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Parce que tes oreilles à toi aussi ont entendu ces mots dans les dernières semaines, queer + Cœur de Pirate, et là, tu m’as demandé…
C’est quoi être queer?
Tu n’es pas la seule qui se pose la question. Tout le monde au Québec s’est posé la question, même ceux qui n’osaient pas admettre leur ignorance de cette spécificité dans l’identité de genre ou de sexe.
Bien humblement, je ne sais pas trop comment répondre à la question, parce qu’elle couvre trop large et je n’ai pas le début d’une idée de ce que vivent les personnes qui se posent ces questions identitaires. Plusieurs étaient malheureusement pas mal moins humbles que moi et au lieu d’attendre une réponse claire à une question relativement nouvelle, ils ont préféré faire du bruit, comme d’habitude, en disant des âneries. C’est pourquoi j’aimerais t’offrir ma réponse. Elle est peut-être maladroite, ou fausse, mais elle vient avec beaucoup d’ouverture.
«Mais papa, c’est quoi être queer?»
Idéalement, je crois qu’être queer c’est ton droit d’être ce que tu veux être, avec qui tu veux être, comme tu aurais envie d’être.
Pour la définition, c’est le choix de ne pas s’associer à la définition binaire des genres et de l’orientation. Être flexible, fluide, non conforme dans le moule “un papa et une maman font l’amour, se marient et font beaucoup de bébés”.
Ça rejette beaucoup de choses, dit comme ça, mais je préfère penser que ça inclut tout ce que tu veux. Un refus des étiquettes pour t’identifier comme un électron libre, une personne unique, un être à part entière et non le produit des attentes des autres.
«Mais papa, pourquoi être queer?»
Pourquoi pas je te dirais. Pourquoi pas se donner le luxe de tout vivre, tout ressentir. Pourquoi pas s’offrir des options. Inversement, être queer c’est aussi ton droit de ne pas l’être si tu ne le sens pas au fond de toi. Du moins, j’ose le croire.
C’est quoi être queer?
Je n’ai pas la prétention de le savoir, de le ressentir ou de le vivre.
Tu sais ma fille, ton père a la simplicité d’être confortable dans une définition binaire du genre et de l’identité sexuelle. Je me définis comme un homme et je recherche l’approbation et la compagnie des femmes. Rien de plus normal, de plus banal, de plus convenu. Je n’ai jamais ressenti le besoin de me retrouver ailleurs que dans ce qui s’offrait naturellement à moi. La normalité, ce qui était attendu de moi, répondait à mes besoins et à mes envies.
Sauf que ma banalité ne sera pas forcément la tienne ou celle de tes amis/es. Être queer, c’est un chemin pavé que tu pourrais emprunter si l’envie te prend. Si la banalité de ton père n’est pas une option, le coming-out de Cœur de Pirate te montre qu’il y en a d’autres options et le droit de choisir est l’héritage que je voudrais t’offrir.
«Oui, mais papa, c’est quoi être normal?»
C’est quelque chose qu’on devrait de moins en moins utiliser ma fille, parce que les normes sociales sont trop souvent à la racine même du problème. Les démonstrations d’intolérance se nourrissent de ce qui est “normal” pour rejeter ce qui détonne. Et l’intolérance, elle peut ratisser très large. Sexe, couleur, race, religion — tout est un bon prétexte pour ne pas s’ouvrir aux autres. Ici, les gens font exception des choix amoureux d’une chanteuse populaire, mais il y aura autre chose à un autre moment, c’est garanti.
Dans la bouche des mauvaises personnes, “queer” est une insulte. Mais dans les oreilles des gens qui choisissent de choisir au lieu de subir, “queer” est un poids de moins sur les épaules.
«Mais papa, pourquoi on doit choisir?»
C’est ça qui est beau ma fille, choisir peut devenir optionnel quand les attentes des autres prennent moins d’importance dans ta vie.
Je vois l’incompréhension dans ton regard et je comprends.
Très tôt dans ta vie, des choix se sont imposés à toi. La couleur de tes vêtements, le choix de tes jouets, des activités auxquelles tu participes, des groupes d’amis, etc. Ici, les choix deviennent des normes. Tu apprends la vie dans un moule formé par des normes qui sont de moins en moins adaptées à notre réalité.
Pour l’instant, c’est comme ça. Peut-être que ce sera différent plus tard pour toi et tes enfants. En fait, je l’espère, parce que notre façon d’instaurer des normes est forcément imparfaite si elle produit autant d’intolérance.
«Mais papa, c’est quoi être queer alors?»
C’est être, comme dans “je suis” sans rien ajouter après.
Je suis – tout simplement.
La beauté d’être sans étiquette, c’est que tu ne t’imposes plus rien. Si lundi tu veux être une chose, tu peux, et rien ne t’empêche d’être autre chose mardi.
Je suis, tu es, nous sommes.
Si tu peux t’enlever le poids des étiquettes ma fille, je n’aurais pas tout raté en répondant à tes interrogations – même si parfois je suis moi-même dans l’erreur avec mes préconceptions des choses, des gens et de leurs parcours.
Être – c’est tout ce qui devrait compter.