« Ma mère est très malade. Si je n’ai pas l’argent pour son opération, on ne pourra plus se parler. » Voilà le genre de mensonge que l’on reçoit lorsqu’on est victime de fraude amoureuse. Cela parait assez simple à identifier, comme ces courriels du fameux « prince nigérien » qui a besoin de vos dollars pour vous partager sa fortune.
Maintenant, imaginez que ce message vous a été envoyé par quelqu’un que vous considérez comme un.e ami.e, un.e confident.e ou même un.e amoureux.euse. Les stratégies de ces fraudeurs viennent chercher leur victime droit au cœur.
Alors qu’une bonne partie de la population s’est retrouvée isolée depuis deux ans avec son téléphone ou son ordinateur, il est encore plus nécessaire de rester vigilant.e par rapport à la fraude, mais aussi, de faire preuve de compassion pour ses victimes. Ça n’arrive pas qu’aux romantiques naïfs et aux veuves esseulées, contrairement à ce qu’on pourrait croire.
Un phénomène en expansion
Fraude sentimentale, arnaque amoureuse, stratagème de rencontre, les noms que prend ce phénomène sont multiples. La cofondatrice de la Clinique de cybercriminologie de l’Université de Montréal, Fyscillia Ream, le résume ainsi : « Ce sont des personnes qui utilisent les réseaux sociaux, les sites ou les applications de rencontre pour entrer en contact avec de potentielles victimes. Elles se feront passer pour de potentiels partenaires amoureux pour ensuite demander de l’argent, extorquer ou voler des renseignements. »
Les fraudeurs contactent les victimes et lient une relation amoureuse à distance, échangeant des messages tous les jours et faisant usage de stratagèmes bien éprouvés pour les séduire.
«Les femmes sont plus nombreuses dans les statistiques, car elles ont plus tendance à signaler quand elles sont victimes. De ce qu’on observe, ça touche tout le monde, autant femme qu’homme.»
Une fois la victime en confiance, les fraudeurs prétextent des problèmes financiers, un accident, la maladie d’un.e proche pour demander de l’argent, souvent sous la menace de rompre la relation. Ils peuvent soutirer des photos intimes des victimes et menacer de les publier si celles-ci ne paient pas.
« On voit de plus en plus d’arnaques qui impliquent les cryptomonnaies, précise Fyscillia Ream. On manipule la victime pour qu’elle investisse dans la crypto avant de disparaître. »
Selon le Centre antifraude du Canada (CACF), 64 604 718 $ ont été perdus par des victimes d’arnaques amoureuses en 2021. Ce chiffre représente plus du double du montant signalé en 2020. Si 1928 signalements de fraudes ont été déposés l’année passée, le nombre réel de cas est probablement plus élevé, comme les victimes vivent souvent un fort sentiment de honte qui peut les décourager de porter plainte.
« Personne n’est à l’abri »
On pense que ce sont surtout les femmes qui sont victimes de ce genre d’arnaques. C’est une déformation des statistiques, selon Fyscillia Ream : « Les femmes sont plus nombreuses dans les statistiques, car elles ont plus tendance à signaler quand elles sont victimes. De ce qu’on observe, ça touche tout le monde, autant femme qu’homme. »
Jamais il n’aura été autant utile de faire une petite recherche Google avant de trop s’investir dans une relation à distance!
Les victimes ont majoritairement entre 35 et 45 ans ou plus de 55 ans, mais il est possible d’être visé.e peu importe son âge ou son degré d’aisance avec la technologie. Et ce ne sont pas juste les personnes seules qui sont à risque. « On peut être victime, même si on est bien entouré.e, indique Mme Ream. Le fraudeur va travailler fort pour isoler la personne de son réseau. »
Ce que Fyscillia Ream veut que l’on retienne, c’est que les victimes ne sont pas plus bêtes que n’importe qui. Des représentations connues du phénomène comme le documentaire The Tinder Swindler peuvent nous faire croire qu’à la place des victimes, on ne tomberait pas dans le panneau, mais c’est facile à dire quand on est assis.e sur notre sofa. « Les stratégies des fraudeurs sont extrêmement efficaces, insiste Mme Ream. Personne n’est à l’abri. »
Des dommages au-delà du portefeuille
Les conséquences financières des arnaques amoureuses sont importantes. Cependant, il est possible d’être remboursé.e par son institution financière si on arrive à prouver qu’il y a bien eu fraude. Il n’existe malheureusement pas de telle solution pour les conséquences émotives et psychologiques de la trahison. « On perd d’un coup quelqu’un de qui on est très proche ou même amoureux ou amoureuse, explique Fyscillia Ream. Souvent, ça crée des conflits avec la famille et les amis de qui on s’est isolé. C’est important de soutenir les victimes psychologiquement : elles se sentent coupables ou honteuses de s’être fait prendre. »
Même si son fraudeur ne lui a pas soutiré un sou, Pauline s’était totalement investie dans leur relation. Découvrir la véritable identité de l’homme avec qui elle voulait se marier aura été un choc pour elle, mais qui lui aura permis de sortir grandie de cette fâcheuse expérience. Voici son témoignage:
Comment aider les victimes
Il n’est pas évident de savoir si quelqu’un dans son entourage est aux prises avec une fraude amoureuse, comme les messages s’échangent en privé. Si cette personne dit entretenir une relation avec quelqu’un qu’elle n’a jamais vu ou avec qui elle n’a même pas échangé par téléphone, c’est un signe. Si cette personne éprouve soudainement des difficultés financières ou transfère d’importantes sommes, il y a fort à parier que quelque chose se trame.
Une fois qu’on a un doute, il n’est pas recommandé de confronter la victime directement, avertit Fyscillia Ream : « Il faut traiter cela comme un problème de dépendance. Les fraudeurs instaurent un réel sentiment de relation et les nouvelles technologies font que leur victime est en contact constant avec eux. C’est difficile de briser ce lien et la victime aura tendance à se braquer si on la met brutalement devant les faits. » Certaines victimes sont conscientes qu’elles vivent de la fraude, mais tiennent tellement à la relation qu’elles n’osent pas couper les ponts.
il est possible d’être remboursé.e par son institution financière si on arrive à prouver qu’il y a bien eu fraude
Pour aider un.e proche victime, il faut lui offrir son soutien et tenter de minimiser les impacts financiers de la relation. Lorsque la victime se sentira prête, Fyscillia Ream suggère de l’accompagner vers les recours possibles.
« La police ne peut pas faire grand-chose, surtout lorsque les coupables sont à l’étranger, mais il existe du soutien pour les victimes, même si le phénomène est encore trop peu connu », dit-elle. La Clinique de cybercriminalité de l’Université de Montréal œuvre notamment auprès des Centres d’aide aux victimes d’actes criminels (CAVAC) pour les sensibiliser à cet enjeu qui touche de plus en plus de gens.
Pour prévenir de nouvelles fraudes, elle suggère de toujours demander le plus d’information possible aux gens qu’on rencontre sur internet et de ne leur envoyer aucun renseignement ou photo sensible avant de les avoir rencontrés. Signaler les profils frauduleux, leurs fausses identités, photos volées ou adresses électroniques au Centre antifraude du Canada permet aussi à de futures victimes de s’en sortir avant d’être trop emmêlées dans les filets de leur arnaqueur.
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