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« Tu sais que tu dois jouer sur un fixie et que t’as pas le droit de toucher le sol avec ton pied, right? », lance mon collègue Jean avec un air perplexe lorsque je lui explique mon projet d’essayer le bike polo, un sport frankensteinesque où les joueurs doivent taper sur une balle avec des maillets homemade pour marquer des buts en filant à toute vitesse sur leur bécane, le tout sur un terrain asphalté.
Mais qu’importe mes inquiétudes (qui se sont accentuées en partie grâce à mon voisin de bureau), l’idée d’essayer un nouveau sport funky et underground pour le fu.. eum, pour le droit du public à l’information, l’emporte.
Des « bike punks » accueillants
Je me dirige au lieu de rencontre dans un parc de Pointe-Saint-Charles autour de 19h sous un ciel rose pastel. Sur place, je tombe sur Brett, le premier joueur de la soirée à être arrivé. « Ça fait une heure que je suis ici. Je travaille pas très loin donc je me suis dit que je viendrais directement », m’explique le joueur originaire de l’Ouest canadien.
Étant tombé en amour avec le sport à Vancouver il y a 5 ans, il s’est vite trouvé une ligue lors de son déménagement à Montréal. « Ce que j’aime du bike polo, c’est que c’est un sport où tout le monde est le bienvenu. On est une gang de bike punks qui chillent avec des bières. C’est pas compétitif, on fait ça pour le fun », confie l’ancien coursier à vélo, qui joue presque tous les mercredis et jeudis, où le niveau est plus avancé.
«c’est un sport où tout le monde est le bienvenu. On est une gang de bike punks qui chillent avec des bières. C’est pas compétitif, on fait ça pour le fun»
Même si ce n’est pas compétitif, il y a tout de même des risques de blessures réelles nuance Brett, qui s’est déjà cassé la clavicule en flippant par-dessus son vélo et la mâchoire en faisant une chute. Rien pour me rassurer, mettons…
Je jette un coup d’œil au vélo de l’athlète. « Il est spécialement conçu pour le bike polo! », lance-t-il, devinant ma prochaine question. Il explique que les bolides de poloïstes sur roues ont habituellement une vitesse, ce qu’on appelle des single speed, avec des rayons très rapprochés ou des roues pleines pour éviter que la balle se coince dans un interstice. Un seul frein trône sur le guidon. « Moins il y a de pièces, mieux c’est, puisqu’elles risquent de se briser avec les impacts de maillet à maillet ou de vélo à vélo ». Parce que oui: les contacts sans « exagération » entre les joueurs sont permis.
Super…
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« Here they come! » lance Brett en regardant quelques cyclistes se diriger vers nous.
Entre deux clichés du ciel aux couleurs poétiques et des nouveaux arrivants, Germain Couet, l’un des piliers de Montreal Bike Polo m’accueille en bonne et due forme. « Faque là, tu vas essayer j’espère? Tu vas voir, c’est pas si compliqué que ça! » m’encourage-t-il.
Facile à dire. Après 11 ans à frapper une balle du haut de sa bécane, le sport n’a plus beaucoup de secrets pour lui. À une époque où le mot COVID ne faisait même pas partie des choix à Scrabble, Germain cumulait les tournois interprovinciaux, nationaux et même internationaux. « Les gens ne savent pas nécessairement ça, mais chaque grande ville a son équipe compétitive. Le réseau demeure super friendly, mais on peut quand même jouer à un niveau compétitif », soutient Germain, qui souligne par le fait même que l’équipe d’Ottawa est assez coriace en général.
« La communauté est principalement formée d’artistes. Beaucoup travaillent dans l’industrie des jeux vidéo ou ont un emploi comme coursier à vélo. Ça prend des gens qui aiment patenter et faire des trucs DIY pour pratiquer ce sport », estime-t-il.
«La communauté est principalement formée d’artistes. […] Ça prend des gens qui aiment patenter et faire des trucs DIY pour pratiquer ce sport»
Si le bike polo a connu certaines vagues de popularité depuis qu’il y joue, Germain considère que c’est encore méconnu, au plus grand plaisir de certains et au grand dam d’autres. « Il y a des joueurs qui ne veulent pas qu’il y ait trop d’attention et des commanditaires qui soient mêlés à ça pour que ça reste authentique. Par contre, lorsqu’on arrive pour organiser des tournois ou réserver des terrains pour des évènements, on a de la misère à se faire accueillir parce qu’on a personne pour nous backer. Personnellement, j’aimerais qu’on soit plus reconnu et qu’on s’ouvre à ce genre d’opportunités là davantage », avoue Germain.
Les couleurs pastel ont laissé leur place au ciel étoilé. Ma montre affiche presque 20h. « Ouin, c’est ben rare que les gens soient à l’heure », révèle Catherine Genest, une apprentie poloïste en train d’installer les roues sur sa bécane.
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Elle raconte avoir découvert le sport l’an dernier pendant la pandémie, « une des seules façons de continuer à voir du monde ». « J’ai été coursière à vélo pendant un bout puis je me suis trouvé une autre job. Quand j’ai essayé le bike polo, j’ai retrouvé le sentiment de “danger” et l’adrénaline que j’avais lorsque je zigzaguais entre les autos », confie Catherine, qui joue aussi lors des « queer nights », une soirée spécialement destinée aux membres de la communauté LGBTQ+.
D’autres cyclistes se joignent à nous. « Yes, on va pouvoir jouer ! », lance Germain.
