Le Canada s’apprête à briller lors des Jeux olympiques de Paris. Une délégation de plusieurs dizaines d’athlètes va essayer de revenir au pays avec des médailles. Pour y arriver, il leur a fallu plusieurs années d’entraînement et de préparation.
Et ça, c’est pas gratuit.
S’ils sont conscients qu’il en a coûté des dizaines, si ce n’est pas des centaines de milliers de dollars, la cycliste Lyne Bessette, le plongeur Alexandre Despatie et le nageur Charles Francis sont incapables de chiffrer l’argent investi dans leur carrière sportive, qui les a menés à un ou plusieurs Jeux olympiques.
Tous les trois ont eu la chance d’être recrutés par des équipes nationales, qui ont défrayé une grande partie de la facture, d’avoir des commanditaires et des dons. Leur réalité est donc loin de celle d’autres athlètes frôlant le seuil de la pauvreté et devant travailler en parallèle pour espérer rêver d’une médaille.
Soutenus par leur communauté
Lyne Bessette a découvert sa vocation olympique sur le tard : elle avait 21 ans quand elle s’est mise au vélo, en 1995. Pour elle, le premier soutien de chaque athlète est celui de ses proches.
« Sans le soutien des gens de Sutton et des alentours qui ont cru en moi, je ne me serais pas rendue aussi loin », estime celle qui a pédalé lors des Jeux de Sydney (2000) et d’Athènes (2004).
« Les gens ont rapidement remarqué mon potentiel », explique celle qui a occupé divers emplois sur un terrain de golf, dans un restaurant et dans un centre de ski pour se payer son premier vélo, qui lui a coûté 1 500 $.
Pour financer son sport, elle lavait aussi des voitures ou se faisait payer son entrée à des compétitions par des voisins, par exemple.
« Le début de la conversation commence avec nos parents, soutient de son côté le plongeur Alexandre Despatie, qui a pris part aux Jeux de Sydney, Athènes, Beijing (2008) et Londres (2012). Ça commence avec des voyages à Québec, à Ottawa, par exemple, et ça entraîne son lot de dépenses. »
« Dans mon cas, j’ai été chanceux que mes parents aient eu la chance de pouvoir débourser pour me soutenir dans ma discipline, poursuit le double médaillé olympique. Pour de jeunes athlètes, la possibilité d’être financé tôt dans leur carrière peut faire la différence entre exploiter son potentiel ou devoir passer à côté. »
Diane Francis, la mère de Charles Francis, un membre de l’équipe canadienne de natation aux jeux de Londres, a organisé des collectes de fonds, ce qui lui a permis de récolter une somme annuelle oscillant de 10 000 $ à 15 000 $.
« Tout cet argent-là est passé dans le sport, indique Charles. Il ne restait rien, à la fin de l’année! »
Néanmoins, il confirme que les dons étaient plus faciles à solliciter d’année en année.
« Les gens voyaient que leur argent m’aidait à aller plus loin », se souvient-il.
Les chanceux ont un salaire…
Les trois athlètes indiquent que de se préparer à une compétition d’envergure mondiale est aussi exigeant qu’un travail à temps plein, sinon davantage.
Charles Francis estime avoir investi entre 40 et 50 heures par semaine dans sa discipline, et ce, pendant des années, alors qu’il était au sommet de son art. Difficile de conjuguer sa carrière d’athlète avec un emploi, donc, même à temps partiel.
Selon un sondage de Patrimoine Canadien, qui chapeaute les sports de haut niveau, 35 % du revenu moyen des athlètes provient d’un emploi. L’étude indique également qu’environ la moitié des athlètes travaillent, en plus de s’entraîner, pour un revenu d’emploi moyen de 10 074 $.
« La très grande majorité des athlètes doit travailler pour y arriver, constate Alexandre Despatie. C’est du temps qu’ils n’ont pas pour s’entraîner et pour maximiser leurs chances d’aller aux Jeux. »
Comme lui, Charles Francis n’a pas eu besoin d’un emploi, étant affilié à un centre national où la plupart de ses frais étaient payés. Une aide qui a crû au fur et à mesure qu’il se rapprochait de son rêve olympique.
« Cette aide-là faisait en sorte que des services m’étaient payés, donc je n’avais pas vraiment à me préoccuper de l’argent. En fait, je réalise à quel point la structure m’avait enlevé un poids sur les épaules », partage-t-il.
À ces services subventionnés s’ajoute un « salaire » mensuel, équivalent aujourd’hui à 1 765 $, via le Programme canadien d’aide aux athlètes, pour payer le loyer, la nourriture ou des traitements qui ne sont pas couverts par le centre national.
