Tout le tumulte que vous avez dû gérer pendant l’année vous donne peut-être envie de réserver une fin de semaine de camping improvisée cet été. Si vous avez parcouru les sites de réservation à maintes reprises dès l’arrivée du beau temps, vous avez pu constater que trouver un terrain de camping à la dernière minute pour le week-end est aussi rare que de la merde de pape.
Cette pénurie d’espaces où l’on entend à 7h du matin: «MICHEL! Lâche les mots croisés, le bacon est prêt!» vous force peut-être à vous intéresser au camping dit «sauvage». On ne parle pas ici du navet avec Guy A. Lepage et Sylvie Moreau, mais bien du piquage de tente au beau milieu du bois dans un endroit «non civilisé» pour avoir la sainte paix.
Si le concept peut sembler alléchant, une certaine marche à suivre s’impose pour s’assurer d’être respectueux tout en profitant des délices de Gaïa.
Installez-vous, on vous déroule le tapis qui vous mènera au succès.
Les terres de la Couronne : nombreuses, mais sectionnées
La première référence en termes d’endroit sauvage et légal où il serait agréable de camper, ce serait sur les terres publiques.
Saviez-vous que 92% du territoire québécois se compose de terres publiques?
Saviez-vous que 92% du territoire québécois se compose de terres publiques? Elles sont aussi appelées terres de la Couronne ou «terres du domaine de l’État». Non seulement ces territoires sont extrêmement vastes, mais ils sont accessibles à tous. Et cela, presque sans restrictions.
Mais on n’y fait pas non plus n’importe quoi, n’importe comment. C’est ce que m’a confirmé Sylvain Carrier, porte-parole du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles.
«Le territoire public accueille différents usages selon les secteurs. Certaines zones sont par exemple protégées pour la richesse de leur biodiversité, d’autres ont été reconnues comme parcs nationaux, alors que d’autres accueillent des projets, comme les grands barrages hydroélectriques, qui sont presque tous situés en territoire public», explique Sylvain Carrier.
En gros, sur les territoires publics, on peut trouver:
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- un terrain loué par un particulier sur lequel il/elle a construit un chalet ou une maison
- une ZEC (zone d’exploitation contrôlée)
- un parc national ou régional
- un camping, une pourvoirie ou un site de villégiature
- et peut-être même d’autres éléments, si le gouvernement a approuvé la chose
Donc, oui, ça restreint un peu pas mal l’accès gratuit au commun des mortels. Mais rappelons-nous que le territoire québécois s’étend sur 1 700 000km carrés. Il reste quand même encore en masse de place pour jouer à la cachette dans le noir et les buissons comme ça nous tente.
rappelons-nous que le territoire québécois s’étend sur 1 700 000km carrés.
Avant d’installer une couchette sur un tapis d’aiguilles de pin, vous devez savoir qu’il existe un autre joueur dans la gestion des terres publiques : les MRC (municipalités régionales de comté). «Le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles a signé plusieurs ententes de délégation avec des MRC afin qu’elles puissent prendre en charge une partie importante de la gestion des droits fonciers sur le territoire public. Elles ont, entre autres, le pouvoir de mettre en place une réglementation pour gérer les activités de camping sur le territoire public», affirme à ce sujet le porte-parole.
Par exemple, plus près de Montréal, la MRC Antoine-Labelle, dans les Laurentides, laisse les citoyen.ne.s camper sans frais de façon non permanente sur ses terres publiques, pourvu que le campement ne soit pas sur une ZEC ou sur le territoire d’un parc. Même son de cloche en vous éloignant encore un peu plus de la métropole, du côté de la MRC de la Haute-Côte-Nord.
Décoder les cartes
Mais encore faut-il les trouver, ces endroits non payants et regorgeant de joyaux de la nature. Ce n’est pas une chose simple.
Éric Charette a 49 ans, et ça fait 40 ans qu’il campe sur les terres publiques. En d’autres mots: il connaît ça.
