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Pour une meilleure représentation des étudiants racisés en santé à l’UdeM
Wolf Thyma est un élève d’origine haïtienne qui termine sa 3e année à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. La première fois qu’il a vu une médecin noire, il avait 22 ans. « J’ai d’abord présumé qu’elle était la secrétaire ou la réceptionniste avant de réaliser mon erreur », fait-il savoir, reconnaissant ses préjugés même envers sa propre communauté.
Il suffit de regarder les chiffres pour comprendre sa réflexion. À Montréal, la communauté noire est la minorité visible la plus importante formant 9,5% de la population. Pourtant, à la faculté de médecine de l’UdeM, la proportion d’étudiants issue de cette même communauté ne s’élève qu’à 2%.
Le Projet SEUR (Sensibilisation aux études, à l’université et à la recherche), parrainé par l’UdeM, et l’aile jeunesse de l’Association médicale des personnes de race noire du Québec (AMPRNQ) se sont associés pour se pencher sur la question. Le projet qui a vu le jour en décembre 2019 a pour «objectif d’accroitre la représentation des personnes de la communauté noire dans les domaines de la santé », explique Wolf qui fait également partie de l’aile jeunesse de l’AMPRNQ.
Pour y parvenir, un programme de mentorat jumelant un jeune du secondaire à un étudiant noir de la Faculté de médecine sera proposé à partir d’automne 2020.
Un cercle vicieux
Le Dr Jean-Michel Leduc, responsable du comité équité et diversité de la faculté, évoque notamment l’absence de modèle pour les jeunes de la communauté comme amplificateur du clivage. Un exemple qui fait écho à l’expérience qu’a vécue Wolf.
« Il est très difficile pour les gens de la communauté noire de s’imaginer atteindre certaines professions sans jamais avoir vu personne autour le faire », affirme d’ailleurs l’étudiant.
«On veut les encourager, leur fournir un modèle de réussite et leur donner les informations pour que leurs études soient un succès.»
Les études supérieures en santé peuvent alors leur sembler innacessibles. Les cheminements vers les programmes de science de la nature ou de la santé sont contingentés, ce qui pousse les candidats à une auto-sélection : « la médecine, ce n’est pas pour moi ».
Wolf le confirme, il existe beaucoup de fausses croyances en lien avec le coût et le temps nécessaire pour réussir. « C’est pour ça qu’il faut aller vers les jeunes de secondaire 4 ou 5. On veut les encourager, leur fournir un modèle de réussite et leur donner les informations pour que leurs études soient un succès. »
L’intérêt du programme
L’initiative vise à créer un safe space pour que le jeune mentoré puisse poser toutes ses questions, sans gêne. « C’est une façon de s’identifier aussi. Quand un jeune est jumelé avec un mentor qui a réussi, alors il peut se dire “pourquoi pas moi ?” », soutient Stéphanie Lebœuf, coordonnatrice du Projet SEUR.
Pour l’instant, l’aile jeunesse de l’AMPRNQ compte une dizaine de mentors aux profils variés, tous issus de l’UdeM. On retrouve des étudiants du 1er cycle, une résidente et une chercheuse dans le domaine de l’immunologie. L’idée est de diversifier au maximum le pool de mentor. « Si un jeune s’intéresse à l’ergothérapie, on voudrait pouvoir lui offrir la chance de parler à quelqu’un », précise Wolf. Il espère pouvoir compter plus de gens dans son équipe à partir de la rentrée.
S’inspirer des meilleurs
Si l’accent est mis sur la sensibilisation auprès des jeunes, la Faculté de médecine se remet également en question. « On va diversifier le comité d’admission et le pôle d’évaluateurs pour les entrevues d’admission en médecine », indique M. Leduc.
De ce côté, la Faculté de médecine de Toronto est en tête de file. Elle propose un programme de candidature optionnel pour les étudiants noirs ou les dossiers et les entretiens d’admission sont examinés par des médecins, professeurs ou étudiants de leur communauté.
« Au printemps 2021, un forum citoyen sera organisé avec les partenaires de la communauté, l’AMPRNQ et le Sommet socio-économique pour le développement des jeunes des communautés noires. On veut ensuite arriver avec un plan d’action », annonce M. Leduc en précisant que la solution mise en place à Toronto n’est pas écartée par la Faculté de médecine de l’UdeM.
«On commence à comprendre que la cote R est plus représentative du milieu dans lequel t’évolues plutôt que de tes capacités intellectuelles.»
L’importance attribuée à la cote R va également diminuer pour laisser plus de place aux expériences personnelles des étudiants. Cette mesure devrait être effective à l’UdeM en prévision du cycle d’admission 2021. Une nouvelle accueillie positivement par Wolf qui voit dans la cote R une des raisons pour lesquelles les cohortes sont si homogènes. « On commence à comprendre que la cote R est plus représentative du milieu dans lequel t’évolues plutôt que de tes capacités intellectuelles. »
En 2018, une étude menée par l’Association des facultés de médecine du Canada montre que 63% des étudiants viennent d’une famille dont le revenu est supérieur à 100 000$ par année, alors que seulement 7% ont un revenu familial annuel inférieur à 40 000$.
Le miroir de la société
Pour Wolf ce n’est pas seulement une question de diversité, c’en est une de vie ou de mort. Il explique que dans certains arrondissements comme Montréal-Nord, ce n’est que la moitié de la population qui a accès à un médecin de famille. « C’est pourtant très connu que des maladies chroniques comme l’hypertension ou le diabète se retrouvent dans ces communautés. S’il y a des complications, il est vital d’être suivi par un médecin de famille. » La population doit se sentir représentée par le corps médical. L’empathie est une chose, mais il faut également comprendre la réalité et le vécu des patients.
M. Leduc note que les étudiants diplômés issus de la diversité veulent à la fin de leur parcours scolaire retourner dans leur communauté pour donner des soins. Le docteur a confiance que d’ici les deux prochaines années on pourra voir des cohortes de médecins plus représentatives de la population.
« Il n’y a pas encore d’objectif chiffré quant à l’augmentation de la représentation des étudiants noirs en santé à l’UdeM, mais on veut faire plus que 2% », conclu-t-il.