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Montrer qu’on a de l’argent, est-ce que ça aide à s’enrichir?

Quand l'opulence (apparente ou réelle) attire l'opulence.

Par
Zacharie Routhier
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« Désolé, dans le trafic »

Le message pop sur mon cellulaire alors que je suis assis dans un resto de burgers au coeur du quartier Saint-Henri, à Montréal.. La classe, je sais.

Par la fenêtre, il est possible d’entrevoir la baie vitrée de L’Archive, l’antre de Vintage Frames de la rue Notre-Dame Ouest, qui s’apprête à déménager. Mon burger à demi mangé contraste avec le luxe de l’endroit. C’est la compagnie de lunettes « à l’ancienne » de l’extravagant entrepreneur Corey Shapiro — et c’est d’ailleurs de lui que me provient le message.

Extravagant? Hum, le businessman refuserait probablement ce qualificatif pour se dire plutôt simplement lui-même, sans excuses. Sauf qu’il détonne par défaut. Ses lunettes vintage à fort prix sont portées par toutes les stars du hip-hop et de la pop, de Puff Daddy à Rihanna. Et c’est le genre de gars à saupoudrer ses sushis de gold flakes. C’est d’ailleurs comme ça qu’il a eu l’idée d’en infuser sa crème à raser, ce qui a donné naissance au fameux gold shave à 1000$ du Notorious Barbershop, une autre de ses aventures entrepreneuriales.

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Au Québec, on a peu de ces personnalités d’affaires flamboyantes. Oui, on a bien un François Lambert qui flash son chest en faisant du CrossFit, ou un Guy Laliberté qui s’est payé une île privée en Polynésie il y a 10 ans et y fait maintenant pousser du weed, apparemment.

Et puis, on a Corey qui vit publiquement (il a 200 000 abonnées Instagram) un lifestyle d’opulence lié directement aux couleurs de ses business. Du gros luxe et de l’excentricité over the top, quoi.

Il y en a qui disent qu’il faut s’habiller pour la job qu’on veut et non celle qu’on a. Est-ce que le même raisonnement s’applique à l’argent?

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C’est exactement ce qui m’amène à lui. Il y a quelque temps, mon boss m’a lancé une question : est-ce que flasher son cash aide à devenir plus riche? Après tout, il y en a qui disent qu’il faut s’habiller pour la job qu’on veut et non celle qu’on a. Est-ce que le même raisonnement s’applique à l’argent? Est-ce que mener un train de vie princier (ou, du moins, avoir l’air de le faire), ça aide à faire des gros sous? Après avoir lancé et relancé sociologues, psychologues, profs de marketing, influenceurs et coachs de tout acabit, la réponse demeure floue.

Alors j’ai demandé à Corey.

Les gros jeux plutôt que les gros dollars

L’entrepreneur me DM : il est arrivé à sa boutique, où l’on s’est donné rendez-vous. Je traverse la rue, puis pousse la porte. Le swag de l’endroit me fouette aussitôt le visage. Les lunettes vintage à fort prix sont disposées dans des armoires vitrées, aux côtés de livres d’époque. Je pourrais tout aussi bien être venu me magasiner un grimoire ou une baguette magique.

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Corey est installé à son grand bureau, en plein centre de la boutique. Un power move efficace. Il est vêtu d’un puff jacket doré The North Face et coiffé d’une casquette où est clippé son classique stylo… en or, évidemment. Derrière lui, une bibliothèque déplacée laisse apercevoir un passage vers le backstore de la boutique, décoré de centaines de boombox vintage et de machines d’arcade. À l’intérieur, des employés déménagent tranquillement le stock en vue de l’ouverture de la nouvelle boutique, prévue au printemps, quelques blocs vers l’ouest.

Je devine déjà le côté joueur de l’entrepreneur. Qui d’autre possède un passage secret dans sa boutique? Ou a déjà eu une BMW plaquée (vous l’avez deviné) or?

« Je suis comme un poor kid qui a grandi sans pouvoir se payer de jouets. C’est juste qu’aujourd’hui les jouets sont différents. »

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« Je n’ai jamais possédé la BMW, nuance d’emblée Corey. C’était un prêt sur mesure de BMW. Pour fuck around with it. » La compagnie lui avait proposé de choisir n’importe quel modèle. Il avait alors opté pour une station wagon diesel afin de pouvoir rouler avec ses enfants.

« Il y a un élément de comédie dans tout ça. J’aurais pu être un asshole conduisant une 750 [NDLR : l’une des BMW les plus luxueuses], mais ce n’est pas moi », explique Corey, soulignant l’ironie d’un golden car… format familial.

