LogoSponsor

« Norbourg » : un film sur Vincent Lacroix, mais un film sur nous aussi

La petite histoire financière des Québécois.es racontée au grand écran.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

Le 25 août 2005, la Gendarmerie royale du Canada mène une perquisition ultramédiatisée dans les bureaux de l’entreprise de gestion d’actifs Norbourg. Les Québécois.es apprennent alors avec horreur qu’un escroc en complet cravate s’est servi à même les économies de petit.e.s épargnant.e.s qu’il était supposé représenter afin de financer des acquisitions, prêter de l’argent à des proches, payer des bonis princiers à ses employé.e.s et pire encore.

Le pourquoi du comment n’est pas important. L’ampleur du drame écorche la province. Plus de 9200 personnes viennent de voir l’argent de leur retraite partir en fumée. Un cauchemar qui ébranle la confiance de plusieurs envers nos institutions financières.

La justice condamne le PDG de Norbourg Vincent Lacroix à douze ans moins un jour de prison et à une amende de 255 000 $. Lors de sa condamnation, il écorche son délateur, blâme l’alcool pour ses problèmes et, bref, refuse de prendre responsabilité pour ses actions. Il sort du pénitencier en 2009 et refera plus discrètement sa vie en marge du système judiciaire.

Publicité

Aujourd’hui, c’est la sortie officielle du film Norbourg, qui retrace les événements de cette sordide affaire. Au Québec, on est friand.e.s de films basés sur des faits réels. On aime réinterpréter notre histoire de façon à mieux la comprendre intellectuellement et émotionnellement. Sans être parfait, Norbourg jette plus qu’une lumière sur cette escroquerie financière de grand chemin. Le film de Maxime Giroux examine notre rapport à l’argent au sens large, qui a teinté non seulement notre compréhension de l’affaire Norbourg, mais qui l’a aussi influencée.

Là où Norbourg brille

Interprété par un François Arnaud au regard carnassier et à la chevelure pétrochimique, le Vincent Lacroix de Norbourg n’est pas exactement une copie conforme du triste truand ayant subtilisé les économies de milliers de Québécois.es. Il incarne plutôt une version idéalisée de l’opportunisme financier ayant rendu ce crime possible. Il est à la fois un crosseur théorique et historique. C’est le genre de choix qu’un film peut se permettre. Après tout, ce n’est pas obligé d’être la-réalité-au-détail-près.

Norbourg nous explique comment une crapule comme Vincent Lacroix a pu passer pour un homme d’affaires prospère pendant sept longues années.

Publicité

C’est là une distinction très importante parce que Norbourg passe beaucoup de temps à expliquer les circonstances ayant permis à un seul homme de financer son entreprise et divers projets personnels de pertinence variable (de l’achat d’une maison à quelques soirées aux danseuses). L’argument que Norbourg rend très bien, c’est qu’il est utopique d’espérer que du personnel gouvernemental surtaxé et sous-payé soit capable ou ait même l’envie de coincer un malfrat de la trempe de Vincent Lacroix. Que le système ne fonctionne pas et que l’hypercentralisation des organes de surveillance comme la Commission des valeurs mobilières du Québec (plus tard intégrée à l’Autorité des marchés financiers) mène à une déresponsabilisation.

Autrement dit, les employé.e.s chargé.e.s de surveiller les requins de la finance font leur boulot, mais ne combatteront pas le système à des fins purement idéologiques. Il aura fallu un nombre effarant d’erreurs et d’admissions maladroites de la part de Lacroix afin qu’il se fasse prendre. C’est la pression mise par ces erreurs qui poussera son vice-président des finances Éric Asselin à le trahir.

Publicité

Sans jamais nous tenir par la main, Norbourg nous explique comment une crapule comme Vincent Lacroix a pu passer pour un homme d’affaires prospère pendant sept longues années. Un milieu où les conséquences de nos gestes ne se concrétisent qu’en une série de chiffres, où la surveillance est aussi abstraite que peu fréquente et où les conséquences prennent du temps à se matérialiser est un terreau fertile pour les opportunistes.

