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Oui, la pollution sonore a un impact sur la biodiversité

Tout savoir sur l’éco-acoustique, la science qui ausculte la biodiversité par le son. 

Par
Mathilde de Kerchove
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Pas besoin d’être bardé.e de nombreux diplômes pour le savoir : l’environnement va mal en ce moment à cause de la pollution humaine. Mais une science encore très jeune, l’éco-acoustique, stipule que la pollution sonore a, elle aussi, un véritable impact sur la biodiversité.

Pour tout comprendre de cette discipline, on a jasé avec Raphaël Proulx, professeur de biologie de la conservation à l’Université du Québec à Trois-Rivières et doctorant en géographie physique.

Une autre dimension de la pollution

« L’écologie, c’est une interaction des organismes entre eux et avec leur environnement. L’écologie acoustique, c’est dès lors comment les organismes interagissent entre eux et avec leur environnement, mais par le son », explique d’emblée Raphaël Proulx.

Selon lui, on peut mesurer l’impact d’une nuisance acoustique comme celui d’un autre type de pollution. « La pollution sonore vient s’ajouter à l’addition. Si on observe l’écologie à travers les différents sens, il y a la pollution atmosphérique qu’on peut sentir par l’odorat. Ensuite, il y a la pollution thermique que l’on ressent, et la pollution acoustique que l’on entend. Pour moi, l’écoacoustique, c’est simplement une autre dimension, un autre moyen d’observer le changement dans notre environnement. »

Si un mâle émet un chant de reproduction et que ce son est masqué par le bruit d’une route ou d’une tronçonneuse, le signal envoyé sera dégradé et la reproduction, perturbée.

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Il y a trois catégories de sons, indique Raphaël Proulx. Un oiseau vivant dans son milieu, par exemple, produit lui-même des sons… Son environnement – la forêt dans ce cas-ci – produira elle aussi des sons types. Enfin, l’activité humaine constitue une autre source de bruits. Et c’est cette dernière qui est considérée comme pollution ou nuisance sonore. « Ces différentes sources acoustiques interagissent entre elles et peuvent avoir des incidences sur les organismes vivants, tout comme sur l’environnement », explique-t-il.

Ainsi, si un mâle émet un chant de reproduction et que ce son est masqué par le bruit d’une route ou d’une tronçonneuse, le signal envoyé par l’animal sera dégradé et la reproduction, perturbée.

« Depuis toujours, les animaux ou les organismes vivants utilisent les sons dans leur environnement, que ce soit pour se diriger, pour trouver des refuges ou encore pour se prévenir entre eux d’un danger, mentionne le spécialiste. Et là, on a un nouveau joueur : l’humain. L’écoacoustique se pose la question : quelle importance ça a? »

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La perte de l’habitat

Si l’habitat naturel d’un animal est en parfaite qualité, ce dernier y restera. Mais la qualité passe aussi par l’environnement sonore du lieu. « Dans le cadre de certaines études, des chercheurs ont fait l’expérience d’installer des haut-parleurs reproduisant le bruit d’une route dans une forêt. Alors qu’il n’y a pas eu de bétonisation ni de perturbations physiques dans ce milieu, on a constaté un changement de comportement chez les espèces qui y habitaient », explique Raphaël Proulx. Un organisme vivant n’hésitera donc pas à quitter son habitat pour cause de pollution sonore.

«Beaucoup dénoncent qu’il n’y ait aucun endroit protégé des nuisances sonores dans notre province»

Pour éviter ces perturbations, il faudrait protéger de plus en plus de zones des nuisances sonores produites par les humains, ce qui est un phénomène encore très peu répandu au Québec.

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« Beaucoup dénoncent qu’il n’y ait aucun endroit protégé des nuisances sonores dans notre province, et je trouve ça très intéressant qu’on se penche enfin là-dessus, affirme le professeur. Créer des endroits exempts de toute pollution acoustique, c’est vraiment à notre portée avec tous les moyens technologiques qu’on possède. Même en plein milieu urbain. »

« En attendant, ce qu’on fait beaucoup, c’est de limiter les sources de sons comme pour le bruit des voitures, par exemple, poursuit-il. Il y a certaines zones où la vitesse est limitée, pas uniquement pour la sécurité, mais aussi pour réduire le bruit émis par les véhicules. »

Une menace invisible sous les flots

Pour Raphaël Proulx, les environnements les plus affectés par les nuisances sonores sont les milieux marins et d’eau douce. Pourquoi? « Tout simplement parce que l’humain n’est pas conscient du bruit qu’il fait en dessous de l’eau, puisqu’il ne l’entend pas », explique le professeur.

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En effet, l’humain est conscient de la pollution sonore qu’il émet sur la terre ferme, et peut en être dérangé. Mais sous l’eau, c’est une tout autre histoire. « Un promeneur qui est dans un parc national et qui entend un gros bruit d’hélicoptère va forcément être importuné et va réaliser que cette nuisance perturbe aussi l’environnement dans lequel il se trouve. Ce n’est pas le cas sous l’eau », souligne Raphaël.

Avec son équipe, l’expert a d’ailleurs entamé des recherches dans les lacs du Québec, un milieu encore très peu étudié et très peu documenté. « Dans ces plans d’eau, il ne s’agit pas d’étudier le comportement de gros mammifères marins face au bruit. On observe la réaction des petits poissons d’eau douce face aux nombreuses nuisances, comme celles des barrages, des constructions de pontons, de ponts ou encore des nombreux bateaux à moteur. »

«Comme ces poissons sont dans des milieux fermés (les lacs), ils n’ont nulle part où fuir le bruit»

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Bien que sa recherche soit encore jeune, Raphaël Proulx a la ferme intention de prouver que les nuisances sonores ont un réel impact sur la vie aquatique des lacs de la région. « On a réalisé que les poissons avec une bonne audition sont sensiblement réactifs aux bruits. Ce n’est pas létal, mais comme chez l’humain, ça a des incidences sur l’accomplissement de tâches et donc forcément sur des comportements naturels comme la reproduction. Et comme ces poissons sont dans des milieux fermés (les lacs), ils n’ont nulle part où fuir le bruit », explique le professeur.

Pour lui, on devrait commencer par serrer la vis sur la vitesse des bateaux à moteur. « Le son est associé à la source. Dans le cas d’une chaloupe, plus elle va vite, plus elle génère de la pollution acoustique. Je pense qu’inévitablement, on va aller vers de plus en plus de limitation sur les plans d’eau fermés comme les lacs », assure le spécialiste.

Finalement, pour le chercheur, l’éducation à l’écologie passe forcément par l’écoacoustique. « Je suis persuadé qu’on réussira à toucher plus de gens si on leur parle en termes de sens. Je pense que leur parler de bruit et de nuisance sonore leur permettra de s’identifier. »

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Nous sommes tous et toutes à la recherche de logements silencieux, ou de lieux paisibles pour travailler, sans bruit. Alors pourquoi ça serait différent pour les autres espèces vivantes?