On entend souvent dire que gérer une entreprise d’alimentation est compliqué, coûteux et que ça se termine souvent en échec. Des chiffres semblent d’ailleurs supporter cette théorie. Mais il y a un type de commerce, en restauration, qui semble perdurer plus aisément : le café.
Si les cafés, en tant que lieu et débit de ladite boisson, existent dans le monde arabe depuis les années 1400, c’est avec le Café Procope à Paris, toujours ouvert depuis 1686, que les sociétés occidentales commencent à faire entrer le café dans leur quotidien. Espace communautaire et communal quotidien, on a tous un café préféré où on a nos habitudes, que ce soit pour lire, faire nos devoirs ou flatter des chats parce que notre proprio ne nous laisse pas en avoir chez nous. Il y en a à presque chaque coin de rue dans les grandes villes, et pourtant, ça ne semble pas empêcher de nouveaux cafés d’ouvrir leurs portes tous les jours.
Mais si la restauration est peu profitable, comment tenir un café peut-il avoir du sens d’un point de vue financier? Est-ce que le latté, souvent la boisson la plus chère sur le menu et la raison pour laquelle notre génération est si paumée selon les boomers, serait en cause? Essayons de faire un petit calcul du prix final de votre latté et d’évaluer si c’est vraiment si cher que ça.
Et si je m’ouvrais un café?
Si vous vous êtes déjà dit « Ça serait trop cool d’ouvrir un café un jour! », sachez que vous n’êtes pas seul.e, mais que ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air. Il ne s’agit pas simplement de préparer des cafés et de les servir : il faut créer un lieu agréable, paisible et chaleureux où les client.e.s ont envie de prendre leurs aises pendant plusieurs heures consécutives. Il faut aussi offrir des boissons de qualité, parce que si votre café goûte mauvais, vous n’irez pas très loin (ou vous pourriez finir par ouvrir 5 000 succursales dans le monde, c’est selon). Offrir aussi quelques trucs à grignoter n’est pas une mauvaise idée.
Un bon café, c’est tout ça et encore plus : c’est un grand ballet qui vous permettra de servir rapidement votre clientèle lors des périodes d’affluence. Ne devient pas cafetier ou cafetière qui veut! En plus de l’expertise nécessaire, cela demande un investissement moins important que, par exemple, un restaurant gastronomique, mais tout de même considérable.
Trouver le bon spot
Vous le savez, lorsqu’on veut ouvrir un commerce qui accueille une clientèle, il y a trois choses importantes à garder en tête : l’emplacement, l’emplacement et l’emplacement! Même si ça coûte plus cher, un local facilement accessible et avec beaucoup de trafic piétonnier va faire toute la différence entre succès et échec. Un peu comme pour un dépanneur, les gens ne vont pas faire de détour pour aller chercher un café chez vous si vous êtes loin de tout (sauf si, bien sûr, il y a autre chose qui rend votre café spécial).
Selon les données de l’Association nationale des cafetiers, un café indépendant vendrait en moyenne 250 tasses de café par jour.
Le coût du loyer, comme tous les autres frais, devrait idéalement être amorti dans le calcul de votre stratégie de tarification, qui elle-même devrait dépendre de votre emplacement. Si vous êtes le seul café dans le coin, vous pouvez vous permettre de charger un peu plus que s’il y en a un autre une rue plus loin.
À l’inverse, si vous ouvrez un café third wave dans un quartier défavorisé et que vous chargez 8,50 $ pour votre latté, c’est à la fois peu justifiable et très tone deaf. Vos client.e.s sont les gens qui vivent et travaillent dans le quartier : il faut connaître votre audience cible et s’assurer de répondre à ses besoins. Sans la communauté à l’entour, votre café ne fera pas long feu!
Selon les données de l’Association nationale des cafetiers, un café indépendant vendrait en moyenne 250 tasses de café par jour. Pour amortir le prix du loyer et des frais de maintien de l’établissement dans celui d’une tasse, on peut compter environ 1$ par tasse, selon l’emplacement.
