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Pourquoi est-ce si difficile de se reposer?
Vous sentez-vous coupable de prendre des pauses? Avez-vous l’impression que votre temps de repos est calculé et davantage un luxe à vous offrir qu’un droit à mettre en pratique? Se reposer est-il angoissant pour vous? Élaborez-vous votre horaire en fonction du moment le plus « productif » ou opportun pour vous reposer?
Vous n’êtes pas les seul.e.s. Il semble désormais impossible de jouir d’un repos véritablement réparateur sous l’emprise d’un système valorisant consommation et productivité.
La méritocratie du bien-être
À travers des slogans motivationnels de type « Je n’ai pas rêvé au succès, j’ai travaillé pour » qui semblent vouloir nous convaincre que chaque objectif est réalisable à coups de dur labeur, tout semble pointer vers le fait que le répit est une béquille à la réussite. Certain.e.s vont avaler ces citations à la pelle, les afficher en fond d’écran ou les scander devant chaque obstacle, petit ou grand.
S’en servir abondamment, c’est une façon de prendre part à la culture du hustle, qui exhorte ses fidèles à travailler le plus possible pour accomplir leurs objectifs. C’est motivant pour certain.e.s, mais pour beaucoup d’autres, cette pression de performance peut faire naître un sentiment d’incompétence ou celui de s’inventer des excuses quand ils et elles n’arrivent pas à atteindre leurs buts.
Or, certaines barrières hors de notre contrôle (la santé physique ou mentale, par exemple) se dressent parfois devant nos objectifs professionnels. Ce n’est pas tout le monde qui a les dispositions financières et médicales pour réussir – des fois (souvent), la réussite et la richesse, c’est une question de chance et de privilège, pas de productivité.
Il ne faut pas oublier que les riches PDG aux horaires bien chargés reçoivent de l’aide : vous n’avez pas besoin de vous comparer à eux et elles pour aspirer à une pause. « Ceux qu’on considère comme des superwoman et des superman ne sont pas tout seuls », rappelle en ce sens Émilie Viens, experte en planification et spécialiste en saine productivité.
C’est bien d’aspirer à la productivité, mais on semble avoir intégré l’idée qu’on doit se reposer le moins possible, ou du moins, travailler suffisamment pour avoir droit au répit. Comme on dit, « the grind never stops » (ou « le boulot n’arrête jamais », qui est un peu moins accrocheur lorsque traduit, j’en conviens), un slogan qui nous fait comprendre que le repos et le bien-être doivent être mérités.
« La société encourage tellement le surmenage qu’on n’est pas habitué à se reposer », souligne Émilie Viens. La culpabilité liée au repos est donc totalement normale.
Alors est-ce qu’on devrait travailler malsainement pour mériter une pause (qu’on aura ensuite tendance à regretter), ou on pourrait juste… se reposer quand on en ressent le besoin?
Trucs de repos de pro
Je remarque que les moments que je m’accorde consciemment pour prendre des pauses sont rarement pleinement réparateurs ou satisfaisants. Des fois, je me donne un après-midi de répit parce que je sais que c’est le seul moment dans ma semaine où j’ai le temps de le faire, et non parce que c’est le moment où j’en ai réellement besoin. Souvent, je me repose avec une culpabilité impossible à secouer; mon temps serait-il mieux investi à travailler, en ce moment? Et la question qui tue revient toujours : ai-je vraiment besoin d’une pause?
Voici donc les conseils d’Émilie Viens pour reprendre le contrôle sur notre temps de repos.
Premièrement, il faut se rappeler pourquoi on prend une pause. Généralement, lorsque cette pause a une raison d’être, elle est plus facile à valider. Que ce soit la volonté de retirer des connaissances du livre qui prend la poussière sur notre table de chevet ou de simplement prendre conscience que se reposer nous aide à mieux performer ensuite, savoir pourquoi on se repose « peut nous aider à se déculpabiliser », estime Émilie Viens.
Par ailleurs, écouter son corps est le meilleur moyen de s’assurer que la pause est de mise : la fatigue et la distraction facile ne mentent pas. Émile Viens privilégie aussi les pauses fréquentes, citant une étude voulant que c’est en moyenne après une cinquantaine de minutes de concentration que le cerveau nécessite un temps d’arrêt.
Finalement, elle recommande d’optimiser « les périodes de génie », c’est-à-dire les moments de la journée où l’on est le plus productif.ve, en prenant des pauses un peu avant et un peu après ces périodes. Et finalement, se donner la permission de ralentir à la fin de la journée et de « déconnecter » est le meilleur moyen d’avoir un sommeil réparateur.
Tout compte fait, prendre des pauses, c’est productif aussi. « Bien des gens ne font pas la distinction entre être productif et être occupé », soutient Émilie. Et des fois, ce qui est le plus productif, c’est se reposer, donc ne rien faire, finalement.
Le repos est-il devenu un bien de luxe?
Saviez-vous que l’industrie du bien-être (« wellness industry ») a aussi écopé des dommages collatéraux du système capitaliste? Le bien-être est devenu un concept marchand qui promet longévité et paix d’esprit à ceux et celles qui veulent bien sortir leur portefeuille.
C’est important de le mentionner, parce que cette industrie à la valeur estimée de quatre milliards et demi de dollars nous vend à la fois le mirage du repos et une panoplie d’options pour le mettre en pratique. Et elle réussit si bien qu’on peut se poser la question : sans s’adonner aux plaisirs du bien-être, notre repos, nos temps de pause en valent-ils la peine? Pour se reposer, doit-on absolument piger dans notre compte bancaire?
Ce phénomène met en lumière que ce sont les plus riches qui ont accès au (faux) luxe du repos. Non seulement en raison de leur capacité financière à prendre congé, mais aussi de leurs façons de profiter de ce temps de repos « bien mérité » : journée de spa, retraites de yoga et massages de pieds, pour en nommer quelques-uns. Plus l’évasion est dispendieuse, plus elle serait réparatrice. Ce que j’entends, c’est que plus on est riche, plus il devient facile de se reposer.
Et comment devient-on riche? En travaillant sans relâche, bien sûr. Du moins, selon la légende capitaliste.
La vérité, c’est que pour éviter l’épuisement professionnel, ça prend beaucoup plus qu’une session de yoga.
Même si les activités promues par l’industrie du bien-être sont glorifiées et valorisées, « on n’a pas besoin de débourser pour se reposer », croit Émilie Viens, qui suggère de se reconnecter à nos activités préférées (ou ce qu’on aimait faire avant que la vie d’adulte prenne toute la place). Elle mentionne que pour elle, c’est se promener dans une librairie sans même acheter de livre qui la rend heureuse : il suffit donc « de mettre le doigt sur ce qui nous énergise ».
Nombreux sont les ouvrages qui expliquent (et critiquent) le capitalisme qui perce à travers les failles de l’industrie du bien-être. Outre le plan financier, le colonialisme a également infiltré certaines activités holistiques censées rallonger l’espérance de vie, blanchissant notamment des pratiques comme le yoga et la méditation. Les personnes issues des communautés racisées sont les premières à en souffrir; mais ce sera une histoire pour une autre fois.