Alors qui est-il? On ne peut nier que Corey vit la high life — il la documente sans relâche sur son compte Instagram. Mais même s’il ne se cache pas de vivre un mode de vie « hors-norme », il estime que son following ne se nourrit pas de son bling. « Ce qui inspire de mon brand, ce n’est pas ce que je suis capable d’acheter […]. C’est qu’il y a quelqu’un à Montréal qui élève une famille, qui supporte ses business et qui se lève pour faire ce qu’il aime, que ce soit une belle journée ou pas. »

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Et l’une des choses que Corey aime, c’est se marrer. De jouer à ses jeux à grande échelle, comme il dit. « Je suis comme un poor kid qui a grandi sans pouvoir se payer de jouets. C’est juste qu’aujourd’hui les jouets sont différents. Ou pas. Je ne pouvais pas me payer de ninja turtle quand j’étais petit, et maintenant j’en ai une de cinq pieds dans mon bureau. Pour moi, c’est cocasse. »

Qui porte les lunettes?

Force est d’admettre que l’entrepreneur fascine, Rolex ou pas. La semaine dernière, The Gazette réservait notamment une de ses pages aux milliers de sneakers de Corey, et à sa manie de laisser traîner des Nike Air un peu partout sur la planète (après avoir inscrit un message inspirant à l’intérieur).

« Les gens veulent encourager les compagnies derrière lesquelles il y a une personne, une personnalité », lance-t-il. Quelqu’un d’accessible, à qui ils peuvent parler. Sur ce point-là, Corey est irréprochable. Il s’est écoulé à peine 24 heures entre le premier DM que je lui ai envoyé sur Instagram et notre rencontre.

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Le reste, sa vie sur les réseaux, ce n’est que l’histoire derrière les lunettes, estime-t-il. « Si je commence ma journée avec mes enfants et qu’ils sont de bonne humeur, je serai probablement de bonne humeur. Ils vont peut-être dire quelque chose qui va m’inspirer. […] Oui, il y a un aspect publicitaire à tout ça. Mais vous pouvez suivre ce qu’on fait [à Vintage Frames] et voir le résultat en fonction de nos efforts, de notre mood. »

Ça donne l’occasion aux gens de voir le behind the scenes. De savoir s’ils veulent être in or out. Usher, Lady Gaga, Miley Cyrus, Jay-Z, tous ceux-là ont choisi d’être in.

Cette rencontre avec Corey, j’en ai jasé avec Romain Gabriel, directeur ventes et développement chez URBANIA, alors que je lui posais ma fameuse question : est-ce que flasher son cash aide à devenir plus riche? Il m’a répondu avec une anecdote sur l’entrepreneur, qu’il suit depuis quelques années sur les réseaux sociaux.

En 2015, Romain faisait de la photo backstage à Osheaga. Une fourmilière à stars. Et voilà que Corey se présente avec deux malles Louis Vuitton avec, à l’intérieur, des centaines de montures Vintage Frames. Puis, il se met à faire le tour des loges. « À un moment, il est avec Nas. Dix minutes après, je le vois avec Cara Delevigne ou Schoolboy Q. Le mec, il a tout compris! »

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Ce qu’il a compris, c’est les codes de son industrie. Être relaxe, être accessible, être cool. Il emballe ça no big deal dans du Louis Vuitton et voilà que toutes les pop icons portent ses lunettes. « Shout out à Shapiro. Je pense que lui, il travaille son branding personnel pour ne pas passer inaperçu, mais il ne dit pas qu’il possède le marché des lunettes. »

« La richesse, ce n’est pas posséder des objets. C’est la possibilité d’offrir quelque chose qui évoque une émotion, un feeling chez les gens. »

Corey Shapiro aime la couleur or et il vend des produits de luxe. Son lifestyle opulent, qui lui est naturel, sert aussi son branding, même si pour lui, ce n’est pas ce qui attire les gens vers Vintage Frames et Corey Shapiro. « La richesse, ce n’est pas posséder des objets. C’est la possibilité d’offrir quelque chose qui évoque une émotion, un feeling chez les gens. »

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Reste que pour pour te faire ouvrir les cercles des plus grosses vedettes de la planète, ça peut pas nuire d’avoir l’air d’avoir déjà du succès.

C’est quoi nos codes, au Québec?

Un de mes collègues écrivait il y a quelques mois sur notre rapport à l’argent. Le directeur de l’École des médias de l’UQAM, Pierre Barrette, expliquait alors que les racines catholiques des Québécois l’avaient teinté. « L’argent, c’était quelque chose de sale, d’impure, on devait s’en méfier constamment et les gens riches étaient toujours des gens louches. »

Il suffit de regarder du côté de nos influenceurs pour constater que la grande majorité est effectivement loin de faire l’apologie du bling. Pourtant, s’il existe une business du paraître, c’est bien celle-là! On pourrait penser qu’avoir l’air de conclure de bonnes affaires et d’en tirer des bons revenus pourrait amener plus d’argent dans les poches de ces artisans de l’image.

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J’en ai parlé au mannequin, influenceur et nouvel entrepreneur Alex Labbée. Le feed de son compte Instagram, qui cumule 80 000 abonné.e.s, n’a rien d’extravagant. On le retrouve en toute simplicité dans des scènes de sa vie quotidienne — à l’exception de ses quelques clichés en chest.

