Tu vas l’entendre à la télévision ou le lire dans les journaux, la peur est malheureusement un sujet d’actualité.
«Mais la peur de quoi, papa?»
De l’autre, essentiellement, de l’inconnu, du différent, de perdre sa place.
Ça te semble vaste dit comme ça, c’est parce que ça l’est. La peur s’installe pour un tout et pour un rien et, surtout, elle s’alimente avec des efforts minimes et provoque l’irréparable lorsqu’elle est poussée à l’extrême.
L’intolérance est une façon de lui donner des munitions.
«Mais papa, pourquoi les gens sont intolérants?»
Honnêtement, je ne comprends pas plus l’intolérance que toi ma fille.
Parce que c’est malheureusement plus facile. Ouvrir les bras nous met plus à risque que les croiser fermement. C’est du moins ce que les gens veulent bien croire, parce qu’ils se le font répéter avec beaucoup d’insistance.
Honnêtement, je ne comprends pas plus l’intolérance que toi ma fille. Il y a dans toute cette haine, ce mépris, quelque chose qui m’échappe.
On me l’explique en soulignant la peur et l’incompréhension, mais pourquoi la violence en réponse à la peur? Pourquoi une insulte en réponse aux différences d’opinions?
Ce sont des réactions illogiques à des problèmes émotifs.
Ce sont aussi des réactions qui ont des voix portantes qui crient à la radio, à la télé et qui s’expriment sur les médias sociaux.
«Mais papa, tu ne fais pas ça toi?»
Tu sais quand papa respire un peu plus fort quand il te répète la même chose plusieurs fois, et bien, ce n’est pas parce que j’ai besoin d’un peu plus d’air. Non, vois-tu, on appelle ça réfléchir avant de dire des choses que l’on regretterait, prendre quelques secondes avant de poser des gestes irréparables.
C’est facile, faire du bruit et d’imposer sa volonté avec un poing sur la table.
Moi, je le fais pour ne pas crier ou m’impatienter pour des niaiseries. Je le fais aussi pour les commentaires que je laisse sur les médias sociaux, les textes que j’écris et les choses que je dis en général.
Tu vois, papa aussi a peur quand il ne comprend pas les choses et oui, souvent, son premier réflexe est de parler plus fort que l’autre pour s’imposer. C’est facile, faire du bruit, casser le dialogue avec fracas, imposer sa volonté avec un poing sur la table. Mais ce n’est pas parce que c’est facile que l’on doit le faire pour autant.
Prendre une respiration, quelques secondes, c’est si simple et ça peut faire toute la différence.
Ce n’est évidemment pas une solution universelle à la peur, la haine et l’intolérance, mais c’est un début et je crois naïvement que ça peut aider.
Je le sais, moi aussi à une certaine époque j’avais l’insulte et le jugement facile.
«Tu étais intolérant papa?»
Non, du moins, je ne crois pas. Mais je ne comprenais pas tout et le pire, c’est que j’avais la prétention d’en comprendre beaucoup.
J’étais l’écho des stéréotypes qui m’ont façonné. Je répétais sans comprendre, j’observais sans écouter. Je me contentais du bruit de mes insultes et de la fausse satisfaction d’avoir raison, de posséder le monopole de la bonne façon de faire.
C’était avant et depuis, j’ai appris à respirer et, surtout, à écouter.
Permettre à quelqu’un d’autre d’exister, trop souvent, c’est perçu comme une perte de confort.
Je vais te donner un truc. Quand ce que tu dis ou fais te ferait de la peine, pourquoi le dire ou le faire à quelqu’un d’autre que toi?
C’est nono comme truc, peut-être, mais c’est un tout petit effort de réflexion qui pourrait nous éviter énormément de conflits.
Papa le fait, ou du moins, il fait l’effort de le faire. Ce n’est pas parfait. Parfois, je n’ai pas les bons mots. D’autres fois, j’utilise des raccourcis ou je me trompe, carrément, en pensant bien faire. Ça arrive et c’est normal. L’idée n’est pas d’être un citoyen parfait et irréprochable, mais d’être une personne consciente de la portée de ses gestes et de ses paroles.
Rien que ça. Ne jamais perdre de vue qu’il y a d’autres personnes autour de nous qui aimeraient ça vivre les mêmes choses plaisantes que nous.
Ça ne t’enlèvera rien, je te le promets, mais ça pourrait donner énormément sans même que tu t’en rendes compte.
«Mais papa, si c’est facile, pourquoi les gens ne le font pas?»
C’est ça le plus triste, ils ne le font pas et il n’y a pas de bonnes raisons. C’est peut-être par habitude ou par paresse, c’est peut-être même par envie d’être méchant, ce n’est pas impossible, mais quelque chose freine la simplicité de l’ouverture et ça m’attriste.
Une façon d’avoir moins peur, j’ose croire, c’est d’observer le sourire sur le visage des gens.
Vois-tu, les gens qui ont peur sont souvent les mêmes qui réclament des grandes libertés individuelles qu’ils ont peur de perdre. Permettre à quelqu’un d’autre d’exister, trop souvent, c’est perçu comme une perte de confort.
Mais c’est faux, retiens-le ma fille. C’est faux de croire qu’une famille heureuse qui n’a pas la même religion que nous est une famille qui vient voler notre bonheur. Et c’est aussi faux de croire qu’ils sont là pour nous convaincre que leur vie est meilleure que la nôtre.
Ils veulent juste être heureux, comme toi et moi, sans plus.
Une façon d’avoir moins peur, j’ose croire, c’est d’observer le sourire sur le visage des gens. On remarque moins les différences quand le bonheur devient le point commun.
Pour lire une autre chronique de Stéphane Morneau : «Papa, c’est quoi être queer?»
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