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Dis-moi quel enfant tu as, je te dirai quel parent tu es

Y’a de très beaux spécimens et d’autres disons plus… euh… spéciaux.

Par
Nadine Mathurin
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Qui de mieux que l’enseignant, cette personne qui passe cinq jours sur sept pendant 10 mois avec l’enfant, pour en apprendre un peu plus sur le parent ? On lui a demandé son aide pour dresser le portrait type des chefs de famille québécois.

J’ai travaillé huit ans dans un camp de vacances. Un an dans le service de garde d’une école primaire. J’ai vécu pas mal toutes les situations inimaginables que des enfants pouvaient me faire vivre: fugues, rescues de canots sous l’orage avec enfants en hypothermie, crises de psychose, fractures ouvertes, anorexie, automutilation, batailles… Pis j’ai toujours très bien réagi à tout ça. Je pense que j’ai toujours été faite pour gérer des crises et j’ose même croire que cette première job d’été a forgé le caractère de la gestionnaire de communauté que je suis devenue.

Reste que, en ce qui concerne l’enfant, la pire affaire avec laquelle tu peux/veux dealer, c’est souvent… le parent. Persuadée que je n’étais pas la seule à avoir des histoires rocambolesques sur le sujet, j’ai rencontré des profs, orthopédagogues, directeurs et éducateurs dans leur milieu de travail – et au péril de leur emploi – pour dresser le portrait des six types de parents les plus fréquents.

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Il va sans dire que tout ça s’est fait clandestinement. (Le milieu de l’éducation, tsé, cette mafia ?)

ORIGINALEMENT PARU DANS LE SPÉCIAL NOS PARENTS DU MAGAZINE URBANIA

Le pool de taupes

Charles est directeur. Je l’ai rencontré à la fin des classes, dans son bureau au fond du couloir du premier étage. Heureusement pour moi, la plupart des écoles québécoises sont munies d’échafaudages extérieurs (#teambriquesquitombent), alors j’ai pu grimper facilement jusqu’à sa fenêtre et éviter la cohue de l’entrée principale.

Catherine est enseignante au primaire dans une école multiethnique. Elle m’a donné rendez-vous dans l’aire de jeu des élèves de maternelle, plus précisément dans un gros tuyau en plastique coloré, avant que ceux-ci finissent leur collation et sortent jouer à la marelle.

Marine et Suzie, elles, sont respectivement éducatrice en service de garde et enseignante dans une école alternative; puisqu’il y a beaucoup de parents intenses à éviter là-bas (on vous explique plus loin), nous nous sommes vues dans le local du concierge, entre deux balais et trois machines à cirer les planchers.

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Marc est enseignant en adaptation scolaire au secondaire. Je l’ai rencontré dans son local sans fenêtre, décoré de cartes du monde, de règles de français de base et de formules mathématiques. En haut de son tableau, il y avait cette citation d’Einstein : « Tout le monde est un génie. Mais si on juge un poisson à sa capacité à grimper à un arbre, il passera sa vie à croire qu’il est stupide.»

Une minorité vraiment très visible

D’entrée de jeu, tout le monde est unanime, trouve le thème intéressant et a mille et une anecdotes à raconter. « Le parent, c’est le client le plus exigeant sur la Terre : tu t’occupes de son produit le plus cher ! », s’exclame Marine. « Il veut le bien de son enfant… même s’il s’y prend pas toujours de la bonne façon. Des fois, sans s’en rendre compte, il prend des décisions qui sont plus à son avantage qu’à celui de sa progéniture…»

Charles est d’avis que le parent a une très grande responsabilité quant à l’avenir de son jeune. « Des fois, tu te dis : pauvre enfant, s’il était né dans une autre famille, il évoluerait tellement mieux. Pis souvent, c’est plus une question de valeurs que de pauvreté. Un élève peut exceller en maths, mais être limité à cause de ses valeurs. Des parents fragiles ou égoïstes, ou qui n’ont jamais inculqué les valeurs du partage, de l’entraide ou du respect de la femme, ça déteint sur les enfants. »

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Catherine a beau adorer l’école où elle travaille, ses débuts n’ont pas toujours été faciles avec les parents. « Je me suis déjà fait dire par une mère dont l’enfant s’était battu avec un plus jeune : “ Moi j’vous appelle pas pour vous dire comment faire votre job, alors appelez-moi pas pour me dire comment faire la mienne. ” J’avais trouvé ça tellement innocent. Comment tu veux que ton enfant apprenne s’il ne subit jamais les conséquences de ses actes à la maison ? »

Je vous entends déjà capoter. Oui, je sais. La plupart des parents sont bons et super investis, côté collaboration. « Mais pour 90% de parents de cette trempe, t’as un 10% de weirdos dont tu vas te souvenir toute ta vie », dit Marc. C’est de ces weirdos qu’on va vous parler. Parce que cette espèce n’existe pas juste dans les films d’Adam Sandler et qu’elle est loin d’être en voie de disparition.

