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Patiner pour plaquer la pandémie dans la bande
C’était frappant. Lors d’un récent petit mardi soir, j’ai traversé un parc Lafontaine assailli par une horde de zombies sur lames pas très très stables allant dans toutes les directions.
Même scénario le lendemain. En fait, cette scène tout droit sortie de The Walking Dead version nordique s’est répétée pratiquement tous les soirs où j’ai marché en bordure du parc.
Sur Instagram, les citadins semblent quant à eux tous réunis au «parc Laf» pour patiner en coeur et faire des stories toutes moins originales les unes que les autres.
Il n’y a pas de doute: après la frénésie du ski de fond, la fièvre du patin a gagné la métropole.
«On en a vendu en tabarslack»
C’est le constat qu’a fait Sébastien, commis aux sports du Canadian Tire, concernant la vente de patins à sa succursale cette année, lorsque je lui ai posé la question entre deux séances d’aiguisage. Comme j’avais besoin d’une petite remise à neuf de mes patins, j’ai décidé de joindre l’utile à l’agréable en allant voir des pros de l’affûtage pas trop loin de chez moi.
Avant d’arriver à Sébastien, j’ai dû passer par la caisse pour payer mon aiguisage. La caissière m’a ensuite gentiment indiqué par quel chemin passer dans le labyrinthe d’allées fermées parce que « marchandise non essentielle », pour me rendre au kiosque du commis.
En arrivant, je suis un peu surpris de constater qu’il n’y a qu’une seule autre cliente avant moi. Je comprends qu’on est jeudi matin et qu’il est juste 10h, mais quand même, je me serais attendu à une petite file de clients impatients d’enfiler leurs bottines coupantes pour chasser la déprime pandémique.
«C’est pas tout le temps tranquille comme ça, me rassure Sébastien en criant bien fort pour couvrir le bruit de sa machine qui aiguise les patins de la dame. Les après-midis c’est généralement super occupé».
Même s’ il y a «du monde ben en masse» chaque année, l’hiver 2021 reste hors du commun selon le commis. «On passe entre 80 et 90 paires par jour en moyenne en ce moment. D’habitude, on a ces chiffres-là juste autour de la semaine de relâche. Là, c’est tout le temps», confie Sébastien toujours en criant.
Selon lui, il n’est pas rare que la file de clients refoule jusqu’à l’autre bout du magasin. «Je pense que les gens cherchent tous les moyens pour jouer dehors. C’est la seule chose qui leur reste pour pas virer fous», estime-t-il.
«On passe entre 80 et 90 paires par jour en moyenne en ce moment»
D’ailleurs, il s’explique bien mal pourquoi certains items de son magasin sont considérés comme essentiels et d’autres non. «Je comprends que tout ce qui est rattaché au sport est crucial puisque ça fait partie d’une bonne santé mentale et physique. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’on n’ait pas le droit de vendre des manteaux d’hiver quand il fait -20 parce que ça représenterait de la concurrence déloyale envers les plus petits commerces. Les gens ont besoin de manteaux aussi me semble!»
Mes patins sont justement prêts. Le gentil commis me les tend en me souhaitant une bonne journée.
Prochain arrêt: le parc «Laf».
Du monde, du monde et encore du monde
C’est une parfaite journée d’hiver pour prendre une petite pause patin au parc sur l’heure du lunch. Le soleil est sorti, il ne fait pas trop froid et le vent est tombé.
Quand j’arrive près des patinoires où on peut jouer au hockey situées près de l’avenue Calixa-Lavallée et du building municipal où on peut habituellement se changer avant de patiner, j’aperçois une patineuse solitaire, écouteurs aux oreilles et gros sourire au visage qui fait des petits tours à l’intérieur d’un carré déneigé à la va-vite.
«Je vais souvent patiner sur le lac (du parc), mais j’ai vu qu’il y avait un petit carré déneigé ici et je me suis dit que j’aurais plus la paix que là-bas», explique Gracie.
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La jeune Ontarienne d’origine qui vit à Montréal depuis 2 ans est une habituée de la place. Elle raconte être sans emploi depuis un certain temps et avoir trouvé un certain «réconfort» à venir patiner les belles journées d’hiver. «C’est important de faire du sport et prendre l’air comme on peut. Surtout par les temps qui courent».
Je prends quelques clichés de Gracie en action puis je me dirige vers l’autre patinoire où l’on peut jouer au hockey. J’aperçois un homme qui s’est installé sur un banc pour enfiler ses patins. Le hockeyeur amateur décide finalement de s’en aller puisque la patinoire est recouverte de neige, tout comme celle où Gracie continue de patiner en rectangle.
«C’est important de faire du sport et prendre l’air comme on le peut. Surtout par les temps qui courent»
C’est probablement le bon moment pour obtenir l’avis d’un employé de la ville chargé de déblayer la patinoire…
En me tournant vers le bâtiment municipal, fermé pour les raisons que l’on connait, je vois justement un camion de la ville stationné tout près. Je m’aventure à la fenêtre du conducteur qui est en train de manger une poutine de La Banquise (le chanceux) pour lui demander s’il s’occupe de l’entretien des patinoires. Il me répond que non et que je ferais mieux d’appeler la Ville pour parler avec un responsable. «Pas sûr que tu vas tomber sur quelqu’un ici aujourd’hui. Ils (les employés de la Ville) sont même pas venus déblayer la patinoire du lac», me mentionne-t-il entre deux bouchées de sa satanée poutine qui sent le bonheur.
Je me dirige tout de même vers le pavillon qui abrite l’Espace La Fontaine, un petit resto-bar-café, pour essayer de trouver un responsable à qui parler.
