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Pénurie de main-d’œuvre : pourquoi pas engager des ex-détenus?

En pleine crise d’emploi, les personnes judiciarisées se heurtent aux préjugés des employeurs, mais surtout des employés.

Par
Billy Eff
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Après avoir travaillé toute sa vie adulte dans l’industrie minière, des démêlés avec la justice conduisent Jean (nom fictif) en prison. À sa sortie, malgré son expérience, la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur et des CVs envoyés dans différents corps de métier, il ne parvient pas à obtenir d’emploi.

« À cause du dossier d’alcool au volant, ils pensent que je suis un alcoolique et à cause du dossier de voie de fait, ils croient que je suis violent. Le contexte dans lequel c’est arrivé est secondaire pour eux, ils voient ton dossier et te jugent là-dessus, même une fois que tu as purgé ta peine et que tu es jugé apte à réintégrer la société. »

Comme Jean, bon nombre d’ancien.ne.s détenu.e.s peinent à trouver un emploi après leur libération. Au-delà du simple inconvénient pour ces personnes, c’est un enjeu de société : on se prive d’employé.e.s qui ont de bonnes compétences. De plus, les données démontrent clairement que l’emploi est un facteur important dans la réintégration sociale, en plus de diminuer les chances de récidive.

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Pourtant, dans un sondage de 2021, seulement 28 % des employeurs québécois se disaient prêts à engager une personne judiciarisée. Alors quel est le raisonnement derrière tout ça? Pour le comprendre, on a suivi Jean dans son processus de recherche d’emploi.

Découvrir le Québec derrière les barreaux

Originaire d’Afrique de l’Est, Jean a travaillé dans l’industrie minière presque toute sa vie. Après plusieurs périples à l’entour du monde l’ayant mené aussi bien en Nouvelle-Calédonie qu’en Norvège, il arrive au Québec il y a cinq ans pour travailler en Abitibi-Témiscamingue. Après moins d’un an, il est mis derrière les barreaux pour des faits incluant alcool au volant et violence légère.

Au Québec, près de 14 % de la population adulte possède un casier judiciaire et un homme sur cinq dans la province fait partie de la clientèle judiciarisée

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C’est donc en prison, m’explique-t-il, qu’il apprend la culture québécoise, notamment grâce à son compagnon de cellule autochtone. « Il m’a appris à ne pas chercher le trouble, à n’accepter de cadeaux de personne et à faire de la business, dit Jean. J’étais capable de faire du feu avec n’importe quoi alors je vendais du feu aux autres détenus. Ou je trouvais plein de papiers et de trucs qui traînaient pour faire des ballons de soccer avec lesquels on pouvait jouer. Dès que les gardes les trouvaient, ils les détruisaient. Ils veulent s’assurer que personne ne soit heureux. »

Son talent pour créer du feu lui a servi, que ce soit pour se protéger des gardes lors d’émeutes, pour cuisiner ou pour se tenir au chaud dans sa cellule. Après 14 mois, il est libéré et tente sans succès de se trouver un emploi en Mauricie, lieu où résident ses enfants avec leur mère dont Jean est séparé.

Surmonter les préjugés

Sur une base individuelle et personnelle, Jean dit ne pas ressentir de jugement des autres du fait de sa judiciarisation. Auprès des employeurs, toutefois, c’est un peu plus compliqué. Il estime que cette ostracisation pousse plusieurs personnes judiciarisées vers une criminalité plus endurcie qu’avant d’être emprisonnées. Les ex-détenu.e.s ont selon lui un sens de communauté et d’entraide qui est nécessaire à la transition après avoir passé du temps derrière les barreaux et qui offre parfois des opportunités dans le crime, alors que les employeurs legit se montrent réfractaires.

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Toutefois, des ressources existent. Notamment les centres de main-d’œuvre OPEX qui ont des bureaux à travers le Québec et qui travaillent de concert avec Service Québec, auquel Jean a eu recours. Concrètement, les ex-détenu.e.s y reçoivent un accompagnement individuel et personnalisé, que ce soit pour trouver un emploi ou retourner suivre une formation, le tout après une évaluation de dossier.