« Je crois que paraître riche fonctionne mieux aux États-Unis. Là-bas, par exemple, le paraître et l’argent sont extrêmement importants. Des créateurs ont même menti sur leur lifestyle par le passé pour impressionner les gens. »

« Les gens veulent se reconnaître en nous. »

D’après lui, au Québec, on recherche surtout l’authenticité chez nos icônes. « Les gens veulent se reconnaître en nous », dit-il, expliquant que lui-même n’aime pas « flasher », même s’il vient du milieu parfois extravagant de la mode. « Je me contente de peu et les gens apprécient cette simplicité. »

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La personnalité avant l’argent, l’argent dans la personnalité

Évidemment, ça ne veut pas dire qu’on ne désire pas le confort matériel, ou qu’on n’est pas impressionné par ceux et celles l’ayant obtenu. Si le cas de Dan Lok fascine aux États-Unis, ici on a eu droit aux mirages d’Éliane Gamache Latourelle, la « jeune millionnaire » qui avait entraîné dans son sillage bon nombre de personnes souhaitant faire la piasse grâce à ses séances de coaching.

On pourrait dire que, dans ce cas-ci, flasher son cash (fictif?) dans son livre était un élément clé de son pitch de vente (pour les curieux, ça s’achète encore, malgré le scandale!). Mais même là, ses clients disent avoir d’abord été séduits par son aplomb, par son énergie et par son sérieux. Comme quoi, même dans le monde du coaching d’affaires, ça prend plus que l’apparence de richesse pour s’attirer une clientèle.

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Jusqu’où l’argent peut-il nous impressionner? Et inversement, jusqu’à quel point pouvons-nous vouloir impressionner avec notre argent? Cela dépend peut-être du genre de personne qu’on est. J’en ai jasé avec Frankie Bernèche, enseignant de psychologie au Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu, qui a rédigé un texte sur le sujet dans les pages de La Presse.

« Ceux et celles qui ont vécu une enfance plus difficile ont plus de chance de développer un rapport conflictuel à l’argent. »

« D’un point de vue psychologique, notre rapport à l’argent est très lié à nos motivations inconscientes », dit-il. Et celles-ci prennent racine dans notre passé. Selon lui, ceux et celles qui ont vécu une enfance plus difficile ont plus de chance de développer un rapport conflictuel à l’argent.

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Selon lui, par exemple, ceux qui ont manqué d’amour ont plus tendance à dépenser pour faire plaisir aux autres. Ceux qui ne sont pas sentis en sécurité sont davantage portés à économiser. Et les narcissiques, qui ont souvent vécu de l’humiliation, sont du genre à… vouloir flasher leur cash.

Pour un narcissique, l’argent est un outil concret pour montrer sa personnalité — quitte à emprunter afin de paraître riche.

« Ceux-là, leur motivation principale est d’être valorisés, d’être admirés, d’être supérieurs », explique l’enseignant. Ainsi, pour un narcissique, l’argent est un outil concret pour montrer sa personnalité — quitte à emprunter afin de paraître riche.

Et leur tour de magie fonctionne. « Les narcissiques sont séduisants. Quelqu’un qui a beaucoup d’argent, de possessions, de pouvoir, de confiance, de détermination, c’est impressionnant pour monsieur et madame Tout-le-Monde. » Et c’est particulièrement impressionnant pour les autres narcissiques — qui voient la réussite des autres comme un défi à relever — ou ceux qui ont une personnalité plus fragile. Aux yeux de ceux-là, flasher son argent, ça donne une impression de contrôle. C’est rassurant.

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Est-ce pour cela que la recette Trump (un narcissique, selon Frankie Bernèche) fonctionne?

Où est réellement la richesse?

Existe-t-il une réponse définitive à la question « est-ce que flasher son cash permet de devenir plus riche »? Disons qu’il y a pas mal de paramètres à prendre en compte. Mais je crois que mon collègue des ventes, Romain, a dit l’essentiel : ça dépend des codes de ton industrie.

Et si l’on doit admettre que celle du hip-hop (avec laquelle flirt Vintage Frames) trempe dans le gros cash, notons que Corey Shapiro et Alex Labbée sont d’accord sur un point : la recherche de l’authenticité. Corey vous le répéterait : c’est ça, la force de son brand. Son histoire. Les chaînes en or sont des accessoires.

Quoiqu’on puisse quand même l’envier un peu, ce bon Corey. C’est quand même le genre de gars à débarquer chez Diddy à 3h pour la « business ».

« Certaines personnes trouvent ça cool, mais pour moi, c’est aussi cool qu’une personne qui a une job lui permettant de rentrer à 9h le matin, d’en sortir à 17h, et de laisser la job au bureau avec son stylo en partant. Il y a une valeur à ça, une paix d’esprit », remarque l’entrepreneur avec son humilité déconcertante habituelle.

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Comme quoi, la richesse se retrouve peut-être avant tout dans l’œil de celui ou celle qui l’observe.