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Mon enfant intimide les autres à l’école, je fais quoi? 

Ce n'est pas parce que l'intimidation a lieu dans une cour d'école qu'elle n'est qu'un jeu d'enfant. 

Par
Anaïs Bouitcha
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Selon une enquête québécoise réalisée en 2017 sur la santé des jeunes du secondaire, on apprend que c’est au moins un ado sur 3 qui sera victime d’intimidation à l’école. Cependant, les comportements agressifs entre enfants ne commencent pas à l’adolescence, mais bien plus tôt, soit entre l’âge de 4 et 11 ans, “au moment où l’identité sociale des enfants se forme, à l’école et dans le cadre d’autres activités”, précise le gouvernement canadien. Alors qu’on parle de plus en plus – et à raison – des conséquences du harcèlement sur les enfants qui en sont victimes (repli sur soi, isolement, dépression, pensées suicidaires…), un angle mort persiste : les enfants qui présentent des comportements violents.

Aujourd’hui professeure au département de psychologie de l’UQAM, Stéphanie Boutin s’est spécialisée dans le développement et l’adaptation des élèves en difficultés de comportement afin de pallier ce manque.

“Rien n’est fait pour les agresseurs. C’est un non-sens de toujours travailler à outiller les victimes.”

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« On pourrait plutôt essayer de comprendre les enfants violents, les raisons derrière leur comportement, sans toutefois les cautionner. Mais on est conditionné comme ça : quand un geste est immoral, on tombe dans nos retranchements de vieille école, avec des conséquences, de l’autorité, de la colère. Ce n’est pas ça qui fonctionne », indique la professeure.

Les racines des comportements agressifs sont multiples

Avant de pouvoir parler de prise en charge, il faut d’abord se questionner à savoir d’où peut bien venir la violence d’un enfant de 5 ans. Est-ce entièrement la faute des parents?

« Les racines des comportements agressifs chez les enfants sont multiples. Bien sûr, ils viennent en partie d’un environnement familial inadéquat, au sein duquel l’enfant peut être exposé à une promotion de la violence ou à des agressions quotidiennes. Une famille dysfonctionnelle va empêcher l’enfant de trouver les outils en lui pour régler les conflits de manière pacifique, » nous explique la spécialiste.

Ce n’est cependant pas le cas tout le temps. Parfois, la spécialiste rencontre des enfants dont la famille est parfaitement adéquate, mais où l’enfant démontre tout de même des comportements agressifs. Dans ce cas, d’où peut bien provenir cette agressivité?

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«Il y a aussi des racines psycho-sociales. Par exemple, certains enfants vont utiliser l’agression pour affirmer leur domination ou leur leadership, sans vraiment comprendre les tenants et aboutissants des relations sociales. D’autres, encore, peuvent agir ainsi pour manipuler leurs pairs et, parfois, améliorer leur statut social. Dans ce cas, il s’agit souvent d’élèves un peu plus vieux, dotés d’une forme d’intelligence sociale qui leur permet de conscientiser leurs actions et les conséquences. »

L’âge et le genre en première ligne

Toutes les formes d’intimidation ne sont pas à appréhender de la même manière. Par exemple, Stéphanie Boutin m’explique qu’il faut absolument prendre en compte le niveau de développement de l’enfant : « Le cerveau se développe jusqu’à l’âge de 25 ans, et la gestion de l’impulsivité est l’une des dernières choses qui s’y forme. Ainsi, un geste agressif chez un enfant de 9 ans, qui n’a pas tous les outils nécessaires pour contrôler ses impulsions, est davantage compréhensible que chez un ado dont le développement cérébral est presque achevé. »

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C’est pourquoi on verra davantage d’agressions physiques chez les tout-petits qui fréquentent la maternelle, puis verbales au primaire, au moment où les enfants appréhendent le langage et comprennent que les mots peuvent blesser. À ça s’ajouteront les agressions relationnelles, qui consistent, par exemple, à viser les relations sociales d’une personne pour l’isoler, lorsque ceux-ci acquièrent une intelligence sociale.

Le facteur du genre de l’enfant est primordial. On le sait, notre société patriarcale n’attend pas la même chose des filles que des garçons, et leur assigne des comportements différents. Cela a nécessairement des répercussions sur le type de violence que les enfants vont privilégier.