J’arrive au comptoir de Maude, la seule employée du resto, qui n’a aucune idée où trouver un responsable municipal. «Ils passent des fois par ici, mais c’est rare. On sait jamais trop quand ils sont là», m’avoue-t-elle simplement.
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Quand je lui demande si elle voit beaucoup de patineurs passer par son comptoir, la jeune femme est unanime. «C’est juste débile les fins de semaine. On arrête pas de faire du café et du chocolat chaud!»
Si elle est heureuse que son commerce roule bien, elle a néanmoins une petite pensée pour les restaurants, bars et cafés qui ont dû fermer leurs portes depuis des mois. «C’est sûr qu’on se trouve vraiment chanceux que la patinoire nous amène autant de clients, surtout quand on sait que plusieurs entreprises en restauration en arrachent…»
Patiner dans la neige, mais patiner pareil
Après ma visite à l’Espace La Fontaine, je tombe sur un homme d’un âge vénérable affublé d’un casque bourgogne en train d’enlever ses patins. «Je viens ici depuis des décennies et c’est vrai qu’il y a pas mal de monde cette année», me confirme Jean-Pierre, 75 ans, qui n’a pas d’internet, pas d’ordinateur et aucune maudite idée de ce qu’est URBANIA à part un magazine papier avec un chien qui fait caca dessus.
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Même si la glace qu’il affectionne particulièrement est souvent bondée de gens qui vont de tous bords tous côtés, le graveur sur cuivre toujours actif ne trouve pas ça trop désagréable. «C’est grand. Il y a de la place pour tout le monde. On ne se sent jamais pogné», estime-t-il.
Ce qui le «gosse royalement» par contre, c’est la manière dont la Ville gère les espaces pour patiner. «On ne peut plus mettre nos patins en dedans donc on est obligé de les mettre dehors. De ce côté-ci, il n’y a même pas de bancs pour s’installer à part celui sur lequel je suis présentement, qui est juste en dessous de gros stalactites de glace. Je peux te dire que j’enlèverai pas mon casque avant de partir!», me lance à la blague le septuagénaire en pointant le toit au-dessus de lui.
«C’est grand. Il y a de la place pour tout le monde. On ne se sent jamais pogné»
Le manque d’«organisation» ne l’empêchera cependant pas de revenir ici aux deux jours comme il a l’habitude de le faire. «Je trouve juste ça plate pour les gens qui veulent profiter de leur parc que ça soit pas mieux entretenu que ça», laisse-t-il tomber en pointant la patinoire, qui n’est pas déneigée d’une miette aujourd’hui.
Je laisse Jean-Pierre pour m’aventurer dans le building toujours à la recherche d’un responsable municipal pour lui parler des aléas de l’entretien de patinoire en temps de frénésie pandémique. Et par la bande lui demander des comptes sur les raisons derrière une patinoire si populaire, mais étonnamment pleine de neige en cette si belle journée au nom du droit au public à l’information!
Tout comme Maude, Jade ne peut pas m’aider à trouver ce que je recherche. Mais elle peut au moins me parler de son expérience en tant que commis à la location de patins, un emploi étudiant qui doit être casse-cou si on se fie aux hordes de patineurs qui envahissent la glace tous les jours. «Les fins de semaine, on écoule quasiment tout notre stock. Ça arrive souvent qu’on ait plus certaines pointures», confie la jeune femme.
Même la semaine, ça peut vite s’emballer. «Mardi, c’était fou. On aurait dit qu’on était un samedi après-midi», avoue Jade, qui ajoute, sans surprise, que la période la plus achalandée est de 17h-19h.
ll est midi, et la patinoire est plus occupée que lorsque je suis arrivé, mais pas moins déneigée.
«Mardi, c’était fou. On aurait dit qu’on était un samedi après-midi»
J’aperçois un jeune couple qui essaie tant bien que mal de se faire des passes avec une rondelle malgré les amoncellements de neige qui bloquent toutes leurs tentatives. «Je joue souvent au hockey avec mes amis sur la Rive-Sud, révèle d’emblée Ben. Vu que les patinoires ne sont pas déblayées très souvent, on amène nos pelles et on se fait notre fun. Les policiers et les gardiens de parc ne nous ont jamais avertis».
Ben et Yasmine profitent de leur journée pédagogique pour prendre l’air pas trop loin de chez Yasmine. «En ce moment, c’est vraiment tranquille, mais quand je suis venue ici avec des amies en fin d’après-midi plus tôt cette semaine, c’était jam pack», affirme-t-elle.
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Je leur souhaite bonne chance avec leurs shots de hockey et la fin de leurs études secondaires et j’entame le chemin du retour vers la maison.
En repassant devant les patinoires où l’on peut jouer au hockey, je remarque qu’un jeune homme pellette en solitaire une partie de l’une des glaces. «J’en profite pendant qu’il y a personne pour pratiquer mes skills. Je me sens pas encore assez confiant pour jouer des games donc ça fait mon affaire», me confie en riant David, un grand gaillard un peu timide.
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Il est 12h30, le vent s’est levé et le froid est de retour. J’ai encore la poutine de l’employé de la Ville en tête alors que mon ventre gargouille. C’est le temps de rentrer.
Je me suis finalement résigné à décrocher le téléphone pour parler avec un responsable et c’est en mangeant une vulgaire omelette que j’ai attendu un retour d’appel qui n’est jamais arrivé.
Est-ce que j’ai plus le goût d’aller patiner avec d’autres zombies à la lumière de mon expérience? Pas vraiment. Mais est-ce que je vais mieux profiter de mes patins la prochaine fois que je les enfilerai? Certainement.