Faire de la musique et en vivre, voilà un rêve qui semble inatteignable. Dans une industrie en pleine crise, le seul moyen pour un artiste de subsister, c’est de faire jouer une chanson dans une publicité de téléphone ou de devenir coach à La Voix. Autrement, on vit dans la petite misère à crever de faim. La musique après tout, c’est un hobby tout au plus. Non?
Avec du talent musical et un certain sens de l’organisation, c’est possible, même en 2019, d’avoir une carrière musicale.
Pas tout à fait. Avec du talent musical et un certain sens de l’organisation, c’est possible, même en 2019, d’avoir une carrière musicale. Oui, ce sont là deux qualités que je n’ai hélas jamais su maîtriser. J’ai toutefois rencontré trois artistes qui réussissent, avec de la débrouillardise, à vivre de leur musique sans (trop) se ruiner. Mieux encore, ils prouvent qu’on peut faire de l’argent avec ses rêves. Vrai que tout ça n’est pas facile, mais c’est certainement possible.
J’ai parlé de finances avec Alexandre Archambault de Mort Rose, avec Poulin et avec Marie-Gold. Trois artistes qui ne roulent pas à plein à la radio. Trois artistes dits « de la relève ». Trois artistes qui n’ont même pas encore fait paraître un premier album studio complet. Mais surtout, trois artistes qui démontrent qu’il y a plus d’un moyen de survivre financièrement à son band.
Mort Rose, PME
« On fait tout nous-même », m’explique Alexandre Archambault, au téléphone. Tôt dans leur carrière, les quatre mauvais garçons de Mort Rose ont décidé de créer une société en nom collectif. « Au lieu de créer une personne morale qui serait une entreprise, on crée une société avec nos quatre noms. Donc, l’entreprise, c’est un peu une suite de chacun, de nos finances. On a chacun 25%. On est les quatre actionnaires du groupe. »
Depuis, presque tout l’argent que génère Mort Rose retourne dans le compte du groupe. « Mon père m’a toujours dit qu’une entreprise c’est pas viable avant trois ans : tu ne devrais jamais te payer de salaire pour que ton entreprise puisse être vivante. Comment on a géré notre argent avec Mort Rose, c’est exactement comme ça. On l’a géré comme une entreprise. Aujourd’hui on le voit que ça paie beaucoup. »
« De nos poches, en tant que musiciens, on a dépensé pour produire le premier EP. Ça nous a coûté 200 – 300$ chaque. Mais après, jamais on n’a remis de l’argent. Jamais, jamais on a payé du gaz de notre poche. Jamais on n’a payé un album, du merch de notre poche. Même la bouffe, on essaie de tout payer avec le band. Au final, si tu te donnes un salaire, mais que tu dépenses plein d’argent de ton bord, tu ne fais pas plus d’argent non plus, tsé. »
« Si à un moment donné on voit que heille, crime, en plus d’avoir un fonds de roulement et de pouvoir tout payer, il y a de l’argent en extra qui se génère, là on se paiera des salaires. »
Un bel album tout neuf
Résultat : le groupe, complètement indépendant, peut déjà se payer des projets super intéressants.
« On n’est pas Styx, on n’est pas Bon Jovi. Mais on réussit à s’autofinancer. On a produit un bel album dans un bon studio avec des beaux collaborateurs. Philippe B a fait des arrangements, il y a Blaise Borboën-Léonard aussi… C’est le fun pouvoir s’offrir ça. C’est bien meilleur qu’un petit 200 piasses après un show. »
Mort Rose a commencé à approcher des maisons de disques avec ce projet d’album, mais le groupe flirte avec l’idée de le sortir complètement indépendamment. « C’est nono, mais on a tellement bien géré notre argent que maintenant, on a les capacités financières de subvenir à tous les besoins qu’un label pourrait nous donner. »
Poulin, travailleuse autonome
Pour Valérie Poulin, l’argent représente un enjeu différent. Dans un petit café sur la rue Masson, elle me raconte son parcours de future enseignante au Saguenay à musicienne à Montréal.
« Je savais pas à quel point je m’embarquais dans une insécurité financière, mais je suis contente de l’avoir fait pareil. »
« Je savais pas à quel point je m’embarquais dans une insécurité financière, mais je suis contente de l’avoir fait pareil, m’avoue-t-elle. Quand je suis arrivée à Montréal, j’avais à peine deux moitiés de chansons. Il y avait vraiment un gros travail de recherche créative. J’allais dans des cafés, j’ai fait des petites places, j’ai joué dehors… »
Tous ces efforts ont porté fruit. Fraîchement remise de son parcours remarqué aux dernières Francouvertes, elle admet que les cachets sont de plus en plus intéressants lors de ses spectacles. Aujourd’hui, elle reçoit aussi de l’argent de la bourse Jeunes volontaires.
« Il y a une partie que le gouvernement te donne par semaine et une autre partie qui est un cachet très… raisonnable! Un montant d’argent pour t’aider dans ton projet. Mais l’alliance des deux fait que tu peux vivre correct. La seule chose, c’est que tu ne peux pas travailler, which is amazing, mais ça fait que je ne peux pas me mettre de l’argent de côté non plus. »
Sans booker ni gérant pour lui taper dans le dos ou lui botter les fesses, Poulin doit savoir être autonome. « J’ai mal à mes épaules! ». Pour ne pas virer folle, elle a mis au point un système.
