Ce texte est extrait du Spécial BÉBÉS (#31 – Automne 2011) disponible sur la Boutique Urbania
La Maison Bleue, c’est une véritable maison où on prend soin des femmes enceintes et de leur famille. Des femmes pour la plupart immigrantes, vulnérables, qui souffrent de pauvreté, de solitude, de toxicomanie ou de violence.
Et parfois de tout ça en même temps. Des femmes qui vivent dans un contexte loin d’être idéal pour donner naissance à un bébé et qui ont besoin, à ce moment marquant de leur vie, d’une épaule sur laquelle s’appuyer.
En 2005, Amélie Sigouin travaillait comme éducatrice à la petite enfance. C’est durant son congé préventif de maternité qu’elle a imaginé et mis sur papier le projet de la Maison Bleue : une maison humaine, où les femmes enceintes vivant dans un contexte de vulnérabilité pourraient trouver du soutien et où les enfants seraient suivis en bas âge.
L’idée a germé lors de ses études en éducation, mais aussi lors des longues discussions avec sa mère, la Dre Vania Jimenez. À l’époque, celle-ci suivait des femmes enceintes au CLSC de Côte-des-Neiges. Le tandem mère-fille était donc témoin des problèmes qui se créaient très tôt dans la vie d’un enfant, mais n’avait aucun moyen de les empêcher. Un jour, le Dr Gilles Julien, un bon ami de la famille, leur a alors dit : «Quand je les reçois à 4-5 ans, ils ont déjà mal et sont déjà hypothéqués. Pourquoi vous n’intervenez pas durant la grossesse, histoire de prévenir les problèmes en amont? »
La mère et la fille ont mis leurs énergies en commun et entrepris de mettre leur projet sur pied. Deux ans plus tard, en 2007, grâce aux efforts de tout un chacun, la Maison Bleue ouvrait ses portes, dans l’ancienne maison du bedeau, rue Plamondon, à Côte-des-Neiges. Aujourd’hui, une centaine de familles sont suivies chaque année. Autour d’elles, une équipe de médecins-accoucheurs, de sages-femmes, de travailleuses sociales, d’éducatrices spécialisées et de bénévoles fait des pieds et des mains pour les aider.
La Maison Bleue Côte-des-Neiges connaît un tel succès qu’une deuxième Maison Bleue est maintenant ouverte depuis mai dernier dans Parc-Extension, sur la rue Querbes. Et ce n’est que le début.

Amélie Sigouin, directrice générale et cofondatrice
« Les femmes qui viennent à la Maison Bleue portent en elles à la fois ce qu’il y a de plus laid — leurs problèmes —, mais aussi ce qu’il y a de plus beau : un bébé. À la Maison Bleue, notre mandat, c’est de leur donner à la fois un nid et des ailes pendant et après leur grossesse. On leur donne des outils pour qu’elles soient autonomes et on leur donne aussi tout le soutien dont elles ont besoin. Prenons l’exemple d’une maman ex-prostituée ou ex-toxicomane, qui l’a pas eu facile dans la vie. Si elle rechute, elle va avoir besoin d’un filet. Nous, on ne la laissera pas tomber. On va tout le temps croire en elle. Mais au-delà de notre travail avec la mère, notre objectif, c’est le bonheur de leurs enfants. On veut que les petits loups soient le mieux possible, qu’ils ne partent pas en retard par rapport aux autres enfants dans la vie, malgré le fait qu’ils aient connu de la négligence ou l’abus dans leur milieu familial. C’est là qu’on s’en va .»
