Peut-on confier sa carrière à l’IA?

C’est sûr que vous avez récemment vu passer une des vidéos de Francis-William Rhéaume sur vos réseaux sociaux. Et, comme plusieurs, sur le coup, vous avez sûrement ri… pour ensuite avoir peur.

Générées par l’IA, ses vidéos sont à la fois drôles, étranges, et un peu trop bien faites. Elles sont issues d’une expérience que mène le comédien depuis quelques semaines alors qu’il tente de répondre à la question : l’intelligence artificielle pourrait-elle l’aider à décrocher le rôle de sa vie en 60 jours? Sous ses recommandations, il a ainsi fait une performance artistique à la Place des Arts, (presque) apporté des biscuits à l’équipe CCM (costumes-coiffure-maquillage) d’une production et a contacté des réalisateurs pour témoigner de son intérêt à travailler avec eux.

Ça peut paraître absurde, mais ça ne l’est pas tant que ça – parce que derrière l’aspect ludique de la démarche se trouve une question légitime : et si l’IA était en train de devenir meilleure que nous, même dans les métiers créatifs?

Francis-William a accepté de me rencontrer afin de me faire part de ses constats.

Considères-tu l’IA comme un ami ou un ennemi?

Je pense que, comme toute technologie, c’est possible de l’utiliser à bon ou à mauvais escient.

Pour répondre à ta question, c’est important que chaque personne qui utilise l’IA se forge son propre code moral et éthique. C’est en expérimentant qu’on développe ce genre de ligne directrice ; c’est pas dans l’abstrait ou en se contentant de voir ce qui se fait.

Tu as arrêté ton expérience après le jour 20 parce que l’IA te proposait des choses un peu trop farfelues. Cependant, penses-tu que l’IA aurait pu être un bon coach de carrière si tu avais persisté?

Si j’ai mené cette expérience avec un sourire en coin, parce qu’il y avait quelque chose d’absurde dans cette quête du rôle de ma vie, je dois admettre que certains conseils étaient judicieux.

Par exemple, je suis quelqu’un d’assez réservé sur un plateau de tournage. L’IA m’a suggéré d’apporter des biscuits sur un plateau – ce que je n’aurais jamais fait – parce que ça crée un sentiment de camaraderie. C’est le genre de geste qui est apprécié. Mais, quand c’est l’IA qui te dicte de faire ça, ça devient complètement absurde. Je me suis demandé : « Est-ce que je peux faire ça si c’est une IA qui me le conseille? Ça va être complètement désincarné… »

Sinon, les conseils étaient surtout axés sur mon branding d’acteur. Évidemment, dans cette optique, c’était complètement absurde, car l’IA se base sur des modèles prédictifs qui sont habituellement bons avec des statistiques ou des chiffres. C’était plutôt comique d’appliquer cette logique à une carrière d’acteur.

Alors, penses-tu que l’IA aurait pu faire de toi un meilleur comédien?

J’ai fait des tests avec une IA qui permet de téléverser des vidéos de jeu et de l’analyser. Un jour, j’ai dû réaliser un self-tape (une audition à la maison) et, par curiosité, je l’ai passé dans cette IA en lui demandant d’agir comme un coach d’acteur. L’outil ne m’a pas fourni de remarques superficielles ; il y avait une réelle analyse de l’intelligence du jeu, de la profondeur. L’IA soulignait mes bons et mes mauvais coups aux mêmes endroits que moi. Elle détectait les moments où j’étais moins connecté et évaluait la cohérence du personnage. Elle m’a aussi proposé des pistes auxquelles je n’aurais pas nécessairement pensé.

C’est fascinant, mais en même temps, c’est assez loin du travail d’acteur qui doit partir de soi. À l’école de théâtre, on nous dit qu’on offre quelque chose de sacré. Se faire guider par un robot, ça va un peu à l’encontre de cette idée.

As-tu l’impression que les comédiens générés par l’IA impressionnent plus le public que les comédiens humains?

Récemment, j’ai commencé à faire des vidéos générées avec V03, où l’on voit des acteurs parler. Les gens étaient fascinés. Je pense que c’est de la peur et une curiosité malsaine face à l’évolution rapide de l’ennemi qui pourrait potentiellement nous remplacer. Il y a là quelque chose qui fascine et qu’on déteste.

J’ai aussi constaté que le premier réflexe de plusieurs artistes, c’est de souligner les erreurs des IA, comme pour dire : « Non, nous sommes irremplaçables, le jeu est mauvais. » Je vois ça comme un mécanisme de défense. Oui, en ce moment, c’est faillible. Mais, dans deux secondes, ça ne le sera plus. Chaque semaine, il y a une nouvelle avancée. Il faut juste comprendre que c’est exponentiel et que nous aurons bientôt des acteurs générés par l’IA qui seront aussi bons que de vrais acteurs.

La bonne attitude à adopter pour un comédien, c’est de se dire qu’il n’y a rien d’aussi authentique qu’un humain ou d’essayer de comprendre l’IA?

Je pense qu’il faut explorer l’idée que les humains ne seront peut-être plus les seuls à être capables de créer. Et d’accepter qu’éventuellement, des machines puissent le faire. Il y aura de la création humaine et de la création par les robots.

Je pense que ça prendra beaucoup de travail pour l’accepter. Personnellement, c’est une question que je laisse se déposer en moi. Je ne suis pas sûr d’aimer ça, je ne suis pas sûr de l’accepter, mais je veux travailler à être en paix avec.

En ce moment, il y a un buzz autour de ce que tu fais avec l’intelligence artificielle. Après cette expérience, quelle place crois-tu que l’IA risque d’occuper dans ta pratique?

Je ne sais pas. Dans mon processus créatif, je me concentre souvent sur des choses, comme l’impression 3D ou la poterie. J’explore des sujets, une méthode, une matière ou un processus créatif de manière assez intense, pensant que ça va m’habiter longtemps. Puis, je frappe un mur et je prends mes distances pour y revenir plus tard. C’est très cyclique.

En ce moment, j’improvise beaucoup. Comme de nouvelles technologies apparaissent pratiquement chaque semaine ou chaque mois, je n’ai pour l’instant pas de plan.