Une petite coulisse de sueur froide traverse mon dos.
« Ready?!! POLOOO! »
Germain m’explique brièvement les règles: les deux équipes formées de trois joueurs s’affrontent pendant 12 minutes, ou jusqu’à ce que l’une d’entre elles marque 5 buts. Pour marquer, il faut frapper avec le bout de son maillet et non avec le côté, qui ne sert qu’à manipuler la balle et faire des passes. On peut « scooper » la balle avec la partie creuse du maillet pour faire un jeu et on ne doit pas toucher terre avec son pied. Si ça arrive, on doit retourner jusqu’à la ligne rouge au centre du terrain et taper avec son maillet sur la bande avant de pouvoir retourner au jeu.
Brett lance les maillets des participants au centre de l’arène. À la manière des games de hockey de parc amicales, il se ferme les yeux et lance tour à tour à droite et à gauche les bâtons pour déterminer quelles seront les équipes.
Les six joueurs enfourchent leurs bécanes et se mettent côte à côte à chaque extrémité du terrain, prêts à bondir lors de la mise en jeu. Un joueur sur le banc vient mettre la balle au centre de la patinoire asphaltée et sort aussitôt. « Ready?!! POLOOOO! » s’exclame-t-il par-dessus de la musique punk rock alors que les joueurs se ruent sur la petite sphère orange innocente.
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Les habiles cyclistes attaquent et contre-attaquent sans paraître déboussolés par le fait qu’ils doivent composer avec des paramètres vraiment pas évidents à maîtriser. Plusieurs font des manœuvres avec leur vélo qui mériteraient leurs places dans les X Games.
« Booooorrriiinnnggg! » crient quelques personnes à ma droite quand l’un des joueurs enfile les buts. « C’est parce qu’il fait pas assez de passes. Il fait juste scorer des buts donc on le taquine avec ça », explique Germain en pointant Raphaël, un des bons joueurs de Montréal selon lui, qui joue depuis quelques années.
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La première partie finie. On laisse la place à d’autres joueurs.
« Tu veux pas y aller? », me demande Julia Dubé, une des administratrices de Montreal Bike Polo, en sirotant une bière. « Je vais encore analyser un peu le jeu. J’embarquerai à la prochaine », lui prétextai-je, toujours apeuré de flipper par-dessus mon guidon et de me briser les os.
La deuxième partie passe rapidement. Cinq buts sont marqués en moins de 12 minutes. Je ne peux plus me cacher: c’est à mon tour.
Un des joueurs d’environ ma taille me prête gentiment sa machine de guerre. « Attention, le frein est pas mal raide », m’avertit-il, attisant d’une coche mon angoisse.
« Ça va bien aller! On est habitué d’avoir des nouveaux joueurs! », m’encourage à son tour Raphaël.
Je me place du mieux que je peux en position accoté sur la bande de la patinoire. Mes battements cardiaques doivent frôler les 200 par minute.
« Pis? C’était pas si pire? Tu t’en tirais bien! C’est difficile pour tout le monde au début, je te jure », tente de me rassurer Germain voyant ma mine basse.
Ce qui me surprend le plus, c’est le niveau d’équilibre à avoir pour ne pas chuter et/ou rentrer dans un autre joueur tout en frappant la balle efficacement.
La musique repart. « Ready!?? POLOOOO! ». Je m’élance timidement, tentant de manier mon maillet et mon guidon en même temps.
Raphaël « scoop » la balle à plusieurs reprises et semble en parfait contrôle. Germain et lui se font des passes pratiquement sans regarder puisqu’ils savent exactement où l’autre sera, une scène digne d’une valse émouvante, où j’aurais le rôle du vilain petit canard boiteux.
Ce qui me surprend le plus, c’est le niveau d’équilibre à avoir pour ne pas chuter et/ou rentrer dans un autre joueur tout en frappant la balle efficacement.
J’essaie tant bien que mal de capter les passes très lentes que les joueurs me font, mais une fois sur deux, j’ai de la difficulté à me synchroniser et je manque la cible. Ce que je ne manque pas par contre c’est de jurer à qui mieux mieux tandis que je pose le pied par terre, incapable de tout gérer en même temps.
Néanmoins, tous les joueurs confondus m’encouragent abondamment les rares fois que j’arrive à toucher la balle. Malgré mon esprit compétitif, j’arrive à avoir du plaisir, chose facile avec l’ambiance amicale qui règne.
La partie tire à sa fin et à part avoir fait des ronds autour des joueurs et essayé de ne pas trop être dans leurs jambes, je ne peux pas dire que j’ai contribué à grand-chose. Le score final est de 0-0, une note qui illustre bien ma performance.
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Malgré tout, j’ai bien aimé l’expérience et je comprends pourquoi ces « bike punks » se réunissent chaque semaine pour y jouer. « On a un gros tournoi qui s’en vient le 2-3 octobre prochain où des gens de New York, San Francisco et même Anchorage vont venir. On attend une cinquantaine de personnes. Ça va être malade! » lance Julia, soulignant que cette édition, une tradition annuelle, sera d’autant plus spéciale puisque ce sera un grand retour post-COVID.
Je retourne à la maison sur mon vieux vélo pas du tout fait pour le bike polo en me disant qu’éventuellement, je pourrais peut-être lui faire un méchant changement et revenir me pratiquer avec la bande.
Et cette fois-là, j’aurai beaucoup moins peur.