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Mon accent exotique

Par
Marie Darsigny
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Je dis «quwat» quand je suis confuse, je ponctue mes conversations anglos de «non mais» quand je suis trop contrariée, je dis «we’re so fucked» à tout bout de champ, dans les deux langues (ben quoi, ça va mal tout le temps, ok?)

Je vis ma vie à moitié en anglais, à moitié en français. La moitié en anglais: l’université (j’étudie en littérature anglaise et création littéraire à Concordia) et le travail (je travaille au centre-ville avec des collègues anglos). La moitié en français: ma famille (mes deux parents sont francophones) et mes amis (majoritairement francophones).

La semaine passée, à ma job, j’ai appris que j’allais transférer de magasin. Je m’en vais travailler dans une succursale du Plateau. J’ai annoncé mon départ à mes collègues, un par un. Leur réponse, systématiquement: « Hey c’est l’fun, ça va être tellement plus facile pour toi de travailler en français! » (dans la version originale: « Hey that’s nice, it’s gonna be so much easier for you to work in French! ») Euh, quoi? Pardon? À quel moment exactement est-ce que j’ai eu l’air d’avoir de la difficulté à parler en anglais? J’avais envie de leur dire « C’parce que tu parles à quelqu’un qui a eu un A dans un essai de 16 pages sur le sens de la forme et du langage dans les poèmes de Whitman », mais je me suis calmée la vantardise. Semblerait-il que dans leur tête, mon accent veut dire « francophone-qui-parle-dans-sa-deuxième-langue-et-qui-trippe-pas-pentoute-parce-que-les-francos-aiment-pas-les-anglos ».

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Je veux mettre quelque chose au clair: premièrement, je vous aime. Mais surtout: j’adore parler en anglais. J’adore lire en anglais. J’adore écrire en anglais. C’est un choix que j’ai fait, d’apprendre l’anglais comme deuxième langue, parce que je viens d’un milieu qui est résolument 100% francophone. Jusqu’en secondaire 5, le plus que je pouvais dire, c’était sans doute « Can I go to the washroom please? » L’anglais se résumait pas mal juste à une matière obligatoire, comme les maths ou la chimie. Puis, je me suis mise à lire des sites web en anglais, à écouter des films en anglais, à chanter du Alanis Morissette dans le fond du bus en anglais. Un moment donné, on se tanne de ne pas comprendre. Donc j’ai fait des efforts pour améliorer ma compréhension. Bon, c’est sur que j’ai sans doute une facilité pour les langues. La minute que j’ai commencé à vouloir comprendre, c’est pas mal rentré tout seul. Pas de cours parascolaires, pas de Rosetta Stone, même pas écouté Sesame Street avec des sous-titres. Je comprends que je suis chanceuse: ce n’est sans doute pas si facile pour tout le monde.

Vers 17 ans, quand j’ai déménagé à Montréal, j’ai commencé à me faire des amis anglos. Ça aide. T’as pas le choix de te mouiller: des fois tu conjugues des verbes tout croche (I should’ve knew this would happened), tu comprends pas quand ils te disent qu’ils ont bu un forty de bière hier soir (nous, on dirait une quille), mais éventuellement, ça rentre. Puis, un peu plus tard, disons vers 20 ans, j’ai entrepris ce qui allait être une relation longue distance avec quelqu’un de Boston. Wow, là, quand t’es en amour pis que tu veux communiquer, t’as pas le choix d’apprendre vite. Presque aussi vite que Neo dans La Matrice. J’ai tellement plongé dans la culture anglo/américaine, que ç’a sans doute fortement influencé mon choix de délaisser l’UQAM pour aller étudier en anglais.

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Donc. Je suis bilingue. Genre fucking full bilingue.
Mais, car il y a un mais qui demeure tenace: j’ai un accent.

J’admire vraiment mes amis Québécois qui n’ont pas d’accent ni en anglais, ni en français. Vous avez fait comment? Quand est-ce que j’ai oublié de boire le Kool-Aid qui rend parfait dans les deux langues?
Bon, je ne veux pas trop chialer, mon accent n’est pas si prononcé. Mais les anglos les plus perspicaces sauront toujours me démasquer et switcher en français quand je réponds « No I’m just browsing » en entrant dans leur magasin.

Il y a clairement une dimension politique à tout ça. Ici, à Montréal, en tant que Québécoise pour qui l’anglais est la deuxième langue, je serai toujours entre deux gangs. Avec mes amis anglos, je suis la francophone qui mange de la poutine et qui crie « tabarnak » en écoutant Unité 9. Avec mes amis francos, je suis la francophone qui les a trahis, qui choisi d’étudier Joyce au lieu de Proust. Mes deux solitudes personnelles. Mais ça va, je suis ok avec ça. J’ai jamais vraiment trippé sur les gangs anyway. Donc, go on, anglos du Québec, continuez à croire que c’est un effort pour moi de parler votre langue. Mais je vais vous répondre que I fucking like it.

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Et je vais terminer en vous disant un secret: quand je vais aux États-Unis, les Américains trouvent mon accent exotique. Oui oui, comme dans: « OMFG Benedict Cumberbatch est tellement hot avec son accent ». Donc, on est toujours le quétaine du voisin… et l’objet du désir de l’autre voisin. C’est pourquoi je considère présentement aller faire ma maîtrise aux États-Unis, tsé, juste pour enfin entendre: « OMFG Marie Darsigny est tellement hot avec son accent »!