Peu de temps avant d’accoucher, ma mère a émis le souhait de me rendre visite à l’hôpital. Elle a été particulièrement déçue quand j’ai refusé illico sa demande. Pas question, pensais-je, de passer les 24 à 48 heures de mon séjour à l’hôpital à recevoir qui que ce soit. Je prendrais le peu de repos que les infirmi ères m’accorderaient pour dormir. Pour le reste, on verrait une fois revenus à la maison.
En discutant avec ma mère et ma belle-mère, c’est vite devenu clair qu’elles et moi n’avions pas du tout vécu le même type de séjour à l’hôpital. J’ai eu 36 heures de séjour pour me remettre, tout en m’habituant à la présence d’un tout nouveau bébé dans la chambre. Ma mère et ma belle-mère ont plutôt eu des séjours de quelques jours, durant lesquels le bébé était amené à la pouponnière et emmené dans la chambre pour les boires. Si le bébé était nourri au biberon, les infirmières pouvaient s’en charger à l’occasion.
Le tout m’apparaissait un peu froid et clinique, mais après 36 heures de réveils constants, soit pas l’équipe médicale ou par le bébé, ça me faisait un peu envie. Surtout que plus le temps passait sans dormir, plus le risque de m’endormir sans crier gare augmentait et c’est finalement arrivé lorsque j’avais le bébé sur moi. Heureusement, j’ai été réveillée par une infirmière qui, en lisant le désespoir sur mon visage, a emballé mon bébé de couvertures chaudes et a réussi à l’endormir dans le petit lit de plastique pour un bon 4 heures.
Mais si le bébé ne s’était pas endormi dans la chambre, aurait-il pu être apporté à la pouponnière? Non, m’a-t-on dit.
Et quand mon conjoint a demandé s’il pouvait l’apporter dans une autre petite pièce de l’hôpital pour que je puisse dormir un peu, on l’a renvoyé dans la chambre.
Mère et belle-mère ont été grandement surprises de la pratique. Heureusement, j’avais des anecdotes plus récentes sur lesquelles baser mes attentes. Mais pourquoi les choses ont-elles changé ainsi? Les pouponnières ont-elles disparu?
La faute à l’allaitement
La réponse courte est non, mais la réponse longue est, bien, un peu plus longue et complexe.
Car si les pouponnières n’ont pas disparu, leur usage s’est dé-démocratisé.
On est aujourd’hui loin des parents ravis qui regardent leur rejeton à travers la vitre d’un hôpital. Mais depuis quand? Et, surtout, pourquoi?
La réponse est intrinsèquement liée à la promotion de l’allaitement.
En 1991, l’Organisation de la Santé et l’UNICEF ont mis en place l’initiative des hôpitaux Amis des bébés. L’objectif était de faire la promotion de l’allaitement, en réponse au déclin des années précédentes, et, par la bande, de renforcer le lien d’attachement entre l’enfant et les nouveaux parents.
Pour être reconnu comme un hôpital Amis des bébés, l’une des 10 conditions à respecter est que la mère doit passer les premiers 24h suivant la naissance avec son nourrisson, sans interruption. Cette proximité ferait en sorte que la mère puisse s’habituer à reconnaître les signaux de faim du nouveau bébé et à y répondre dans l’immédiat, en l’allaitant.
Le titre Amis des bébés ne vient pas seulement avec des recommandations, mais avec un pourcentage : 80%. 80% des mères qui viennent d’accoucher doivent avoir leur bébé dans leur chambre d’hôpital, 24 heures sur 24 et au moins 80% des femmes qui ont des bébés prématurés sont encouragées à demeurer auprès de leur nourrisson jour et nuit. Le bébé ne peut être séparé de la mère que pour des raisons médicales sérieuses.
Tous les hôpitaux canadiens ne sont pas Amis des bébés, mais le document sert de référence pour les directives nationales de soins à la mère et à l’enfant.
Il s’agit d’une belle victoire pour la promotion de l’allaitement et pour toutes les mères qui ne rêvent que de coller enfin ce petit bout qu’elles ont tant attendu. Pour le système de santé, l’approche a aussi le bénéfice de réduire les coûts. Win-win, right ?
Pas si vite
Tout le monde n’est pas de cet avis. Dans un article du New York Times publié en 2020, plusieurs médecins décriaient que l’initiative pouvait mettre les bébés en danger, en les laissant dans la même chambre qu’une mère épuisée à laquelle on a parfois donné des médicaments qui peuvent la rendre somnolente.
Là, je me questionne à savoir si la récupération de la mère après l’accouchement est pris en compte par de telles initiatives.
Est-ce que le manque de sommeil lié à cette cohabitation pourrait augmenter les risques de dépression postpartum pour certaines mères? Pourrait-il y avoir des solutions alternatives aux pouponnières, comme une pièce où les autres parents ou un membre de la famille pourrait bercer le bébé pour quelques heures avec le consentement de la mère? Les bébés qui sont séparés de leurs parents à la naissance pour des raisons médicales ont-ils nécessairement tous des problèmes d’attachement plus tard?
Quand je fais le tour de mon cercle d’amies, plusieurs ont aimé avoir leur bébé auprès d’elles, d’autres auraient voulu mais n’ont pas pu, alors que certaines auraient souhaité avoir un break de quelques heures… mais n’ont pas pu, non plus.
Je ne sais pas si c’est être « amis des bébés » que de demander à toutes les mères de nier leur épuisement.