NOS PARENTS EN SIX PORTRAITS

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L’ÉGOPARENT
C’est normal que la vie des parents tourne un peu beaucoup autour de leurs enfants. Mais l’égoparent, lui, voudrait que la garderie/l’école/la Terre/l’Univers tourne autour du sien. Il est du genre à vouloir abolir les exposés oraux parce que sa petite poulette est gênée. Marc roule les yeux. « Comme si priver l’école en entier de faire un exposé oral allait vraiment aider ton enfant. Éventuellement, il va devoir se trouver un emploi, parler à des employeurs, des gens qu’il ne connaît pas. TON ENFANT VA VOULOIR “DATER” UN JOUR. L’exempter d’exposé oral, c’est le priver de se pratiquer à prendre parole dans une situation de stress. C’est mieux qu’il se pratique avec des gens qu’il connaît avant qu’il devienne adulte et doive négocier son futur contrat avec Vidéotron. »

C’est encore pire si l’enfant de l’égoparent a le malheur de souffrir d’allergies. « Je comprends qu’en tant que parent, tu puisses badtripper à l’idée que ton enfant allergique entre en contact avec des arachides… Mais il se doit de vivre la “vraie vie” et apprendre à se protéger lui-même. Ne serait-ce que pour être prêt quand il va vouloir aller au resto avec ses amis plus tard. C’est sa vie, sa survie», note Suzie (qui, précisons-le, n’est tout de même pas du genre à pitcher un enfant allergique au gluten dans une piscine de miettes de pain).

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LE PLUS IMMATURE QUE SON ENFANT

Il arrive parfois que le parent soit moins à son affaire que son enfant, comme celui que Marc voit arriver en retard à une rencontre de parents. Habillé en joggings, avec ce qui ressemble à une coulisse de moutarde sur le devant du chandail. Tsé, celui qui demande à quelle heure la réunion finit parce qu’il y a La poule à TVA qui commence bientôt ? «Pour moi, le message est assez clair que tu te crisses de l’école pis que t’en feras pas une priorité dans la vie de ton enfant.»

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Parfois, la rencontre avec un parent dure cinq minutes et tout le monde est content, mais avec ce parent-là, c’est 45 minutes de bullshit, raconte Charles. «Soit il excuse le comportement de son enfant en invoquant n’importe quelle raison insignifiante et le déresponsabilise, soit il justifie ses mauvais résultats en expliquant que lui-même, c’était pas sa matière forte dans le temps.» Ce spécimen-là ne fait pas trop peur au directeur. «Je suis tellement à l’aise que des fois, je leur parle comme si c’était des enfants. »

Catherine précise quant à elle que le parent assis devant l’enseignante est aussi un enfant qui souffre. « Pis toi, t’es pas juste un enseignant, t’es en quelque sorte un psychologue. »

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LE « P’TIT JOE CONNAISSANT »
On a tous déjà croisé une personne qui pensait pouvoir faire notre job mieux que nous. Mais Charles, lui, en rencontre tous les jours. « Ce type-là pense qu’avoir UN enfant, c’est savoir en gérer 30 après avoir fait un bac de quatre ans. Je dirais qu’on a une couple de notions de plus.»

Reste qu’il y a peu de milieux où les employés se font critiquer aussi sévèrement pour leur travail. Suzie remarque que c’est particulièrement le cas dans les écoles alternatives et celles en milieux favorisés. «Les parents sont impliqués. Super impliqués. BEAUCOUP TROP IMPLIQUÉS. Tsé, la mère qui apporte 30 cupcakes pour la fête de son William, qui insiste pour rester pendant la leçon de français pis qui passe des commentaires sur ta façon d’enseigner devant les enfants? Ce parent-là.»

La pression est tellement forte que certains enseignants ne dorment pas la nuit avant une rencontre de parents. Parce que rencontrer un «p’tit Joe connaissant», c’est un peu comme traverser les douanes, illustre Marc. « Tu respectes toutes les règles, t’as pas plus que deux bouteilles de vin dans l’coffre, tu transportes pas de trucs dangereux ou illégaux, mais ça se peut que tu tombes sur LE douanier zélé qui va te demander un 28 décembre de descendre du char pour fouiller la valise pendant que tes enfants gèlent à côté de l’unifamiliale. Le parent qui se croit meilleur que toi va toujours penser que ton intervention n’était pas celle appropriée pour SON enfant, alors que tu fais ce que tu peux pour ne pas brimer les 15 autres élèves qui attendent de pouvoir continuer d’apprendre.»