Bruno Paré est directeur des opérations au centre Opex de l’Estrie et œuvre auprès de ce que l’on appelle dans le lingot la « clientèle judiciarisée adulte » depuis 23 ans. Il rappelle d’emblée que l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne indique que « nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. »

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Un bassin non négligeable

Toutefois, sur le terrain, la situation est différente. « En période de pénurie de main-d’œuvre où les employeurs sont à la recherche de candidats, il reste quand même des réticences à l’embauche de personnes judiciarisées, explique Bruno Paré. On fait beaucoup de sensibilisation auprès des employeurs pour s’assurer que ces gens-là puissent participer au monde du travail. Malgré leur passé, ce sont des gens qui ont des compétences qui sont recherchées par les employeurs. » Plusieurs ancien.ne.s détenu.e.s ressortent d’ailleurs de prison avec des formations professionnelles et sont parmi les personnes les plus loyales et acharnées étant donné leur manque d’opportunités et leur réelle volonté de réinsertion.

Rappelons qu’au Québec, près de 14 % de la population adulte possède un casier judiciaire et un homme sur cinq dans la province fait partie de la clientèle judiciarisée. « C’est une portion non négligeable de la population, on peut pas juste les mettre de côté », se lamente le directeur des opérations.

« je trouvais plein de papiers et de trucs qui traînaient pour faire des ballons de soccer avec lesquels on pouvait jouer. Dès que les gardes les trouvaient, ils les détruisaient. Ils veulent s’assurer que personne ne soit heureux. »

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Un sondage Léger mené par le Comité consultatif pour la clientèle judiciarisée adulte (CCCJA) qui, depuis 1997, appuie les ancien.ne.s détenu.e.s dans leur recherche d’emploi, rapporte que sur 500 entreprises sondées, 64 % font face à des difficultés de main-d’œuvre. Toutefois, seulement 28 % des répondant.e.s étaient prêt.e.s à engager une personne judiciarisée, et ce malgré les possibles subventions qui pourraient s’ensuivre. Toutefois, le sondage rapporte qu’au-delà d’une aide financière, les employeurs préféreraient avoir accès à une banque de candidat.e.s ainsi qu’à de l’aide à l’accompagnement et à la sensibilisation auprès des autres employé.e.s.

Selon le rapport, les trois principaux freins à l’embauche d’ex-détenu.e.s seraient la peur et la méfiance, la perception des personnes en dehors de l’entreprise (ex : clients, fournisseurs), ainsi que les a priori des autres employé.e.s de l’entreprise. Fait notable : 81 % des répondant.e.s qui ont engagé des personnes judiciarisées affirment avoir eu une expérience positive. Les industries de l’exploitation, de la fabrication et du transport seraient notamment les plus grands employeurs.

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Changer de vie et de profession

Les gens qui ont un casier judiciaire n’ont pas d’obligation légale de le mentionner lors d’une application pour un emploi. Toutefois, comme l’indique Bruno Paré, si l’entreprise a une politique de vérification d’antécédents, c’est là que le bât blesse. Évidemment, la loi empêche aussi quelqu’un de travailler dans un secteur en lien avec le délit pour lequel il ou elle a été incarcé.e. Une personne qui aurait par exemple été impliquée dans un cercle de vol de voitures ne pourra pas travailler chez un concessionnaire, pas plus qu’une personne reconnue coupable de fraude pourra intégrer une institution financière.

Libéré un peu avant Noël, Jean a finalement été embauché au début du mois de février. À travers OPEX, il a pu dénicher un emploi très convenable dans un atelier de réparation de camions poids lourds. Cet emploi est essentiel pour lui s’il souhaite pouvoir rester au Canada. Son plan à court et moyen termes est simple : « Je veux mettre de l’argent de côté pour mes enfants et passer du temps avec eux, c’est vraiment l’essentiel. Je veux tout faire pour ne plus être séparé d’eux. »

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