« Les filles préfèrent les agressions relationnelles, plus difficiles à percevoir. Elles se détournent des agressions physiques et verbales en raison des stéréotypes qui supposent qu’elles ne sont pas violentes. L’agression verbale et physique sera quant à elle presque attendue, voire encouragée, chez les garçons. »

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Dur d’affronter cette réalité en tant que parent

Comment discerner une situation d’intimidation d’une simple chamaillerie de cour de récréation? Avec leurs émotions décuplées, qu’ils sont souvent incapables de maîtriser, pas étonnant que les enfants se vexent, soient en colère ou possessifs.

« C’est ce qui est difficile, pour les parents et le personnel enseignant, qui peinent à discerner les conflits qui peuvent devenir violents des situations d’intimidation, » m’explique Stéphanie Boutin. Celle-ci ajoute qu’une situation d’intimidation se fonde sur trois critères : une conduite intentionnelle agressive, soit la volonté de faire du mal à quelqu’un, un déséquilibre de la force ou du pouvoir, par exemple un élève plus fort sur le plan physique ou plus populaire à l’école, et, enfin, la répétition – même si une victime peut être traumatisée par un seul geste violent.

Le problème, c’est qu’on refuse bien souvent – consciemment ou non – d’affronter cette dure réalité : mon enfant est malveillant envers un ou plusieurs autres enfants qu’il fréquente. Et quand on s’en rend compte, c’est souvent la colère et la déception qui l’emportent. Les parents se sentent démunis, se demandent ce qu’ils ont bien pu rater dans l’éducation de leur enfant, et auront tendance à vouloir punir l’enfant pour le forcer à réfléchir sur son comportement. Stéphanie Boutin, elle, ne croit ni aux punitions, ni à l’autorité mal placée.

« Souvent, les parents n’ont pas les outils nécessaires pour affronter ce type de problème, et punir l’enfant pourrait développer chez lui un sentiment d’injustice, ce qui ne ferait qu’empirer les choses. »

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La solution? Le dialogue. « Demandez-lui pourquoi il a agi comme ça, ce qu’il cherchait à accomplir. Pour lui donner les bons outils pour l’avenir, il faut comprendre pourquoi notre enfant a eu recours à un comportement agressif. Et pour comprendre, il faut écouter. Après avoir écouté votre enfant, il est tout de même important de lui imposer des limites et de lui indiquer clairement que ce comportement n’est pas acceptable et qu’il ne devra plus se reproduire.»

S’il ne faut pas oublier que les comportements agressifs ont des conséquences sur les victimes qui les subissent, il ne faut pas non plus oublier qu’elles en ont sur ceux qui les démontrent : « Un enfant qui intimide cache souvent une grande souffrance. Certains vont tirer des conséquences positives de leur comportement, car ils seront craints et respectés, tandis que d’autres réagissent à un sentiment de colère, d’injustice, de tristesse. Dans tous les cas, les enfants peuvent développer des symptômes anxieux et dépressifs, être rejetés par leurs pairs, avoir des relations conflictuelles, des idées suicidaires, et s’enliser dans une trajectoire délinquante et des conduites sociales dangereuses, » nous dit Stéphanie Boutin.

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Un nouveau plan de lutte axé sur la sensibilisation

De la fermeté et de la compréhension, si je comprends bien. Mais si l’enfant se ferme, se braque, refuse de parler, que doit-on faire? Selon Stéphanie Boutin, il faut alors demander de l’aide. « Les psychoéducateurs, les travailleurs sociaux sont formés à ces enjeux. Le personnel scolaire peut aussi être un formidable levier s’il est formé et à l’écoute. Dans certains cas, vous pouvez aussi vous tourner vers un membre de votre famille si vous avez besoin de soutien, ou de prendre du recul. »

Si, en 2012, une loi visant à prévenir et à combattre l’intimidation et la violence à l’école faisait seulement état de « conséquences » pour l’agresseur, on peut toujours espérer que le nouveau plan de lutte qui vient d’être dévoilé par le ministère de l’Éducation saura remédier à ce manque. En mettant l’accent sur la formation, la sensibilisation et l’éducation à l’empathie pendant l’ensemble du parcours scolaire des élèves, le plan vise un développement de « compétences personnelles, sociales et émotionnelles. »

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