« Quand tu fais partie de l’équipe nationale, le gouvernement du Québec donnait aussi l’équivalent de 10 000 $ par année, mentionne Alexandre Despatie. Tout ça, non imposable. »
Pour sa part, Lyne Bessette touchait un salaire annuel ayant passé de 18 000 $ à 45 000 $ US lorsqu’elle faisait partie de l’Équipe Saturn, aux États-Unis.
Elle a toutefois trimé dur, pour en arriver là.
« Quand je n’allais pas à l’école, j’avais des jobs d’été, raconte la cycliste. Tout l’argent passait dans la compétition. »
Les trois athlètes expliquent que l’aide financière allouée varie selon le niveau de chacun. « Ce n’est pas parce que je m’entraînais avec quelqu’un d’autre qu’on bénéficiait du même financement », relève Charles Francis.
…Les autres, des dettes
Ce printemps, plusieurs athlètes olympiques ont réclamé une augmentation du financement qu’ils reçoivent du gouvernement fédéral. Certains ont témoigné devoir s’endetter pour payer les frais qui ne sont pas couverts par leur fédération sportive.
Patrimoine Canadien révélait qu’en 2018, les athlètes de haut niveau vivaient d’un revenu annuel moyen de 28 858 $.
En dollars ajustés, c’est beaucoup moins que le sommet de 32 950 $ qu’ils touchaient en 2004. On n’est pas si loin du seuil de la pauvreté, qui variait, en 2022, entre 15 926 $ et 24 347 $, selon la taille de la communauté dans laquelle elle vit, selon Statistique Canada.
L’étude démontre également que les athlètes ont des dépenses supérieures d’environ 22 000 $ à leurs revenus. Ce faisant, 18 % des athlètes ont dû contracter des prêts. Chez les 30 ans et plus, près d’un athlète sur trois (29 %) a emprunté.
Le gros lot des commandites
Les athlètes les plus chanceux bénéficient de commandites qui leur permettent de s’entraîner et d’évoluer dans leur discipline sans se soucier de l’aspect monétaire de leur vocation. Mais ils sont plutôt rares.
Le commanditaire le plus connu d’Alexandre Despatie a été la chaîne McDonald, qui l’a soutenu pendant 15 ans. « Je fais partie d’un cas exceptionnel et très rare », reconnaît le principal intéressé.
Lyne Bessette a, pour sa part, obtenu l’équivalent de 10 000 $ en épicerie pour une année par son commanditaire Rachelle-Béry.
« J’ai eu la chance d’avoir un agent qui m’a aidée à trouver des commandites en dehors de mon salaire, dit-elle. Ensuite, j’allais chercher une bourse quelque part pour trouver ce qu’il manquait. »
En effet, il existe plusieurs programmes de bourses pour lesquels les athlètes peuvent appliquer, ce qui leur permet, d’une année à l’autre, d’aller chercher un revenu supplémentaire.
Par exemple, le Fonds d’excellence des athlètes (FEA) du comité olympique canadien offre 5 000 $ par année pour soutenir les sportifs lors des années non olympiques.
Et gagner, dans tout ça? Oui, la victoire peut être payante. La FEA remet des sommes allant de 10 000 $ à 20 000 $ aux athlètes qui ramènent des médailles de bronze, d’argent ou d’or.
Et après?
Qu’ils reviennent au bercail avec ou sans médaille, vient un jour où les athlètes olympiques envisagent la retraite.
Après avoir investi temps et argent dans leur sport, ils peuvent connaître un passage à vide, avec le sentiment d’être en retard sur les autres personnes de leur âge.
« Je le confirme, certaines personnes dans le monde du sport en ont arraché une fois rendues à la retraite, parce qu’elles n’avaient pas pu faire leurs études ou pas assez préparé la suite », indique Alexandre Despaties.
Lui-même, malgré tout le soutien reçu, n’a pas les moyens de ne pas travailler. « J’ai eu la chance d’avoir un peu de marge de manœuvre, le temps de me placer dans le monde des médias, mais je dois quand même chercher mes prochains contrats », explique celui qui s’est tourné vers la communication.
De son côté, Charles Francis a effectué un retour aux études tout en nageant avec les Carabins de l’Université de Montréal. Une « transition progressive », qui l’a mené à fermer ce chapitre palpitant de sa vie.
Après quelques mandats ici et là, dont un passage de deux ans à la Chambre des communes comme députée, Lyne Bessette continue d’organiser et de prendre part à des événements sportifs.
« Je pense que ce qui m’a sauvée, c’est d’avoir été cycliste professionnelle, estime-t-elle. J’avais beaucoup de commandites. Autrement, j’aurais dû me trouver d’autres revenus. »