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Parler de salaire avec les collègues, ça contribue à réduire les inégalités
La nouvelle est tombée comme une tonne de brique la semaine dernière lorsqu’on a appris la démission du rédacteur en chef du magazine Bon Appétit, Adam Rapoport, après qu’une publication Instagram de l’homme arborant un brown face lors d’un party costumé ait refait surface.
L’affaire est que cette photo n’était que la pointe de l’iceberg d’un problème institutionnel qui gangrène le média américain: l’iniquité salariale entre tous les employés, particulièrement chez les salariés et pigistes racisés. Ouch.
La situation, qui est aujourd’hui décriée par plusieurs employé.e.s et ex-collaborateurs, a soulevé son lot de réactions. Mais ce sont surtout celles des collègues non-racisé.e.s qui m’ont le plus marqué. Tous étaient surpris d’entendre la nouvelle et personne ne connaissait les conditions salariales de leurs collègues.
Un détail qui est banal, mais qui aurait peut-être pu accélérer le processus de mise en lumière des inégalités salariales internes. Pour le fun, c’est quand la dernière fois que vous avez parlé de salaire avec vos collègues? C’est ça.
Parler d’argent, c’est tabou
«Plusieurs personnes sont assez inconfortables de parler de leur salaire. Pour certain, il est déjà difficile de le faire dans leur cercle rapproché (amis, famille, etc.), il peut être encore plus difficile de le faire avec les collègues», me dit Manon Poirier, CRHA, directrice générale de l’Ordre des Conseillers en ressources humaines agréés du Québec.
Mais l’espoir d’un monde où parler d’argent est moins tabou n’est pas si lointain, selon la directrice générale.
«On sent qu’il y a de plus en plus une habitude ou une volonté de la part des employés de partager cette information!»
«C’est à géométrie variable d’une organisation à l’autre, mais à force de tester les eaux sur le sujet, on sent qu’il y a de plus en plus une habitude ou une volonté de la part des employés de partager cette information!»
La dernière étude de l’Ordre sur le sujet indiquait que 54% des Québécois étaient à l’aise de discuter de leur salaire avec leurs collègues.
Le mutisme, au détriment des employés
«C’est très difficile de négocier quand t’as aucune idée du salaire que tu pourrais demander», me dit la CRHA. D’où l’importance de s’informer afin de déterminer notre valeur sur le marché.
Et bien qu’elle n’ait jamais été témoin d’un employeur qui a bénéficié du manque de connaissance d’un.e employé.e face à sa valeur, Manon Poirier confirme que ce genre de situation se produit encore aujourd’hui.
«On connait les statistiques sur l’équité salariale et malgré le fait que ce ne soit toujours pas parfait, il y a quand même des obligations légales au Québec afin de s’assurer de corriger les écarts salariaux causés par la discrimination sur le sexe», me dit la directrice générale.
Elle ajoute toutefois que l’Ordre n’a pas de données «pour tous les groupes et qu’il sera intéressant d’assurer une analyse de la situation sous d’autres volets.»
Connaître sa valeur
«Les employés ne se trouvent toujours pas tous payés à leur juste valeur. C’est malheureux, mais c’est une tendance», me dit Manon Poirier.
Et on le voit depuis les dernières années, cette tendance aura en partie fait naître diverses ressources permettant de divulguer des informations concernant les salaires.
«Les employés ne se trouvent toujours pas tous payés à leur juste valeur. C’est malheureux, mais c’est une tendance.»
Glassdoor, Payscale ou les études de rémunération selon les domaines professionnels sont de plus en plus populaires. Bien qu’elles permettent de démocratiser l’accès aux réalités salariales de différents postes ou domaines, elles ne sont qu’une porte d’entrée vers l’information.
«Il faut aussi en prendre et en laisser avec ces outils, il est important d’en tirer une tendance. Ça donne une idée, oui, mais il faut être vigilant avec la qualité d’information qu’on va chercher», précise la CRHA.
C’est donc dire que le poste d’une autre entreprise que la vôtre offrant 25 000$ de plus pour un titre similaire au vôtre doit être analysé et contextualisé avant de crier à l’injustice.
La transparence pour le bénéfice de tous
«Au niveau des professionnels en ressources humaines, il y a un certain mouvement qui commence à insister pour parler de transparence», me dit Manon Poirier.
Une transparence qui ne veut pas nécessairement dire d’afficher tous les salaires de tous les employés exactement, mais plutôt donner plus d’information sur les salaires eux-mêmes et sur les structures salariales au sein des organisations.
Quelles sont les échelles salariales pour tel ou tel poste? Où les employés se situent-ils dans leur propre échelle salariale? Comment peuvent-ils monter les échelons? Pourquoi ont-ils monté les échelons? Le coût de la vie? Le mérite? Etc.
Partager ces informations aux employés leur permet de réduire ce brouillard qui entoure leur situation salariale dans l’entreprise et de démocratiser les discussions entourant les salaires.
Toutefois, on ne s’improvise pas dans la transparence.
«L’éducation est primordiale afin de rendre l’intégration d’une certaine transparence dans une organisation, me dit la directrice générale. Passer du mutisme complet par rapport au salaire à la divulgation de la liste détaillée de tous les salaires serait un peu suicidaire.»
Si le tout est bien fait et analysé avec rigueur, les organisations pourront minimalement préserver une équité salariale à l’interne.
À voir maintenant si les entreprises seront plus nombreuses à embarquer dans cette tendance à parler de salaires. Une pratique qui pourrait certainement contribuer, en partie, à la réduction des inégalités.
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