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Neil Bissoondath. Si vous avez déjà étudié à Université Laval, en littérature ou pas, vous avez sûrement déjà entendu ce nom. C’est un écrivain, un professeur en création littéraire et tout un personnage! Pour tout dire, j’ai suivi son cours d’écriture de roman, et ça a carrément changé ma vie.
On entre dans son premier cours. J’ai 19 ans. Il se met à parler de sa vie comme d’un film.
Neveu de l’écrivain et prix Nobel de littérature V. S. Naipaul, Neil Bissoondath savait déjà, à 10 ans, qu’il voulait être écrivain. Parce qu’il adorait les histoires, les romanciers et tout le truc. Originaire d’une petite île des Caraïbes, c’est à 18 ans qu’il déménage à Toronto. Il fera un détour par Montréal avant de s’installer à Québec comme professeur de création littéraire, à l’invitation de l’Université Laval. Non seulement il a changé de ville, mais aussi de langue d’études, une décision personnelle ambitieuse, mais enrichissante.
Non seulement il a changé de ville, mais aussi de langue d’études, une décision personnelle ambitieuse, mais enrichissante.
En poursuivant son récit, il fait un pas en arrière, nous explique qu’avant de s’installer ici il a reçu, à la fin de sa vingtaine, une bourse pour aller peaufiner le manuscrit de son recueil de nouvelles, à Banff, avec des professionnels. Que c’est de là qu’il a fait son chemin dans le domaine littéraire. Qu’il a fait bien plus d’argent qu’il ne l’espérait avec sa passion. Il nous précise, peut-être pour mettre en garde les futurs auteurs et autrices dans la salle ou pour nous donner les trucs du métier, qu’il faut négocier les offres des maisons d’édition. Que pour son premier livre, il était prêt à accepter n’importe quelle somme ridicule alors que son travail valait bien plus. Qu’avec l’aide de son agente littéraire, il a pu vendre ses œuvres à leur juste prix. Alors les auteurs n’ont pas des salaires de crève-faim? On peut vraiment composer des textes dans une autre langue?
Ce cours de « littérature » prend une étonnante tournure.
Les ténèbres et la confusion des voix
Puis, il nous parle de sa façon d’écrire. Avec son air sérieux, il affirme entendre des voix, voir des personnes, ressentir des contacts physiques… Il devient spectateur de l’univers de ses personnages, au point de vivre parfois des scènes fictives perturbantes.
C’est ce qui lui est arrivé un jour. L’écrivain-professeur s’est retrouvé dans un petit bureau, collé contre un jeune homme qui discutait avec un second, plus âgé et chauve. Sous le bureau poussiéreux, rempli de vieux dossier, il écoutait leur échange. C’était un soir de février 2001, sa marche extérieure avait stimulé son imagination. La fiction et le réel mêlés, son livre « La Clameur des ténèbres » venait de naître.
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Le lendemain matin, et les cinq jours suivants, la scène « continue de s’écrire », nous dit-il. Ignorant tout de la vie des deux hommes, il nous raconte qu’il a fini par mieux les connaître avec le temps, par l’écriture même. Et qu’il a été bouleversé par la fin de l’histoire. Belle, mais pourtant étrangère à lui.
Neil nous révèle qu’il a « besoin d’écrire pour respirer. » Sinon, ces voix l’accompagnent dans sa tête, toute la journée. Un processus d’écriture sans plan, sans recherches, seulement alimenté par l’écoute des autres. Nous, on l’écoute sans faire un bruit.
Écrire est, selon lui, un « acte d’exploration et de découverte ». Il n’impose rien aux personnages qu’il rencontre, leur offrant la liberté de vivre. Il ne fait que les suivre, leur permettre de « dire ce qu’ils ont à dire ». Bien qu’il soit parfois en désaccord avec eux, avec leurs propos ou leurs gestes, il respecte leur vision sans les juger.
La folie derrière l’écriture
Fascinée, mais ambivalente, j’ai pensé quitter le cours. Est-ce que j’assistais à une manifestation de folie? C’était avant que je commence moi aussi à avoir des «visions», et à entendre des voix. J’ai écrit mon roman en écoutant mon personnage, en la regardant agir. Et j’étais même surprise de la voir aller, choquée par ses faits et gestes qui se déroulaient sous mes yeux. J’en ai discuté avec Neil. Il a ri. Nous n’étions pas fous, après tout!
À travers le discours dominant, celui de Neil Bissoondath détonne et fait du bien. Et si vous le croisez sur le campus de l’Université Laval, il saura vous convaincre que vous aussi, vous avez du talent.
Ce prof-là a changé ma vie et celles de plusieurs de mes collègues. Si son honnêteté, lorsqu’on lui soumet des écrits, peut faire mal, on sait au moins à quoi s’attendre. Mais surtout, son travail se révèle important dans notre parcours universitaire. Il sait et a su redonner confiance à beaucoup de créateurs qui se font trop souvent dire que de se consacrer aux « sciences vacances » ou aux arts, ce n’est pas un avenir. À travers le discours dominant, celui de Neil Bissoondath détonne et fait du bien. Et si vous le croisez sur le campus de l’Université Laval, il saura vous convaincre que vous aussi, vous avez du talent. Ce n’est pas rien.