Norbourg essaie d’illustrer des conséquences concrètes du crime de Vincent Lacroix à travers le personnage de Paul-Émile, qui investit l’héritage de sa petite fille dans un produit de la compagnie. Bien que sa vulnérabilité et son anxiété soient des plus touchantes, elles ne trahissent qu’une infime partie de la transgression de Lacroix.

Là où Norbourg réussit un peu moins bien

Norbourg, c’est d’abord et avant tout l’histoire de l’effondrement moral d’Éric Asselin, interprété par un Vincent-Guillaume Otis juste assez maussade pour être efficace. Au départ employé comme enquêteur pour la Commission des valeurs mobilières, Asselin vit dans un petit appartement (qui semble situé près du boulevard Crémazie, si j’ai bien regardé par la fenêtre – t’sais, un endroit laid), il trahit son éthique personnelle et professionnelle pour faire une passe de cash aux côtés de Lacroix.

Tout le monde vole de l’argent à pleines poches, mais personne ne semble y prendre du plaisir à part Lacroix.

Publicité

Mon problème avec ce film (aussi peu crucial soit-il) est ancré autour de ce personnage et du fardeau éternel qu’il semble traîner sur ses épaules. Dans Norbourg, la richesse est extrêmement abstraite. On y voit quelques soirées aux danseuses, des soupers au restaurant et quelques achats princiers comme le ridicule château d’Asselin à Beauport. Tout le monde vole de l’argent à pleines poches, mais personne ne semble y prendre du plaisir à part Lacroix, l’esprit embrumé après avoir pris un verre.

C’est fort probablement un choix conscient de la part de Maxime Giroux et son équipe, parce que c’est facile de tourner un personnage de la sorte en antihéros. On n’a qu’à penser au film The Wolf of Wall Street de Martin Scorsese, qui a transformé le fraudeur Jordan Belfort en figure épicurienne, ou plus près de chez nous encore, les truands de la Commission Charbonneau applaudis à tout rompre pour avoir tenu tête au gouvernement. En se concentrant sur le crime et non sur les dividendes, on s’assure de ne pas transformer Vincent Lacroix en Lino Zambito.

Ça, je le comprends.

Je n’ai pu m’empêcher de rire pendant la scène où Asselin empile des enveloppes pleines de billets de 100 $ sous de la viande à fondue et du rôti de palette dans son congélateur.

Publicité

Le problème, c’est que Norbourg aborde systématiquement la thématique de l’argent comme si c’était le mal incarné. Non seulement on a de la difficulté à comprendre ce qui motive Éric Asselin vu son éternelle anxiété face à ses actes (il devait bien trouver ça le fun à quelque part FRAUDER LES QUÉBÉCOIS.ES s’il l’a fait pendant plusieurs années), mais on vient à se demander si ce n’aurait pas été plus efficace de nous montrer la vacuité et l’intenabilité de son nouveau mode de vie à la place. Par exemple, le voir gérer des demandes de plus en plus dispendieuses de la part de ses proches. Je n’ai pu m’empêcher de rire pendant la scène où Asselin empile des enveloppes pleines de billets de 100 $ sous de la viande à fondue et du rôti de palette dans son congélateur, tel un Séraphin Poudrier du XXIe siècle.

Le réalisateur de Norboug, Maxime Giroux
Le réalisateur de Norboug, Maxime Giroux
Publicité

L’argent, parlons-en. Parlons du bien que ça apporte. Parlons du mal que ça apporte. Arrêtons d’en faire une abstraction et de dire que ça ne fait pas le bonheur. Dans l’ensemble, Norbourg est un très bon film pour comprendre les circonstances sociales et financières qui ont rendu une fraude d’une telle magnitude possible, mais qui a quand même un peu de difficulté à regarder son objet en face. N’en portons pas rigueur à Maxime Giroux.

Parler d’argent au Québec, c’est un tabou avec lequel on devient tous et toutes graduellement un peu plus confortables. Allons voir son film pour mieux comprendre un chapitre sombre de notre histoire financière.