Tous les parents d’enfants d’âge préscolaire le savent : le partage est loin d’être une notion facile à mettre en place. C’est peut-être pour ça que de plus en plus d’expert.e.s en éducation à la petite enfance croient qu’on devrait tout simplement arrêter de forcer les enfants à partager.
Les gens qui adoptent cette tendance pour le moins surprenante pensent qu’en attendant que l’enfant soit assez vieux pour partager ses jouets de son propre gré, soit entre 4 et 6 ans, on favorise un geste plus sincère.
Par la bande, on évite aussi pas mal de crises de bacon. Et je ne sais pas vous, mais pour ma part, cet argument suffit pas mal à me convaincre.
On vit dans une société
Cette nouvelle tendance part tout de même d’un fait : à 2, 3 ou même 4 ans, un enfant n’a pas encore les capacités cognitives pour vouloir partager avec ses camarades.
« Autour de quatre ans, l’enfant commence à voir le “nous” plutôt que seulement “moi” ou “toi”. C’est ce stade qu’il faut atteindre pour bien comprendre et appliquer la notion de partage », explique Pénélope Allen, psychoéducatrice. L’experte me confirme d’ailleurs que la réflexion autour du partage est bien amorcée au Québec – et qu’elle l’applique elle-même lors de ses consultations.
Toutefois, on se rappelle qu’on vit dans une société. Les modules du parc, par exemple, sont destinés à un usage collectif. Je me sentirais assez mal de permettre à ma fille de monopoliser la glissade juste parce qu’elle n’est pas rendue là dans son développement.
Est-ce que la parentalité bienveillante est allée trop loin? Ou est-ce que c’est moi qui a besoin d’ouvrir mes horizons?
Sont pas rendu.e.s là
Comme plusieurs expert.e.s en éducation à la petite enfance, Pénélope Allen privilégie une approche développementale dans ses interventions. « Contrairement à une approche plus comportementale, l’approche développementale s’attarde aux besoins et aux émotions de l’enfant qui sous-tendent son comportement », m’explique la psychoéducatrice. En gros, on se concentre sur le stade de développement et la maturité de l’enfant, histoire de le prendre là où il est plutôt que de le tirer là où il n’est peut-être pas encore prêt à se rendre.
L’enseignement du partage n’est d’ailleurs pas la seule affaire que les expert.e.s comme Pénélope Allen encouragent les parents à remettre à plus tard. Il en va de même pour l’apprentissage de la propreté, les nuits ou encore la gestion des fameuses crises. « Plusieurs adultes s’attendent à ce que les jeunes enfants ne fassent pas de crises à 3 ou 4 ans, alors que d’un point de vue développemental, c’est tout à fait normal. La régulation émotionnelle passe par plusieurs étapes : identifier ses émotions, les exprimer et les gérer – un stade qui n’est pas atteint avant l’âge de quatre ans », explique la psychoéducatrice.
Pénélope Allen croit également que de ne pas forcer les enfants à partager leur permet d’être plus à l’écoute de leurs besoins et de mieux exprimer leurs limites.
« Si on impose le partage trop tôt, on risque d’élever des enfants qui feront simplement ce qu’on leur demande, sans réelle intention », m’explique la psychoéducatrice.
C’est sûr que vu de même, c’est assez positif : je ne veux pas que ma fille devienne un tapis qui n’est pas capable de demander ce qu’elle veut – une augmentation, par exemple –, ou une people pleaser. D’un autre côté, je n’ai pas non plus envie qu’elle devienne un enfant roi égoïste et gossant qui fait une crise quand les ami.e.s veulent faire un tour dans « sa » balançoire au parc.
Apprendre comme il faut
Les parents ont bien sûr un rôle à jouer dans tout ça. « Il faut faire la distinction entre apprendre à partager et forcer à partager », résume Pénélope Allen. Et c’est probablement ça, le plus important à retenir avec cette nouvelle approche : on ne vous demande pas de laisser votre enfant agir comme une peste, mais plutôt de lui faire comprendre que le partage ne signifie pas de tout donner à l’autre sans se poser de questions.
« L’idée n’est pas d’interdire le partage, mais de mieux le délimiter et de l’enseigner progressivement », résume la spécialiste.
Donc, si Timothée joue avec des camions trouvés au parc du quartier et qu’un autre enfant veut les prendre, on peut l’encourager à terminer son jeu avant de prêter le jouet. On peut aussi lui proposer une alternative, comme de jouer avec l’autre enfant ou de lui prêter un seul camion de son lot.
Ce genre de situation est aussi l’occasion rêvée d’apprendre à votre enfant à verbaliser ce qu’il ressent par rapport à la situation avec des mots plutôt que de taper son ami avec le camion. Pas question, donc, de monopoliser les jouets ou de laisser notre enfant être le bully du bac à sable. On veut surtout lui apprendre à évaluer des situations… et à s’écouter.
C’est pas fou, au final.