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« Moi, à ton âge! » : la différence entre avoir 30 ans en 1989 et en 2019

C’t’une fois un millénial « au sens aigu des priorités » qui demande à son père boomer de lui prêter de l’argent.

Par
Emilie Collin
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Né en 1989, Sébastien est habitué aux reproches dirigés envers sa génération. Les milléniaux se traînent les pieds, ils pensent qu’on leur doit tout, ils sont en train de ruiner l’économie, tout ce qui leur importe c’est leur compte Instagram et « les expériences ». Bon. Il aurait bien voulu faire rouler l’économie à coup de contrats de travail précaires, mais le cégep où il enseigne l’histoire ne l’a pas embauché cette année.

En janvier, il a plutôt décidé de mettre sa vie professionnelle sur pause pour réaliser un rêve : partir en Inde pour photographier des scènes de la vie quotidienne.

Intellectuel de profession, il est plutôt artiste dans l’âme. Il le sait depuis l’époque où il dessinait des soleils avec des yeux. Maintenant, comme photographe, il parcourt le monde. Son compte Instagram regorge de clichés originaux.

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Une vente de garage où un habitant de Hell’s Kitchen à New York vend sa collection de Hustler.

Un long corridor du métro de Berlin.

Une canne Maxwell House remplie de clopes dans Hochelaga.

Une serviette sanitaire souillée sur une plage de Madrid.

Pour vivres ses passions, il a loadé ses cartes de crédit et il doit de l’argent à son propriétaire, à Hydro-Québec et à son fournisseur de cellulaire.

Pour vivres ses passions, il a loadé ses cartes de crédit et il doit de l’argent à son propriétaire, à Hydro-Québec et à son fournisseur de cellulaire. Il est injoignable entre 7 heures et 21 heures du lundi au samedi, horaire des huissiers qui désirent lui faire payer ses dettes de cartes de crédit. Il a peut-être un peu trop vécu d’expériences pour ce que son compte de banque lui permettait.

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Touché par le vol de données chez Desjardins, on lui a offert la protection Equifax. En consultant sa cote de crédit, Sébastien a découvert qu’elle est médiocre. Un voleur d’identité se mettrait certainement dans la merde en dérobant la sienne.

Il s’est donc converti en déménageur pour l’été, question de renflouer les coffres.

Son père Pierre est cadre chez Revenu Québec. Né en 1959 et digne représentant de sa génération de baby-boomers, il a acheté un bungalow dans le temps où ça coûtait des pinottes. Pierre a récemment vendu et il s’apprête à sortir ses meubles art déco de la maison.

Pour donner un coup de main à son fils, il propose de le payer pour son déménagement. Sébastien lui demande un p’tit bonus en prêt, question de régler quelques dettes urgentes.

Une discussion digne d’un téléroman de Fabienne Larouche suit.

– Seb, plus jeune que toi, j’étais marié avec une job stable, j’avais une maison et ta sœur était née.

– Ta maison valait 75 000$ en 1985 et tu l’as vendue 500 000$. Seul, je peux pas me payer un condo à 300 000$. Parce qu’on est en 2019, ça prend deux salaires pour se payer quelque chose de décent et je ne serais pas resté avec Benoit juste pour ça. La passion était morte entre nous. Posséder une maison à tout prix n’est pas à la même place dans ma liste de priorités que ça l’était pour toi à l’époque.

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– C’est vrai que les maisons coûtent plus cher aujourd’hui, mais dans le temps, je payais des taux d’intérêt beaucoup plus élevés. Si on considère l’inflation, mon hypothèque me coûtait à peu près la même chose qu’en 2019. On savait qu’en investissant dans l’immobilier, on allait y gagner avec l’augmentation de la valeur des propriétés.

Pour amasser une mise de fonds de 20 %, les boomers devaient travailler autour de cinq ans, tandis qu’il faut entre neuf et onze ans pour les milléniaux.

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Sébastien s’empresse de sortir son téléphone de sa poche et google des statistiques pour discréditer son père. Les deux découvrent que la réalité est plus nuancée. C’est vrai que les boomers payaient plus cher en taux d’intérêt, mais la valeur de leur propriété équivalait à environ deux fois leur revenu. Pour les milléniaux, c’est autour de cinq fois. Et pour amasser une mise de fonds de 20 %, les boomers devaient travailler autour de cinq ans, tandis qu’il faut entre neuf et onze ans pour les milléniaux. Ça en fait des chèques de paie (ou des gigs de pigiste) avant de pouvoir acheter une propriété qui n’est pas une maison de rêve pantoute.

Pierre prend la parole :

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– Pourquoi avoir fait une maîtrise en enseignement de l’histoire au collégial? T’aurais pu choisir un domaine en demande. Le Québec est en pleine pénurie de main-d’œuvre, que ce soit en informatique, en ingénierie, dans les transports, les hôpitaux, les services… Ils sont tellement désespérés qu’ils offrent des gros salaires.

– Je ne veux pas être comme toi et faire un travail payant que tu n’aimais pas. À ta sortie des HEC, tu rêvais de partir en affaires, mais tu es devenu fonctionnaire parce que c’était moins risqué.

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– À ma sortie des études, on était en pleine récession. Le taux de chômage était trois fois plus élevé qu’aujourd’hui et il y avait des licenciements partout. Ceux qui restaient devaient accepter des baisses de salaire et de perdre leurs avantages sociaux. J’avais besoin d’un revenu stable, car ta mère était enceinte. D’autant plus qu’avec sa touffe à la Bonnie Tyler, ça nous coûtait une fortune en spray net.

– Maman est donc en partie responsable du réchauffement climatique.

– Vu de même.

– Je veux travailler en fonction de mon identité. Notre génération a choisi de vivre différemment. De toute façon, si j’étais camionneur, on me remplacerait par un pilote automatique sous peu. Même ta job va disparaître. Mais ça tombe quand même bien, car tu prends ta retraite bientôt. Moi, je sais même pas si je serai capable un jour d’arrêter de travailler. Autant profiter de ce que j’ai maintenant, non?

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Pierre finit par céder comme il le fait toujours avec ses enfants. Il sort son chéquier.

Sébastien décide d’utiliser l’essentiel de cette somme pour payer son loyer en retard et créer son portfolio professionnel de photographe. Il compte l’envoyer au Service de sécurité incendie de Montréal. Qui sait? Il pourrait être embauché pour le calendrier des pompiers 2020. Son objectif : faire ressortir la beauté intérieure de chaque pompier en chest.