Logo

Mon bac et moi, on s’est laissĂ©s

La rupture scolaire, un vers Ă  la fois.

Par
Jacob Khayat
Publicité

« Comment ça va, le baccalaurĂ©at en cinĂ©ma? » Lorsqu’on me demande ça, je rĂ©ponds vaguement que ça roule, le sourire aux lĂšvres. La rĂ©ponse longue, la vraie de vraie, c’est que mon bac et moi, on s’est laissĂ©s rĂ©cemment. On habite encore ensemble jusqu’en avril, question d’aller jusqu’au bout du bail, mais entre nous, quelque chose s’est brisĂ©. On se vante rarement de ses ruptures : ĂȘtre blessĂ©.e, c’est pas glam.

on s’est fait valser pendant un bout
sur des airs Ă  trois temps
j’en parlais à tout le monde
de son contenu
de son contenant
on s’est oxydĂ©s
en ne prenant plus de nos nouvelles
comme le trémolo de Ginette Reno
on a vacillé tellement longtemps
que ça sentait le grand final
decrescendo lent mais brutal
on s’est quittĂ©s sans ĂȘtre quittes
j’ai à peine eu le temps d’y penser

cri du coeur silencieux
qui tente encore de se convaincre
de son absurdité
de son privilĂšge
de son insolence
Ă  trouver des bibittes
à s’inventer des bobos
j’ai trop fait d’efforts
Ă  entretenir la relation
pour devenir aussi aride
que l’air du mĂ©tro

Publicité

les grandes claques au visage
le ice bucket challenge dans le tapis
on m’a taggĂ© dans les commentaires
je me commets, déplorable et usé
je ne parle plus au-dessus des autres
je n’ai plus rien à dire
Ă  Ă©crire
à créer
Ă  la claire fontaine
m’en allant me faire promener
je n’irai plus me tremper

on exige que je m’assoie
quand c’est debout que je m’exerce le mieux
on me fait bencher sur les bancs d’école
dans ma propre Ă©quipe
mon dossard porte encore les plis du magasin
ne m’en voulez pas si je quitte la salle parfois
on m’a repĂȘchĂ© dans une autre Ă©quipe
on me fait des passes ailleurs
tu vas scrapper ton bac

sous la bureaucratie coupante
les oiseaux ivres n’ont plus d’ailes
scrappés par le cadre
qui n’épelle jamais leur nom
j’apprends des ñmes qui me planent autour
et des restes qu’on oublie derriùre
je perce la beauté sous les cernes
mais je reste sur ma faim
le frigo est toujours vide
quand mon ventre crie le plus fort

mange
prie
aime
ma motivation absente en signe d’ingratitude
la contingence de ma place comme argument de vente
vous Ă©tiez 300, on en a pris 30
je fais partie de l’élite
j’ai gravi les Ă©tages d’une classe supĂ©rieure
dans une forĂȘt de bois franc qui brĂ»le par les racines
ma peau est sauvage
next floor

Publicité

je suintais d’ambition
des gouttelettes Ă  en faire grandir un jardin
mon marathon se déshydrate
le sprint final me fait de l’oeil
j’ai envie d’aller voir ailleurs
mais d’abord la haie d’honneur
qu’on me fasse monter les marches
qu’on me prenne en photo
donnez moi l’or
le bronze
la carte-cadeau chez Renaud-Bray
que j’aille grandir d’amour et d’eau fraüche
à l’ombre des cyprùs

malgrĂ© vents et tempĂȘtes
je prendrai des nouvelles
de mon premier amour
mon bac Ă  moi
effervescence des premiĂšres et derniĂšres fois
stalker son feed Insta
savoir avec qui il pose
avec qui il baise
m’imaginer qu’il a changĂ©
en lui souhaitant le meilleur
Ă  lui
comme Ă  moi

parce qu’on s’est quittĂ©s sans ĂȘtre quittes
et qu’il y a longtemps que je l’aime
jamais je ne l’oublierai