Isabelle, sage-femme
« À la Maison Bleue, je suis responsable des suivis de grossesse. C’est aussi moi qui donne les cours prénataux et qui s’occupe des visites à domicile pour aider les mères à accueillir leur bébé. L’éventail de femmes que je rencontre dans mon travail est très vaste. Certaines viennent tout juste de débarquer au pays, d’autres sont suivies par la DPJ. Certaines sont victimes de violence conjugale et d’autres ont des problèmes de toxicomanie. Il arrive aussi que je rencontre des femmes qui soient enceintes d’un viol. Ces mamans doivent recevoir une attention particulière et, surtout, être traitées avec beaucoup de délicatesse : elles ont besoin de soutien, de compassion, d’écoute et de solidarité. Si elles n’en reçoivent pas, elles ne pourront pas en donner à leur bébé en retour. Il ne faut pas oublier que l’enfant qu’elle porte est aussi victime du viol. Personne ne choisit de naître ainsi. Personne ne choisit que son père soit le violeur de sa mère. C’est pourquoi, au-delà de l’acte qui a été commis, il faut que la mère puisse accueillir son enfant, qu’elle puisse créer un lien d’attachement avec lui, afin qu’une complicité se développe entre eux. Leur bonheur est intimement relié : on ne peut pas avoir une belle grossesse et avoir un beau bébé en forme — physique et mentale — quand la mère est dans une situation de détresse. À la Maison Bleue, on est là pour l’aider à se sortir la tête de l’eau, pour l’aider à reconnaître ses forces et pour lui rappeler que la vie est bonne, que la vie est belle. Parfois, je dois me le rappeler moi aussi. Certaines histoires sont parfois tellement déchirantes qu’elles me font pleurer. »
Jessica et Antonio
« J’ai grandi et je vis toujours à Montréal-Nord. Quand j’étais plus jeune, j’ai eu un enfant, mais la DPJ me l’a enlevé, parce que j’avais des problèmes de consommation. Même chose pour mon deuxième, qu’ils sont venus m’enlever, dans mes bras, à l’hôpital. L’année passée, je suis tombée enceinte de mon troisième, avec mon nouveau chum, Antonio. Même si j’avais arrêté de consommer et que j’avais travaillé fort sur moi-même depuis ce temps-là, j’avais peur que la DPJ me l’enlève. Ça m’angoissait et j’en ai parlé à des travailleuses sociales de mon quartier que je connaissais depuis longtemps. Elles m’ont proposé d’aller à la Maison Bleue pour voir ce qu’ils pouvaient faire pour moi. Moi, je connaissais pas ça. La première fois que je suis entrée, j’étais gênée et je savais pas si je pouvais leur faire confiance. J’ai parlé avec la travailleuse sociale et j’ai tout de suite senti que leur approche était différente de la DPJ. À la Maison Bleue, ils sont vraiment là pour t’aider. J’ai décidé de leur faire confiance à mon tour et ils m’ont appuyée dans ma démarche pour garder mon enfant. À mon accouchement, la travailleuse de la Maison Bleue était là. Quand le monde de la DPJ est arrivé pour voir si tout se passait bien, ils ont vu que j’étais bien entourée. Ils se sont rendu compte que j’avais un filet de protection autour de moi s’il se passait quoi que ce soit. Sur place, ils ont finalement signé les papiers pour que je puisse garder mon bébé. Ça a été tout un soulagement. Je vais me souvenir de ce moment-là toute ma vie. Depuis mon accouchement, tout se passe bien. Je suis avec un père extraordinaire, qui prend soin moi. Le bébé est super calme. Comment ça va être dans cinq ans? Je ne le sais pas. Je vis un jour à la fois. Mais je sais que si la Maison Bleue n’avait pas été là, je n’aurais probablement pas pu garder mon bébé. Grâce à eux, j’ai eu une deuxième chance dans ma vie. »

Variane
