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« On a doublé mon loyer »

Lettre ouverte de locataires impuissantes face à la crise du logement.

Par
Leonie LR
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On venait tout juste d’apprendre que la maison de campagne que ma copine louait depuis maintenant 6 ans serait reprise par le propriétaire. Les mois précédant le départ, on a vu le terrain se transformer : les fleurs sauvages, les arbres, même le lilas se sont fait déraciner. Le propriétaire voulait un terrain « propre », du gazon vert.

Un ami nous parle alors d’une maison centenaire située dans le coin, inhabitée depuis des décennies, qui serait présentement en rénovation et bientôt à louer.

Alors, on est allées visiter ladite maison. Cette journée-là, la lumière était magique. Elle traversait les petites fenêtres du salon en filaments dorés pour aller se coucher sur le champ voisin. Des lattes de planchers immenses avec des clous carrés, des poutres d’origine, un espace pour mon atelier.

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En plus, c’était une maison bigénérationnelle : une rallonge était en construction à l’arrière. J’avais le souhait d’y faire emménager ma tante avec qui j’habitais depuis 2 ans. Un peu hors de notre budget, on n’a pas pu s’empêcher de rêver et de s’imaginer y vivre.

On dit oui. Le timing n’est pas idéal, le bail commence en hiver, mais tant pis, on la veut.

De toute façon, il n’y a rien d’autre qui convienne à nos besoins dans le coin et on doit bouger. Chacune de notre côté, on passe plusieurs mois à planifier le déménagement, à fuller le char de boîtes à chaque voyage. C’est épuisant.

En juin, on est enfin officiellement installées. Le rang est tranquille, nos seuls voisins sont super sympathiques.

On aménage le terrain, on y plante des fleurs. On s’assoit chaque soir sur le balcon pour observer le coucher de soleil flamboyant et on se pince de se dire qu’on habite là.

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Plus ça change, plus c’est pareil

Et puis, vient le mois d’août. On apprend que nos proprios, qui avaient acheté pour les terres agricoles, ont décidé de vendre les acres sur lesquels repose notre maison à un autre agriculteur du coin. On ressent toutes les deux une boule au ventre. On espère naïvement que l’agriculteur n’aura pas le projet de reprendre notre logement, ce qui nous remettrait dans une situation similaire à celle dont on venait à peine de sortir, il y a deux mois.

Un appel téléphonique de l’agriculteur : premier contact. L’échange est cordial. Jusqu’à ce qu’on se mette à parler de technicalités : il juge que la rallonge fait de la maison un duplex, alors qu’on estime que, comme il n’y a qu’une seule adresse et un seul compteur, c’est bien une maison bigénérationnelle. Le ton change.

« Ha ouin? Vous voulez faire valoir vos droits? Il est jusqu’à quand, votre bail? »

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Et un matin, à 9h tapante, notre nouveau propriétaire se présente chez nous. C’est la première fois qu’on se rencontre en personne.

En main, une lettre officielle nous apprenant qu’il double notre loyer au renouvellement dans 3 mois.

La clause F permet aux propriétaires « d’immeubles construits ou dont l’affectation date de moins de 5 ans » d’augmenter les loyers sans limite. Flashback du moment de la signature du bail et de ces fameuses pages qu’on passe rapidement, notre enthousiasme prenant le dessus. Après vérification, cette clause avait bel et bien été cochée.

Notre maison est centenaire, et donc n’a pas été construite il y a moins de 5 ans. On se dit donc qu’il doit y avoir eu changement d’affectation dans les dernières années, comme le propriétaire juge que la fameuse clause F est applicable. Suite à mes appels à la municipalité, rien de tel n’a été enregistré.

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On aimerait avoir le feu pour se battre, mais on est fatiguées. Ensemble, ce sera notre quatrième déménagement en 2 ans.

Et surtout, on sait trop bien ce qu’impliquent les procédures au Tribunal du logement, pour être toutes les deux passées par là (et avoir entendu les histoires de beaucoup de gens proches de nous). On perd dans tous les cas : on risque un climat désagréable si on décide de rester, on permet une augmentation illégale du loyer aux prochain.e.s locataires si on décide de quitter…

Habiter le temporaire

C’est partout pareil, dans le fond. Même dans les milieux ruraux, la gentrification transforme le paysage et crée des âmes en perpétuelle recherche de logis.

Beaucoup de gens de notre entourage vivent dans des roulottes pendant la saison maraîchère et vont ailleurs en hiver. Comment espérer revitaliser nos régions en les privant des gens qui les habitent « pour vrai »?

La définition du verbe « HABITER » selon le dictionnaire Larousse : « avoir son domicile quelque part, y résider de manière relativement permanente, y vivre ».

S’enraciner est une chose si simple, mais si importante.

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Quoiqu’en dit le gouvernement en place, la crise du logement est réelle et tangible. Déménager aux six mois n’est viable pour personne. Tout le monde devrait pouvoir se déposer dans un lieu et y habiter réellement.

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