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Pourquoi est-ce qu’on est si rapide à juger les gens qui ont de la difficulté à gérer leurs finances?
Quand les gens osent parler de leurs problèmes financiers, parfois à la recherche de solutions, on a tendance à les juger. «Coudonc, il n’avait pas prévu ça? Elle n’a pas pensé à épargner quand elle faisait 70 000$ par année? Comment ça se fait qu’ils n’ont pas d’argent pour les fournitures scolaires alors que les enfants ont chacun un iPhone? » Les comparaisons, la jalousie, la condescendance… il y a de quoi rendre frileux d’en parler.
Bienvenue aux incompris de la finance!
J’ai discuté avec Sarah et Catherine pour comprendre comment les difficultés financières étaient perçues dans leur entourage. Sarah a déjà eu maille à partir avec les compagnies de télécommunications pour des factures en retard. Mais on a surtout discuté de sa famille, qui l’a gentiment endossée pour une marge de crédit. Quant à Catherine, elle a pleuré en prenant conscience de ses dettes pendant une grande conversation autour du budget avec son chum (qui travaille en finance, aïe).
De grands écarts de richesse dans une famille recomposée
Sarah, elle-même dans une situation financière peu reluisante, vient d’une famille de cinq enfants recomposée. À cause de leur généalogie différente, certains sont de futurs héritiers de millions de dollars, mais Sarah, de pas grand-chose. Lors d’une discussion sur l’héritage d’un immeuble avec hypothèque, un de ses frères a voulu diminuer son stress en lui disant: «t’inquiète pas, je vais te racheter».
Et quand des membres de sa famille se permettent d’avoir une opinion sur son budget, ça peut être fatigant.
Ça sent la condescendance et ça passe un peu de travers. L’impression générale qui s’en dégage est celle de «réalités déconnectées» dans la famille, avec d’un côté, des gens qui ont eu un premier emploi à 20$ de l’heure et aucune dette d’études, et de l’autre, une impressionnante dette d’études et des jobines un peu moins l’fun.
Quand l’aide et les reproches vont main dans la main
Et Sarah n’ose pas demander directement de l’aide ou de l’argent à ses proches. D’ailleurs, elle n’a pas besoin d’apprendre à faire un budget. Son problème c’est de le respecter, et c’est vachement plus difficile.
Et quand des membres de sa famille se permettent d’avoir une opinion sur son budget, ça peut être fatigant.
Après avoir croisé sa sœur à la SAQ alors qu’elle achetait une bouteille de vin en prévision d’un souper de famille, Sarah a appris, plus tard et par sa mère, que sa sœur lui avait mentionné l’épisode en disant «qu’elle ne devrait pas dépenser là-dedans». Une belle communication fluide et transparente, quoi!
Les dettes d’études et les cartes de crédit
Catherine vivait dans l’insouciance. À la fin de ses études, elle avait accumulé environ 10 000$ de dettes, même en travaillant tout ce temps-là. Elle remplissait aussi sa carte de crédit, dont elle payait tout de même le minimum… et un peu (beaucoup) d’intérêts. Bref, un cas assez répandu, rien de trop extrême!
Elle attribue sa situation à un grand manque d’éducation, et probablement d’intérêt, pour les questions d’argent. Même si ses parents vivent sans dettes, ce n’est pas le genre de conversation qu’ils avaient à la maison.
Mais quand vous rencontrez quelqu’un qui travaille en finance… tout ça risque de changer! L’influence s’est vite fait sentir. Son chum a créé un budget avec elle, l’a aidée à prioriser ses dépenses et à «faire passer la coupe de cheveux après l’épicerie, mettons!».
Elle confie que ses enfants de 5 et 2 ans… ont plus d’épargne qu’elle!
«Parce que» c’est son chum, ç’a l’air qu’il a été fin avec elle et ne l’a pas trop «shamée».
Bien gérer son argent: ça ne veut pas dire ne pas avoir de vulnérabilité
Pour ceux qui l’ont plus facile avec l’argent, c’est souvent le fruit d’une éducation qui passe inaperçue: transmission de valeurs familiales, de richesse familiale qui aide à partir du bon pied, etc. Dans le fond, ils ont appris à se gérer (financièrement) comme du monde pendant toute leur enfance, mais ils ont du mal à comprendre que le processus puisse être plutôt long pour quelqu’un qui frappe un mur à 25 ans et commence son apprentissage sur le tard.
L’argent, en avoir et en vouloir toujours plus, changerait notre perception des autres.
Selon Catherine, même si l’exercice du budget (et la gênante exposition de sa mauvaise gestion à son chum) était stressant, il lui a finalement amené un certain soulagement parce qu’elle a réalisé qu’elle avait assez d’argent pour couvrir tout ce qui est important. Ce n’est pas facile tous les jours. À la blague (mais pas vraiment), elle confie que ses enfants de 5 et 2 ans… ont plus d’épargne qu’elle!
Les maux du siècle: l’affluenza et l’anorexie financière?
Terme popularisé aux États-Unis, «affluenza» est une contraction des mots «affluence» (richesse en anglais) et «influenza» (comme la grippe), et désigne une sorte de contamination à l’idéologie consumériste. L’argent, en avoir et en vouloir toujours plus, changerait notre perception des autres. Être riche diminue-t-il notre empathie, comme le laissent croire certaines études? Pas étonnant alors qu’être en bonne posture financière nous pousse à une certaine impatience ou intolérance envers ceux et celles qui ont du mal à gérer leur budget.
D’un autre côté, on a l’anorexie financière. La frugalité poussée à l’extrême, au point de s’empêcher de gagner beaucoup d’argent. Ne pas valoriser son expérience et ses compétences adéquatement et ne pas chercher un emploi ou des clients qui vont pouvoir générer une bonne rémunération en sont des symptômes. La richesse est honteuse. On juge parfois moins les autres que soi-même.
Par contre, ici, il est tout à fait possible de dépenser beaucoup pour des personnes qui nous sont chères, voire de s’endetter pour cela.
Il y a tellement de pression pour accumuler de l’argent et le montrer (flasher) que très peu de gens peuvent réellement parvenir à correspondre aux images qu’on nous vend un peu partout dans notre culture, des publicités bancaires aux émissions populaires. On se sent tout de même interpellé par l’idée de réussite qui vient avec le cash (c’est tentant, quand même).
Cette pression, on la subit et on la décharge parfois sur les autres, quand ils n’ont pas encore compris ce que nous on a compris. Mais ça ne les aide pas tellement, concrètement. Souffre-t-on collectivement d’affluenza?
Êtes-vous un incompris de la finance, ou avez-vous le mot «épargne» tatoué sur le coeur?