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LE PARENT DANS LE DÉNI

Celui-là est peut-être le pire, car nier, c’est savoir, mais sans vouloir agir: « “Ce qui se passe à l’école se règle à l’école ! ”… Heu… non, monsieur!, corrige Marine. Tu as autant la responsabilité d’élever ton enfant à la maison qu’en dehors. Assume. » Et le déni peut aller très loin. Certains parents vont jusqu’à littéralement nuire au futur de leur progéniture, a constaté Marc. Il cite le cas d’un enfant qui a de graves problèmes de comportement et dont les parents pensent que la situation va se régler toute seule. «Ou ceux pour qui c’est jamais la faute de leur enfant, mais plutôt celle des 14 autres de la classe, de l’enseignant, de l’éducateur spécialisé, du directeur, pis même du chauffeur de bus, tiens.»

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L’ORGUEILLEUX

L’orgueil, c’est mal, mais l’orgueil mal placé est encore pire. « Pour un père avocat dont la femme est médecin, ça peut être difficile d’accepter que son enfant ait un problème d’apprentissage et soit dans une classe en adaptation scolaire. » Charles a connu des parents qui confondaient des problèmes purement neurologiques avec une déficience intellectuelle. Alors, au lieu de trouver des outils pour aider cet enfant aux besoins particuliers, ils cachaient le problème. « Les parents prennent ça comme un échec personnel, mais en maquillant le bobo, faut pas qu’ils s’étonnent que leur enfant “stalle”. »

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Le pire, selon Marc, reste le parent qui veut avoir le dernier mot et qui refuse de collaborer. « Tu sais que si le parent ne t’aime pas, il prendra jamais ton bord à la maison. Pis ça marchera jamais pour toi avec l’enfant en classe. Jamais. »

LE COMPLICE (LE 90%)

Rassurez-vous ! Le bon parent existe. « Quand son enfant pète une coche en classe et que je lui envoie un courriel rapido pour lui expliquer la situation, je sais qu’il va reprendre l’intervention là où l’enfant et moi nous l’avons laissée, dit Suzie. Ce niveau de confiance est génial. Ce parent-là, c’est le meilleur. » Et Dieu merci, il existe dans toutes les cultures, a pu constater Catherine, qui adore travailler dans une école multiethnique. « Je ne sais pas si c’est culturel, mais le parent complice respecte l’autorité de l’enseignant. J’imagine aussi que même si l’école québécoise n’est pas toujours parfaite, avec ses briques qui tombent et son ministère qui coupe partout, les parents qui viennent d’ailleurs se remémorent d’où ils viennent et se disent que ça ne sera jamais pire que ce qu’ils ont quitté… »

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Avec ce parent-là, l’important, c’est l’enfant (mais pas exagérément, comme pour l’égoparent). « Un parent complice fait toute la différence, dit Marine. On fait du team work ! C’est fantastique de pouvoir compter l’un sur l’autre ! »

Les fameux cadeaux de parents

Parce qu’à titre de parents, on va éventuellement tous se faire chier avec les cadeaux de fin d’année, j’ai demandé à mes taupes de nous aiguiller sur les meilleurs choix. Et les pires. Ça peut toujours servir…

En tête du palmarès, «LA BOUTEILLE DE VIN !» est le cadeau le plus courant et le plus apprécié. Parce que quand tu enseignes à 30 enfants pendant 10 mois, cinq jours sur sept, LE VIN se mérite en CAPS LOCK. Point boni à la maman qui a offert à Marc son cadeau le plus original : « Un toaster de Captain America ! « Elle savait que j’aimais les superhéros. Il fait des toasts avec le logo, c’est malade! »

Dans le rayon des cadeaux les plus bof, Suzie a reçu un ange en plâtre du Dollarama, qu’elle s’est empressée d’oublier dans le métro. Catherine, elle, a déjà reçu des g-strings. Oui oui. Le sous-vêtement, là. «J’ai jamais compris le message – s’il y en avait un. Mais j’ai pas aimé ça. » Mettons que la ligne est mince entre le cadeau original et le cadeau creepy. Et aussi mince soit-il, le g-string fait clairement partie de ceux qui sont wrong.

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