Connaissez-vous des gens qui vivent à 100 miles à l’heure, malgré le fait qu’ils soient parents?
Vous savez, ces personnes qui passent la moitié de leur temps dans un avion, travaillent sans arrêt ou assistent à des festivals une fin de semaine sur deux? Ça, c’est quand elles ne sont pas en train de donner une conférence sur « l’universalité de la communication numérique intermodale » à C2 Montréal. C’est pas une vraie affaire, essayez pas d’acheter des billets pour y aller. « Coudonc, ils viennent pas d’avoir un bébé, eux autres? », que j’écris avec un brin de jugement en message privé à une amie qui les connaît aussi.
Tant sur les médias sociaux que dans mon propre entourage, le phénomène des parents qui continuent de vivre comme s’ils n’avaient pas de progéniture semble en plein essor. Pour tenter de le comprendre, j’ai récolté quelques témoignages et en ai parlé avec le Dr Marc Pistorio, psychologue clinicien et auteur du livre Parent sécurisant, enfant sécurisé.
Mal évaluer la charge de travail
D’abord, bien que la plupart des gens qui attendent un bébé comprennent qu’ils auront à faire des sacrifices une fois le divin enfant arrivé, certains sous-estiment le travail et les responsabilités qui accompagnent leur futur rôle de parent.
En ligne, nombreuses sont les personnes qui s’épanchent sur ce qui les surprend le plus entre l’idée qu’elles s’étaient fait de la parentalité et la réalité une fois qu’elles ont les deux mains dedans. Alors qu’une internaute mentionne que sa maison est toujours en désordre, un autre n’en revient pas d’à quel point la routine est effrénée : « Tous les jours, c’est : lever, déjeuner, école, travail, retour à la maison, collation, livre, préparation du repas, souper, heure du dodo, tâches familiales, un peu de boulot, lit… »
Or, pour établir une relation de confiance avec son enfant, il faut du temps. Beaucoup de temps. Et pas seulement un 14 minutes ici et là entre un appel conférence et une sortie dans un 5 à 7.
Selon le Dr Pistorio, il faut être présent au quotidien auprès de ses enfants pour que des liens se tissent. « Au détour d’un jeu, d’une activité ludique où le parent se met en disponibilité de l’enfant, il y a des choses qui vont sortir spontanément. […] L’enfant a besoin de temps pour s’exprimer ou exprimer quelque chose qui le préoccupe », précise-t-il.
Comme le veut l’adage, « laisser le temps au temps ». C’est encore plus vrai quand on devient parent.
Des identités qui se confrontent
Un autre facteur qui peut expliquer la difficulté qu’éprouvent certaines personnes à s’adapter à leur nouvelle réalité consiste à conjuguer leur identité individuelle à celle de parent, ce qui peut mener à un conflit. Quand quelqu’un est habitué à une vie sociale très remplie où sorties au resto, activités sportives, voyages d’affaires et autres s’enchaînent sans fin, il peut être ardu d’y mettre un frein sans avoir l’impression qu’on ne profite pas pleinement de la vie.
Ici, le coupable est ce fameux FOMO (« Fear Of Missing Out »), encouragé par la société de performance dans laquelle on vit.
Le psychologue m’explique que les nouveaux parents ont parfois du mal à conjuguer ces réalités puisque cela nécessite « un réajustement profond de son mode de vie, de ses priorités, de sa disponibilité affective ». Il ajoute qu’une tension peut émerger entre le désir d’accomplissement personnel et la réalité parentale qui sont plus ou moins compatibles en termes de spontanéité et de liberté.
Un travail sur soi est par conséquent nécessaire pour assurer une transition tout en douceur, sans quoi il est possible qu’une personne regrette son choix d’avoir eu un enfant « qu’il ne verra que comme une limite plutôt qu’une opportunité de croissance et de maturité », selon le Dr Pistorio.
Passer du temps avec l’héritier ou l’héritière, ça ne sera jamais perdu. Promis.
Idéaliser la parentalité
En plus des gens qui sous-estiment le temps et les efforts nécessaires pour élever un enfant, il y a aussi ceux qui voient la parentalité avec beaucoup trop d’optimisme. « Ça va bien aller! On a un porte-bébé et une poussette, on va pouvoir l’emmener partout avec nous! », qu’ils se disent en voyant le verre d’eau pas mal plus qu’à moitié plein. S’il est vrai que des enfants sont plus « faciles » que d’autres et accompagnent plutôt bien leurs parents lors d’activités extérieures, il faut aussi mentionner que d’autres poupons nécessitent certaines attentions particulières, ce qui complique pas mal les choses lors d’une sortie au nouveau resto de votre chef influenceur préféré. (Allô, Laurent Dagenais!)