«J’ai une grande famille, j’ai quatre enfants. J’adore le camping, mais pour une fin de semaine avec autant de personnes, je m’en sors pas en bas de 300$. C’est cher! Donc je me tourne vers les terres de la Couronne», explique le montréalais.
Éric est aussi l’administrateur d’un groupe Facebook «Activités sur les terres de la Couronne», où se rejoigne du monde qui cherche des endroits à visiter, des conseils pour bien les utiliser, ou tout simplement, pour les trouver.
«Ce que je conseille aux gens, c’est de prendre les cartes du gouvernement (qui ne sont pas extraordinaires, mais pas si pire que ça) et d’en prendre des captures d’écran ou de les télécharger en PDF. Ensuite, on peut les appliquer en filigrane sur Google Maps pour trouver des endroits légaux pour camper.» Ça ne se fait pas les doigts dans le nez, mais c’est déjà une bonne piste.
«Ce que je conseille aux gens, c’est de prendre les cartes du gouvernement et d’en prendre des captures d’écran ou de les télécharger en PDF».
Toutefois, il faut choisir la bonne carte! Certains plans sur le site du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles affichent les terres publiques globales, mais ce qu’on cherche pour ne pas se ramasser sur le territoire de la SÉPAQ ou chez Cécile et son barbec, ce sont les cartes 5 dans les Plans d’affectation du territoire (je vous le dis, on va l’avoir).
Selon Éric, il faut sélectionner les parties de la carte qui sont identifiées comme étant des zones à «utilisation multiple». Ce sont elles, les terres publiques sur lesquelles les Québécois.e.s peuvent sacrer après leur tente avant de dormir dans l’humidité. Bingo!
«À partir de là, c’est l’aventure. Ça peut arriver des fois que je me rende à un endroit que je pensais accessible, mais parfois, il n’y a pas de trail, c’est trop boueux, trop à pic… 80% de mon fun là-dedans, c’est de chercher de nouveaux espaces. Bien souvent, on réussit. Mais c’est à force d’en faire qu’on devient bon!», explique le père de famille.
Si, en partant utiliser de multiples façons les terres publiques, vous croisez un homme, sa femme et quatre enfants sur un quatre-roues gentiment surnommé «l’autobus de camping», vous saurez qu’il s’agit d’Éric. Par contre, les chances que vous croisiez quelqu’un dans ces espaces «sont rares en tabarouette»!
Je pense que vous lui devez une bière, en passant.
Les ZEC : «N’importe où, où ça te tente!»
63 ZEC sont dénombrées au Québec et elles couvrent à elles seules 48 000 km carrés de territoire. C’est le paradis des chasseurs et des pêcheurs dans la province, mais on peut aussi s’y rendre seulement pour camper.
Elles viennent combler le désavantage que comportent les terres publiques: pas de stress à savoir si votre abri MSR est placé ou non sur les territoires gouvernementaux. On est sûr que si on a passé par le poste d’accueil pour s’enregistrer, on a le droit d’être sur ce terrain. Et puis à partir de là, on peut s’installer n’importe où sur celui-ci!
Jérémie Perreault est un habitué du camping hors normes, loin des terrains de pétanques et des Noëls du campeur. Le photographe a découvert le camping sur les ZEC l’an dernier, avec la folie autour des campings et des SÉPAQ.
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«J’étais dernière minute et je n’avais rien booké. Je me suis dit que j’allais essayer les ZEC et j’ai découvert des endroits incroyables! Les gens à l’accueil sont surpris lorsqu’on leur dit qu’on ne vient que pour camper, ce n’est pas commun. Mais ce sont justement les meilleurs endroits parce qu’ils sont peu fréquentés», raconte Jérémie, des étoiles brillantes dans la voix.
Le petit hic avec les ZEC: il faut débourser un peu pour un droit de camper, qui tourne autour de 15 à 25$ par nuit. Mais selon Jérémie, ça en vaut largement la peine. «Les gens ont tendance à penser qu’il n’y a que les SÉPAQ qui sont hot au Québec. Mais si on a un peu le goût de l’aventure, on peut trouver mille fois mieux en allant un peu plus loin», affirme-t-il.
