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Profession : chasseur d’algues
Au-delà de nous faire gémir de dégoût lorsque nos pieds en effleurent dans l’eau, les algues sont particulièrement prisées pour leurs vertus nutritives et leur étonnante palette de saveurs diversifiées et délicieuses. Un engouement généralisé pour ces mystérieuses créatures aquatiques a d’ailleurs récemment déferlé sur le Québec, principalement chez les restaurateurs et restauratrices désirant colorer leurs assiettes. Je me suis donc penché sur le sujet pour en apprendre davantage sur le merveilleux périple des algues, de l’océan jusqu’à nos assiettes.
J’ai ainsi rencontré Antoine Nicolas, chasseur d’algues professionnel derrière l’entreprise Un océan de saveurs, qui cueille ces légumes de mer en apnée été comme hiver. Ce Breton d’origine a trouvé refuge en Gaspésie en 2011 pour poursuivre une formation en aquaculture dans le cadre d’une maîtrise en transformation des aliments. Comme bien des étrangers et étrangères, il a eu le coup de foudre pour notre belle province et principalement pour la Gaspésie, alors il s’y est installé définitivement.
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Allez hop! Trempette en apnée dans une eau congelée
Étonnamment, la chasse à l’algue ne prend aucun repos pour Antoine, même si la température est loin d’être invitante pour une baignade. Il précise que si l’eau de mer est à -2 degrés Celsius, ça signifie que l’air a une température ressentie de -50 degrés environ. « Seul un wetsuit adapté en néoprène basse densité thermoformé qui épouse la forme de mon corps est requis. Ça me permet de rester plusieurs heures dans l’eau, mais en hiver, trois heures me suffisent », me dit-il nonchalamment, alors que personnellement, je me vanterais clairement de cette force surhumaine face au froid.
Si l’eau de mer est à -2 degrés Celsius, ça signifie que l’air a une température ressentie de -50 degrés environ.
D’ailleurs, pour les plus téméraires d’entre vous qui désireraient plonger en apnée pendant l’hiver, Antoine ne recommande absolument pas le drysuit, puisque cet équipement agit comme une bulle d’air, et lorsqu’il se vide, le corps devient si lourd qu’il finit par couler au fond de l’eau.
Antoine plonge toujours en apnée : c’est beaucoup plus simple ainsi en raison de la présence peu profonde des algues sur le littoral (cette zone prise en sandwich entre la terre et la mer). « En temps normal, je travaille en plongeant de zéro à quatre mètres [de profondeur], et exceptionnellement jusqu’à sept mètres », m’explique-t-il.
De plus, même si ce serait plus sécuritaire pour alimenter ses poumons, le fondateur d’Un océan de saveurs n’utilise jamais la bonbonne d’air, car trop encombrante. « La bouteille reste un handicap en raison de son poids. Ce n’est pas pour rien que l’apnée se nomme free diving en anglais, autrement dit “plongée libre”, ce qui prend d’ailleurs tout son sens à mon avis. Je suis né avec deux bouteilles intégrées, alors je les utilise » me confie-t-il, des étoiles (de mer sans doute) dans les yeux.
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Le Français d’origine part à la chasse aux algues au large du Parc national Forillon, de Cloridorme jusqu’à Cap-aux-Os, ce qui lui offre 110 km de récolte régulée par des permis et des quotas. Pourtant, « la Gaspésie propose l’un des pires sites de cueillette au monde. J’exagère à peine », s’exclame le chasseur d’algues. Évidemment, je suis surpris. Dans ma tête, la nature gaspésienne est imbattable à tous les niveaux, mais c’est sûrement mon chauvinisme qui prend le dessus.
Bienvenue au cours de géologie marine 101
Pour comprendre tout ça, j’ai essayé de décortiquer le vocabulaire inhérent aux algues. De jolis mots qu’on a souvent déjà entendus, mais qui demeurent néanmoins obscurs quand vient le temps de les expliquer. D’abord, il existe trois familles d’algues : les rouges (riches en protéines), les vertes (gourmandes en magnésium) et les brunes (excellentes sources en iode, parfaites pour stimuler le système immunitaire).
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Ce qui explique que la côte gaspésienne ne soit pas le site idéal pour la chasse aux algues selon Antoine, c’est que les marées y sont très faibles. La péninsule offre peu de marnage aux algues, c’est-à-dire la différence verticale entre la marée haute et basse. Du coup, l’estran, cette bande de terre recouverte partiellement par la marée dépendamment de sa force, est peu présent. Or, celui-ci est primordial pour nos légumes de mer, qui ont besoin de beaucoup de lumière pour proliférer.
«On travaille dans un jardin sauvage : on a le droit de cueillir jusqu’à 25 % de cette belle flore»
En d’autres termes, les algues doivent partager leur vie entre l’air libre et l’eau en se retrouvant sur l’estran, mais le faible marnage restreint l’optimisation de ces conditions de vie. « À titre d’exemple, dans la baie de Fundy en Nouvelle-Écosse, il y a 21 mètres de marnage, ce qui laisse un espace de croissance de 10 km à la place de 150 mètres pour la Gaspésie », illustre le chasseur d’algues. Ouf, le vulgarisateur scientifique Martin Carli serait fier de moi! Enfin, j’espère…
Antoine a tout de même un vaste terrain de jeu pour cueillir sans que la ressource s’épuise, même si elle rencontre l’adversité dans sa prolifération. Par conséquent, l’entreprise Un océan de saveurs arbore fièrement l’écusson Fourchette bleue, signifiant qu’elle assure une saine gestion des ressources marines du Saint-Laurent. « On travaille dans un jardin sauvage : on a le droit de cueillir jusqu’à 25 % de cette belle flore pour permettre un réensemencement naturel », clarifie Antoine.
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« J’ai souvent mangé de la misère » : remporter son combat contre les algues
Au fil du temps, Antoine est parvenu à transformer les embûches géologiques de la Gaspésie en incitatifs encourageants. À sa première année d’existence, Un océan de saveurs a fait un maigre 550 $ de chiffre d’affaires. « Je n’ai pas désespéré : si la mise en marché est difficile, j’aurai forcément peu de compétiteurs », s’est-il dit.
Au départ, c’était la grande campagne de séduction auprès des restaurateurs et restauratrices, puisque les algues demeuraient un aliment étrange à leurs yeux. « J’ai passé la plus grande partie de mon temps à lancer des appels à des milliers de restaurants, et 0,5 % m’ont répondu », raconte-t-il.
Quelques années plus tard, il a réussi le pari audacieux de courtiser les dragons de l’émission Dans l’œil du dragon, qui lui ont remis 100 000 $ pour 25 % de son entreprise. Aujourd’hui, Un océan de saveurs est devenu une référence en matière d’algues au Québec. Si ce n’est pas le rêve américain, on pourrait dire qu’Antoine a vécu le rêve gaspésien!
Au terme de cette rencontre avec le chasseur d’algues renommé et de ma dégustation de son tartare gaspésien, j’ai bien hâte de mordre à grandes dents dans ces curieux produits marins, qu’ils soient frais, séchés ou en flocons. Autant les foodies que les plus difficiles d’entre nous y trouveront le bonheur!
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