reflète bien l’état de l’accessibilité aux soins de santé psychologique au Québec. Les soins gratuits ou à prix réduit existent, mais ils demeurent insuffisants pour répondre aux besoins. Un rapport présenté au Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE) en 2016 est arrivé à ce constat: «pour une partie importante de la population, ce n’est pas le besoin de santé qui détermine l’accès, mais sa capacité de payer.»

À 100$ la séance, j’ai dû faire une croix là-dessus. «Je t’appellerai quand je serai riche», ai-je dit à ma psy lors de notre dernière rencontre.

Lorsqu’on n’a pas les moyens de consulter au privé, on peut attendre jusqu’à un an pour recevoir un service au public.

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L’importance de la santé mentale est de plus en plus reconnue, ainsi que l’efficacité de la psychothérapie comme traitement. Pourtant, une étude de Statistique Canada montre qu’en 2018, 2,3 millions de Canadien·ne·s se disaient insatisfait·e·s de soins reçus en santé mentale, le manque de moyens financiers étant cité comme une des raisons principales de leur mécontentement.

Comment se fait-il que, dans un pays reconnu pour son régime de santé public, il soit encore aussi difficile d’obtenir des services en psychothérapie?

Disparités entre le public et le privé

Les services en psychothérapie sont couverts par l’assurance maladie, au même titre que ceux en santé, tant qu’ils sont donnés par des médecins, psychologues ou psychothérapeutes reconnu·e·s dans un établissement public, comme un hôpital ou un CLSC. De plus, c’est au Québec qu’on retrouve le plus grand ratio de psychologues par habitant au pays.

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Et près de la moitié des professionnel·le·s en santé mentale du Canada exercent au Québec. Où est le problème, alors? Eh bien 55% d’entre elleux pratiquent en cabinet privé.

Les frais déboursés pour des services au privé (autour de 100$ pour une séance de 50 minutes) ne sont remboursés par l’État que sous certaines conditions. Les soins et diagnostics prodigués en milieu hospitalier sont couverts, et c’est aussi le cas pour les services à l’intention de populations ciblées par des programmes spéciaux: les victimes d’actes criminels, les victimes d’accident de la route et les victimes d’accidents du travail.

Pour les gens qui n’entrent pas dans ces catégories, il faut payer de sa poche pour ces services ou se faire rembourser par une assurance privée.

Dans les cas où la psychothérapie est offerte par un·e professionnel·le accrédité·e autre qu’un·e psychologue ou travailleur·se social·e, elle n’est même pas exemptée de taxes au fédéral (TPS et TVQ). Cette incongruité s’explique par le fait que la thérapie offerte par ces professionnel·le·s peut prendre un autre nom dans certaines province canadiennes (le counseling, par exemple), ce qui a pour effet de la bloquer de l’exemption.

L’attente peut durer plus de six mois et, dans certains cas, plus d’un an.

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Pour le tiers des Canadien·ne·s qui n’ont pas accès à une assurance par le biais de leur famille, leur emploi ou leurs études, cela fait maintenant plusieurs années que l’on constate que le réseau public peine à répondre aux besoins urgents.

D’abord, pour avoir accès à des services, il faut passer par le Guichet d’accès en santé mentale adulte (GASMA) de sa région. Le temps d’attente pour passer une évaluation et être dirigé·e vers le service approprié varie grandement selon le GASMA auquel on doit s’adresser. L’attente peut durer plus de six mois et, dans certains cas, plus d’un an. Selon une enquête de La Presse, près de 2000 personnes étaient inscrites à la liste d’attente du guichet de l’est de Montréal en 2020. On y révèle aussi que, afin de vider les listes, certaines institutions ferment très rapidement les dossiers ou offrent un nombre de séances réduit pour accélérer le processus.

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Des inégalités qui coûtent cher

Les conséquences de cette iniquité dans l’accès aux services sont immenses, tant du côté humain qu’économique. D’après l’Institut national de santé publique du Québec, 12% de la population reçoit un diagnostic de trouble mental chaque année. C’est près d’un million de personnes. Les problèmes de santé mentale font partie des causes premières d’invalidité et d’absentéisme, 30 à 50 % des absences de longue durée étant attribuables aux troubles anxieux et à la dépression.

Pour chaque dollar investi dans les services en santé mentale, on en économise deux en frais médicaux et en retombées fiscales.

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Selon le rapport présenté au CSBE, «près de 44% (17,8 M$) des coûts engendrés en assurance salaire étaient liés aux demandes d’invalidité pour un problème de santé mentale». Faute d’avoir accès à des services au moment où iels en ont besoin, les personnes sans assurance peuvent voir leur situation se détériorer. Les troubles de santé mentale non traités causent d’autres problèmes de santé en plus de revenir de manière chronique, ce qui engendre un fardeau beaucoup plus lourd pour le système de santé que ne l’aurait fait une intervention en amont.

Les recherches s’entendent pour dire que rendre les traitements en santé mentale accessibles à toustes coûte moins cher que d’attendre que la situation des personnes touchées se détériore jusqu’à nécessiter des interventions aux urgences pour des crises majeures. Chez les jeunes, un traitement adapté et précoce pour des problèmes de santé mentale peut leur faire économiser jusqu’à 280 000 $ en traitements pour le reste de leur vie. Pour chaque dollar investi dans les services en santé mentale, on en économise deux en frais médicaux et en retombées fiscales.

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Et maintenant?

Le Commissaire à la santé est au bien-être recommande depuis 2012 que la psychothérapie soit plus largement couverte par le régime d’assurance publique. Les différentes barrières à l’accessibilité des soins en santé mentale compliquent cependant la tâche.

Si on souhaite que les soins en santé mentale soient aussi accessibles que ceux en santé physique, il faut donner autant d’importance aux problèmes de santé mentale qu’aux autres maladies.

Le modèle britannique d’accès aux soins psychologiques a été louangé à sa mise en place en 2007, promettant des services en psychothérapies payés par l’État. Il a cependant été critiqué depuis, pour une approche automatisée et formatée qui donne peu de flexibilité aux psychologues appelé·e·s à traiter la clientèle.

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Si on souhaite que les soins en santé mentale soient aussi accessibles que ceux en santé physique, il faut donner autant d’importance aux problèmes de santé mentale qu’aux autres maladies. Les tabous et préjugés entourant la santé mentale poussent encore trop de gens à ne pas chercher d’aide ou à facilement se décourager devant les files d’attente des services publics. Cette méconnaissance de la santé mentale explique pourquoi la psychothérapie n’a pas été incluse dans les paniers d’assurance maladie à leur création. Cependant, il est maintenant reconnu que dans une majorité de cas, la psychothérapie est aussi efficace, même plus, que la médication.

Dans son rapport, le Collectif pour l’accès à la psychothérapie suggère de rembourser toustes les professionnel·le·s reconnu·e·s offrant des services de psychothérapie dans le cadre du régime d’assurance maladie public. Cette mesure permettrait de mettre à profit les psychologues œuvrant en cabinet privé pour élargir considérablement l’offre de services. Le CAP suggère de financer cette mesure en imitant le fonctionnement de l’assurance médicale ou de l’assurance-médicaments, soit en faisant participer la population entière ou la partie de celle-ci qui n’a pas accès à une assurance privée.

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À une époque où on se rend compte plus que jamais de la gravité et l’étendue des problèmes de santé mentale, un accès équitable et universel aux soins psychologiques a toutes les chances de permettre de sauver de l’argent, mais surtout de nombreuses vies.

Cet article a été modifié le 13 septembre 2021 pour y ajouter plus d’information à propos de la taxation des thérapies.