Et en plus, toutes les ZECs acceptent les chiens sur leur territoire! Si c’est pas beau, ça.
Bouche-à-oreille et web : les dernières armes qu’ils vous faut
Pour se trouver des spots de camping superbes et gratuits, Jérémie conseille d’avoir de bons contacts et d’être prêt à travailler un peu. Lui qui a traversé plusieurs fois le Canada d’est en ouest m’explique que c’est souvent en s’aventurant dans des no man’s land qu’il découvre des endroits où c’est possible de camper légalement, en ne dérangeant personne. Il sollicite lui aussi des services de la Silicon Valley pour se loger à l’extérieur.
«C’est parfois des amis qui me référent des endroits pour aller camper. Sinon, je me rends sur Google Maps, je choisis un secteur légal et je zoome avec la fonction satellite. Je cherche des espaces dégagés, souvent près des cours d’eau parce que ce sont des endroits généralement tranquilles. Après, il faut marcher pour aller voir si on peut s’y installer tout en respectant l’environnement», conseille-t-il.
«Je cherche des espaces dégagés, souvent près des cours d’eau parce que ce sont des endroits généralement tranquilles.»
Si vous désirez planter votre tente sur une berge, il faut toutefois savoir que l’organisme Sans Trace Canada recommande de camper à minimum 70 mètres d’une berge pour limiter au maximum notre impact sur la nature.
Une autre façon pour Jérémie de trouver des endroits où se loger pour une nuit ou deux gratuitement, c’est avec un site web. «C’était assez secret dans les dernières années, mais ça commence à être pas mal plus connu. Ça s’appelle freecampsite.net, et on y retrouve des endroits où des gens ont campé et donnent des commentaires sur leur séjour. Y a autant des vieux parkings de Walmart que des petits coins super beaux!», explique le photographe.
L’application iOverlander offre aussi ce genre de recommandations. Toutefois, il faut faire attention: ces emplacements ne se retrouvent pas assurément sur des terres publiques. Il est donc possible de trouver des spots de campings qui ne sont pas légaux.
Éric Charette observe qu’il est ironiquement plus facile de trouver des endroits où camper illégalement que l’inverse. «Les spots illégaux sont facilement accessibles parce qu’ils sont privés. C’est sûr qu’il va y avoir une route, un chemin pour y aller. Souvent, les gens ne savent pas qu’ils n’ont pas le droit et s’y rendent quand même», poursuit-il.
Et il y en a eu beaucoup, «des gens», depuis la pandémie. On a vu circuler dans les médias plusieurs représentant.e.s de municipalités qui ont déploré par le passé les comportements de personnes qui installaient leurs campements n’importe où sans se soucier de protéger la nature et de respecter les lois (on pense tout de suite à la foire de la Gaspésie de l’an dernier).
On les comprend. Le mieux à faire avant de partir en camping sauvage est d’avoir toujours les principes Sans Trace en tête. Ainsi que les sages conseils d’Éric Charette.
Pour Jérémie, le camping «sauvage» passe par une attention particulière aux comportements respectueux de ses pairs et de l’environnement. «Sois poli: si tu as la chance de fréquenter un endroit que quelqu’un d’autre t’a recommandé, fais-y attention. Observe autour de toi, peut-être que la nature est fragile ou que la végétation est sèche. Tu dois agir en conséquence. Aussi, c’est mieux de se faire subtil avec le strict minimum», recommande l’habitué des grands espaces.
On espère que la prochaine fois que vous serez sur un emplacement de camping sauvage gratuit, légal et que vous regarderez les étoiles, vous vous rappellerez de cette phrase qui veut tout dire de Jérémie: «Les meilleures rivières et les meilleures étoiles sont dans les endroits où peu de gens se sont donné la peine de venir les contempler».