« Le 14 novembre, j’ai quitté le Cameroun dans l’espoir d’une vie meilleure. Quand je suis arrivée au Canada, j’étais en retard dans mes règles. J’ai passé un test de grossesse et c’est là que j’ai découvert que j’étais enceinte. C’était tout ce que j’avais toujours souhaité. À l’époque, j’étais hébergée par des amis à moi. Après trois mois, ils m’ont mise dehors et ils ont coupé tout contact avec moi. Je me suis retrouvée seule. Complètement seule avec mon bébé dans le ventre. Je me suis mise à avoir des crises d’angoisse : je ne savais pas où j’allais accoucher ou encore qui allait s’occuper de moi, je ne savais même pas comment fonctionnait le système hospitalier. Au Cameroun, les femmes reçoivent du soutien de la part de leur mari ou de leur famille : là, je n’avais absolument personne pour m’aider. Imaginez arriver à l’hôpital sans personne, toute seule… C’est à ce moment que je suis allée au CLSC de mon quartier, Côte-des-Neiges. J’ai raconté mon histoire aux intervenants et ils m’ont référée à la Maison Bleue. Je ne savais pas ce que c’était. Ils m’ont dit : « Tu vas voir, c’est comme une famille, ils vont pouvoir t’aider.» Et c’est ce qui est arrivé. Dès que j’y suis entrée, j’ai senti que je n’étais plus seule. Deux mois avant mon accouchement, ils m’ont trouvé une accompagnatrice, qui m’a suivie jusqu’à terme et qui est venue avec moi à l’hôpital. Durant le travail, elle a pris soin de moi : elle m’a massée et m’a donné des trucs pour diminuer la douleur. Après l’accouchement, comme j’étais seule et très fatiguée, la Maison Bleue a envoyé quelqu’un pour m’aider à faire des courses et nettoyer ma maison. Je ne sais pas ce que j’aurais pu faire sans eux. Aujourd’hui, je vis dans un trois et demi dans Ahuntsic. C’est propre et c’est tranquille : je me sens mieux là-bas. Franchement, je pense que le pire est derrière moi. Le plus beau est à venir. »

Channable
« Je suis née sur l’Île de Saint-Vincent. En 1998, j’ai déménagé au Québec en espérant être plus heureuse. J’avais une petite fille d’un an, mais je n’ai pas pu l’emmener avec moi : elle a dû rester sur place, avec les autres membres de ma famille. Ça a été la pire épreuve de ma vie… À mon arrivée à Montréal, j’ai rencontré un autre homme avec qui j’ai eu trois enfants. Quand je suis tombée enceinte de mon troisième, je suis allée au CLSC et ils m’ont référée à la Maison Bleue. À l’époque, j’avais des problèmes à obtenir ma citoyenneté canadienne et ça me stressait beaucoup. Dès que je suis entrée, je me suis sentie bien. Je leur ai parlé de mon problème et ils m’ont aidée avec mes papiers. Ils ont même déboursé les frais pour que j’obtienne ma résidence permanente ! Pouvez-vous croire ? Après ça, ils m’ont aussi aidée dans mes démarches pour retrouver ma fille, que j’avais laissée à Saint-Vincent. Au mois d’avril, elle est venue me rejoindre au Canada. Elle a maintenant 14 ans. Je ne peux pas dire à quel point je leur suis reconnaissante. Pour moi, la Maison Bleue, c’est devenu ma deuxième maison. Aujourd’hui, dès que j’en ai l’occasion, je n’hésite pas à redonner aux autres femmes que je rencontre là-bas. Quand une de nous déménage ou a besoin d’un coup de main avec la peinture, on se mobilise et on lui donne un coup de main. C’est une famille. »
Vania Jimenez, médecin de famille et cofondatrice
« Même si la mission de la Maison Bleue n’est pas seulement centrée sur l’immigration, la grande majorité des femmes que nous accueillons sont des réfugiées ou des immigrantes récentes. Dans leur pays, ces mamans seraient prises en charge par leur communauté : elles auraient tout leur village autour d’elles pour les appuyer dans leur grossesse. Mais pas quand elles arrivent ici. Elles restent souvent dans leur ghetto, seule et démunie, avec leur enfant. Avec la Maison Bleue, j’ai l’impression de les aider dans leur trajectoire, mais surtout, d’avoir recréé un village autour d’elles. Entre ses murs, on y retrouve le même esprit communautaire, et je suis convaincue qu’on a créé un modèle qui fonctionne. Chaque semaine, je ne compte plus le nombre de success stories.»
(Photos par Julie Artacho)