Sur Reddit, une utilisatrice parle de son amie qui veut désespérément des enfants, mais dont le conjoint n’est pas prêt à faire le saut parce qu’il souhaite profiter de sa liberté. Pour le convaincre, elle lui a dit qu’il était très possible de continuer à vivre de la même façon en trimballant les enfants partout, ce à quoi les internautes ont répondu que c’était faux. « Ce sont des paroles d’une personne très optimiste qui n’a pas d’enfants, lol », commente une mère. Ce à quoi un autre parent ajoute : « HAHAHAHAHAHA. Tu peux avoir une vie enrichissante et tes enfants peuvent t’accompagner à de nombreuses activités, mais ta vie ne sera plus la même. »
On a beau donner tout l’amour du monde au petit nouveau de la famille, le Dr Pistorio indique que ce n’est pas suffisant.
« Certains parents ont tendance à idéaliser la parentalité. Ils pensent que tant qu’on aime son enfant, ça suffit, parce que l’enfant va s’intégrer facilement à leur mode de vie. »
Il ajoute par ailleurs que des parents qui auraient une image dorée de la parentalité risquent de déchanter rapidement quand la réalité les rattrapera, ce qui pourrait les faire souffrir, eux et leurs enfants.
Donc, mieux vaut être réaliste et peut-être même voir le verre aux trois quarts vide, dans ce cas-ci.
Croire que l’enfant doit s’adapter à la vie de ses parents, et non l’inverse
Accueillir un enfant nécessite une grande capacité d’adaptation. Or, des parents semblent croire que c’est à leur futur bébé de s’adapter à leur mode de vie. « C’est le poupon qui arrive dans votre monde. Ne changez pas votre monde pour lui », suggère une publication sur les médias sociaux et relayée par une utilisatrice Reddit.
Bien qu’il soit possible d’intégrer la présence d’un petit être humain à sa vie sociale, il est impossible de ne pas y apporter des changements.
D’ailleurs, de nombreuses réponses à la publication soulignent son absurdité, mentionnant notamment que la fatigue qui accompagne la réalité parentale ne permet pas à une personne de faire tout ce qui occupait autrefois son emploi du temps ; qu’il faut tout de même un minimum d’ajustement, notamment pour planifier les activités en fonction des besoins de l’enfant.
Selon le Dr Pistorio, il relève de la désillusion de penser qu’une personne peut conserver la vie qu’elle avait avant d’être parent en forçant un enfant à s’y adapter. « Il faut savoir prendre en compte les besoins de l’enfant en fonction de sa personnalité, de sa sensibilité, de son intelligence, et pas l’inverse. Ce n’est pas l’enfant qui devrait s’ajuster aux parents, ce sont les parents qui devraient s’ajuster aux besoins de l’enfant », précise-t-il.
Désolé à tous ceux et celles dont la balloune vient de péter.
Comment ne pas frapper un mur
En terminant, le psychologue y va de quelques suggestions pour les personnes qui ont du mal à s’adapter à leur nouveau mode de vie, celles qui comptent fonder une famille prochainement, et d’autres qui attendent leur premier enfant.
Pour les nouveaux parents qui ont du mal à conjuguer leur vie personnelle et leur rôle auprès de leur progéniture, le Dr Pistorio conseille de prendre note des petits moments de bonheur qu’ils vivent en famille dans un journal de gratitude parentale, ce qui pourrait les amener à voir leur nouvelle vie familiale d’un œil plus positif. Il encourage ces personnes, pourvu qu’elles soient ouvertes à parler de leur situation – condition sine qua non –, à chercher des solutions au sein de groupes de parole, en thérapie ou en faisant du coaching parental.
Le psychologue propose aux proches d’une personne qui a de la difficulté à s’adapter à sa nouvelle réalité parentale d’éviter de tomber dans le jugement et de faire preuve d ’écoute. « Il faut garder une posture empathique et sortir du jugement facile qui serait : “Ben oui, mais cette personne ne savait-elle pas qu’en ayant un enfant, elle ne pourrait pas continuer à vivre comme ça?” », suggère-t-il.
Enfin, il incite les gens qui songent à avoir des enfants à ne pas hésiter à communiquer avec leur partenaire dans le cas où ils auraient un doute sur le projet, ce qui n’aurait pour effet que de repousser le problème à plus tard et le faire gonfler encore plus. « C’est un rôle tellement significatif, la parentalité, qu’on ne peut pas y entrer avec un doute, une peur qui n’est pas nommée », conclut-il.
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