Un produit dont la valeur n’a pas rattrapé le prix
La graine autour de laquelle tourne l’établissement au complet peut parfois être oubliée, entre la déco délurée et la musique de fond de certains cafés, mais ça reste la chose la plus importante. Fruit exotique, le café ne pousse que dans quelques endroits sur terre, et (drôle de coïncidence) presque exclusivement dans des pays où le salaire moyen dépasse rarement les 750 $ par mois.
C’est une pilule dure à avaler parce que la planète carbure à cette boisson, mais on ne paie pas assez cher notre café. Comme le rappelle Fairtrade Canada, « alors que l’industrie mondiale du café génère aujourd’hui plus de 200 milliards de dollars par an, le revenu moyen d’un agriculteur n’a pas évolué au cours des 20 dernières années – ou a même diminué si l’on tient compte de l’augmentation des coûts agricoles ».
La livre de 2 $ à la source en vaut maintenant près de… 20 $. À 10 g de café par tasse environ, on peut donc compter entre 75 centimes et un dollar par tasse pour le café.
En moyenne, le prix des grains de café achetés aux producteurs et productrices tourne autour d’un dollar par livre. Fairtrade estime que pour que ces fermiers et fermières puissent vivre de manière décente, il faudrait que le prix soit au moins le double. Seul problème avec ça, c’est que vous devrez faire passer la pilule à votre clientèle. Mais, si vous avez une clientèle qui comprend ce genre d’enjeux et qui est prête à payer quelques sous de plus par tasse pour un café vertueux et de haute qualité, vous devriez être en business.
Une fois acheminé, ce café doit être torréfié de main experte afin de développer les arômes désirés, puis emballé dans un joli sac bien brandé. La livre de 2 $ à la source en vaut maintenant près de… 20 $. À 10 g de café par tasse environ, on peut donc compter entre 75 centimes et un dollar par tasse pour le café.
Et tout le reste!
Ok, récapitulons : on a le prix du café et du lieu qui nous amène à environ 1,75 $. Pour faire un latté, il faut évidemment aussi du lait de vache (environ une tasse, soit 45 centimes) ou, si vous êtes trendy, d’avoine (environ 1 $), et du sirop aromatisé (45 centimes par once fluide).
Mais il y a aussi les employé.e.s à payer (et vous allez les payer comme du monde, right?) et le coût de l’équipement et des réparations. Il faut aussi un contenant pour ce joli latté : 7,50 $ pour 25 tasses en carton, des couvercles à 11 $ la centaine, et des manchons à 5 $ la centaine.
Recette d’un latté
Espresso (2 doses): 1,50 $
Lait de vache bio, une tasse: 0,45 $
Sirop aromatisé (2 doses): 0,90 $
Contenant: 0,45 $
Loyer, salaire et coûts ancillaires : 1 $
Coût total : 4,30 $
À 4,30 $, votre latté style Starbucks ne serait qu’un tout petit peu plus cher, celui du géant américain se détaillant à environ 3,65 $. Toutefois, votre café fictif servirait probablement un café plus artisanal, avec un meilleur contrôle de qualité et, assurément, plus d’esprit qu’un Starbucks moyen.
Vous remarquerez aussi que le prix de 4,30 $ ne fait que couvrir vos coûts, et n’inclut pas la marge de profit. De plus, plusieurs autres coûts entrent en compte dépendamment de votre type d’établissement : êtes-vous ouvert toute la journée? Vendez-vous aussi de l’alcool? Servez-vous des repas complets? Tout cela peut affecter la majoration que vous devrez appliquer sur le coût final de votre latté. Dépendamment des items pour lesquels vos client.e.s viennent dans votre établissement, le café pourrait même être un loss leader!
Les prix d’à peu près tout augmentent en ce moment, et le monde des cafés n’est pas épargné. Si le latté continue d’être parmi les items les plus chers sur les menus de ces établissements, ce n’est certainement pas celui qui rapporte le plus aux propriétaires.
Comme le café est une commodité presque essentielle à la survie de nos sociétés, nous avons décidé que les prix se devaient de rester bas. Mais si les cafetier.ère.s décidaient d’établir des prix de la même manière que d’autres industries, il y a fort à parier que les lattés seraient déjà beaucoup plus chers!