« Tous les jours, il faut que je fasse au moins une chose par rapport à mon projet, minimum. Quand je fais une chose, après, je vois comment je me sens. Est-ce que j’ai besoin de manger? Si j’ai de l’énergie, je fais une autre affaire. Pis quand ça me fait profondément chier, je fais autre chose. Là je vais faire du skate, je vais aller voir des amis… »
« Mais si j’ai un feeling de faire de la musique, la liste n’existe plus. Des fois je me force un peu à faire de la musique, à rechercher des affaires. Et c’est correct aussi. Mais si j’ai une inspiration, fuck off, c’est ça le plus important, tout le temps. »
La création est donc toujours au sommet de ses priorités. Ça, et son bien-être. « Des fois, je m’oublie. Je me rends compte que j’ai pas mangé aujourd’hui. Et ça c’est pas bon : à un moment donné ça va me rattraper. J’essaie de me mettre au-dessus, de faire du sport, de voir du monde. Profiter de la vie. Je suis déjà tombée déprimée à cause de ça. Il y a un danger, tsé. »
Pouvoir déléguer
Elle vient, elle aussi, de compléter un album : elle cherche maintenant une maison de disque pour l’épauler. « J’aimerais ça le sortir en version physique et qu’il y ait de la pub : ça, ça coûte beaucoup d’argent. Avoir du booking par la suite. Juste te payer des affiches, ça coûte des milliers de dollars. Je l’ai pas cet argent-là, il faut que quelqu’un l’avance. »
« Il y a sûrement moyen de s’arranger avec les stratégies numériques mais ahhh! Je trouve ça plate! »
Une étiquette lui permettrait de se concentrer sur sa musique… et des vidéoclips. « Ça, ça fait partie aussi de l’aspect marketing, mais ça m’intéresse plus. C’est créatif, tu peux vraiment développer ton univers. J’en ai fait un dernièrement [pour la chanson Assez] et là, des gens ont commencé à mieux comprendre ce que je propose. »
On termine l’entretien en parlant de son futur. Selon elle, il faut arrêter d’avoir peur d’être ambitieux. « Je veux faire de l’argent, assez pour avoir un chalet. Pas la grosse affaire, mais tu te promènes, tu voyages un peu et tu as un chalet. Il faut que tu le picture parce que sinon, ça arrivera pas. »
Marie-Gold : des marges étudiantes et une équipe
Elle aussi candidate aux dernières Francouvertes, la rappeuse Marie-Gold a dû s’adapter à la vie d’artiste solo après avoir évolué au sein de Bad Nylon. D’entrée de jeu, je lui demande si l’argent la préoccupe.
« De moins en moins parce que je commence à avoir une équipe qui m’entoure. Elle s’assure que mes cachets soient raisonnables, que je sois toujours rémunérée dans certains contextes. Elle pousse pour avoir des prix plus compétitifs et tout. Je me sens mieux encadrée. Maintenant je suis en production de spectacle avec la coop des Faux-Monnayeurs. »
« Le conseil des Arts et Lettres du Québec m’a supporté avec Bad Nylon et pour mon projet personnel. C’est une énorme aide financière quand tu es indépendante. Il faut être débrouillard et remplir les bourses et tout, mais là, c’est cool. »
Sur scène, le rap peut prendre différentes formes. Marie-Gold a récemment décidé de se lancer dans une formule avec plusieurs musiciens, ce qui entraîne son lot de dépenses.
« J’ai vécu la réalité de devoir rémunérer un show à cinq musiciens et plus et OK, whoa, c’était intense. »
« Quand j’ai fait mon premier spectacle en band, ça m’a coûté énormément d’argent. Il faut énormément de pratique aussi. Au début, je voulais un full band, avec des choristes. Ce sont des pratiques à cinq. Je tenais vraiment à rémunérer tout le monde, même s’ils me faisaient ça à un prix incroyable. J’avais une side job à ce moment-là. C’était un prêt financier, mais après, j’ai été prise en charge et ça aide vraiment. J’ai vécu la réalité de devoir rémunérer un show à cinq musiciens et plus et OK, whoa, c’était intense. »
Le plein de ressources
Elle avoue ne plus avoir besoin d’un emploi d’appoint maintenant : tout ce qu’elle fait, c’est de la musique. « Je suis sur le programme Jeunes volontaires d’Emploi Québec. Sinon on applique à des bourses comme MusicAction, le Conseil des Arts et Lettres du Québec. Si je veux voyager, je vais voir l’OJIQ, les Offices Jeunesse Internationaux du Québec, pour m’inspirer, produire, voir des artistes et tout. »
« Je pense rarement à l’argent. Pour moi, c’est pas une limite financière. Je reviens d’un voyage d’une semaine à New York parce que j’avais vraiment besoin de respirer. Je suis allée voir une autre scène. Je me donne pas vraiment de restrictions financières. Je n’ai pas non plus des idées à 20 000$. Comme mes vidéoclips, c’est moi qui les ai payés. »
« J’essaie d’être raisonnable dans d’autres aspects de ma vie. Mais si je sens que c’est meilleur pour le projet, que c’est un investissement pour le projet, dans le moment présent, je ne me mets pas de limitations. »