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#MeTooScolaire : « Les violences sexuelles ne devraient pas faire l’objet de promesses électorales floues »
Avertissement de contenu : violences à caractère sexuel.
C’est avec les émotions dans la voix que Catherine* me raconte l’histoire vécue par sa fille Juliette* alors que celle-ci était en 6e année du primaire. Aujourd’hui âgée de 13 ans et élève de secondaire 2, Juliette paie encore le prix émotionnel de l’agression sexuelle dont elle a été victime il y a un an et demi.
« Un jour, nous avons été mis au courant que notre fille avait subi des attouchements de la part d’un élève de sa classe, raconte la jeune maman. Au départ, Juliette s’entendait bien avec Nathan*, elle le côtoyait à l’extérieur de l’école. Il vit dans notre quartier et ils formaient un petit couple. Au départ, on trouvait ça super cute et on voyait ça d’un bon œil. »
Les parents de Juliette déchantent vite quand on leur annonce que Nathan a non seulement posé des gestes à caractère sexuel outrepassant le consentement de leur fille, mais qu’il a fait vivre la même chose à un autre garçon de l’école.
« On nous a expliqué que Nathan avait posé des actions physiques, mais aussi qu’il tenait des propos sexuellement explicites extrêmement troublants, particulièrement pour un enfant de son âge, relate Catherine. Nous avons rapidement pris rendez-vous avec le directeur. »
Catherine et son conjoint remarquent des changements chez leur fille : troubles du sommeil, perte d’appétit, tristesse, anxiété. Une fois dans le bureau du directeur, accompagnés de la psychoéducatrice et de l’enseignante de Juliette, les parents tombent des nues devant la passivité et l’inaction de l’institution.
«Notre fille a passé le reste de l’année dans la même classe que son agresseur»
« On s’attendait au moins à ce que Nathan soit changé de classe, mais on nous a dit que c’était trop compliqué, surtout que l’année tirait à sa fin, détaille Catherine. Pour nous, c’était hors de question que ce soit notre fille qui change de classe. Les impacts psychologiques étaient assez nombreux comme ça. »
Malgré l’insistance des parents, Nathan n’a jamais été changé de classe et aucune action n’a été posée. En outre, le jeune garçon a continué de se moquer de Juliette, allant même jusqu’à entraîner ses amis dans son manège.
Et maintenant…?
Au fil de son récit, Catherine me confie que Nathan, qui n’a reçu aucune sanction, fréquente désormais la même école secondaire que sa fille.
« Ça jouait un grand rôle sur l’anxiété de Juliette, car elle savait qu’aux termes de son primaire, elle allait potentiellement le croiser à la polyvalente », déplore celle qui a rapidement averti la direction de l’école secondaire qui accueillerait bientôt sa fille. Heureusement, les deux jeunes ne seraient pas dans le même programme et ne partageraient aucun cours. Mais quand même.
entre la moitié et 80 % des agresseurs sexuels adultes ont affirmé avoir commis leur premier acte criminel à l’adolescence.
Pour Catherine, le fait que Nathan ait agressé pas un, mais deux enfants, en plus de la tenue de propos vulgaires et sexuellement explicites dans la cour de récréation, constituent un immense red flag. A-t-il lui-même été agressé? Est-il en contact avec de la pornographie? Récidivera-t-il sous les yeux fermés des institutions scolaires? Deviendra-t-il un délinquant sexuel à l’âge adulte? Les questions sans réponse demeurent. L’inquiétude aussi. Notons toutefois que selon les études (INSPQ, 2017), entre la moitié et 80 % des agresseurs sexuels adultes ont affirmé avoir commis leur premier acte criminel à l’adolescence.
« Puisque les gestes ont été posés alors que Nathan avait moins de 12 ans, il n’y aucune trace de quoi que ce soit nulle part », fait remarquer Catherine, qui admet avoir peur pour l’avenir.
Catherine déplore le manque de courage, d’empathie et d’action de la part de la direction de l’école, qu’elle qualifie de « lâche ».
« Peut-être que ça va s’arrêter là, et tant mieux si c’est le cas, poursuit-elle. Mais si jamais il agresse une ou plusieurs femmes dans quelques années, personne ne pourra retracer le fait que son comportement a commencé à 11 ans. Je ne dis pas qu’il faut écrire “violeur” dans son front au marqueur rouge, mais il me semble que ça devrait être répertorié d’une manière ou d’une autre. »
Alors que les faits allégués sont survenus il y a un an et demi, Catherine déplore le manque de courage, d’empathie et d’action de la part de la direction de l’école, qu’elle qualifie de « lâche ». Pour elle, le personnel n’a aucunement pris ses responsabilités.
« Je pense aussi que ça montre l ’importance des cours d’éducation à la sexualité dans les écoles », conclut-elle.
Est-ce que la voix des jeunes compte?
« La voix des jeunes compte a été fondé en 2018. On milite notamment pour l’adoption d’une loi-cadre dans les écoles primaires et secondaires dans le but de prévenir les violences à caractère sexuel » m’explique d’emblée Youveline, 19 ans, et Sha’Nyce, 18 ans, à propos du collectif qui fait grand bruit dans les médias depuis un an.
Le groupe, formé d’une vingtaine de jeunes femmes âgées de 15 à 21 ans, a vu le jour dans la foulée des mouvements de dénonciation #MoiAussi et #MeToo, pour braquer les projecteurs sur le #MeTooScolaire.
En avril dernier, les membres du collectif ont reçu une médaille honorifique de l’Assemblée nationale. En marge de leurs études et de leurs occupations personnelles, elles consacrent de nombreuses heures à leur mission « pour que les prochaines générations n’aient plus à subir la violence d’un autre, parce qu’elles ont été témoins d’actes inacceptables ou parce qu’elles en ont été les victimes ».
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Le 22 septembre dernier, une quinzaine de jeunes militantes se sont présentées à la maison de Radio-Canada, en marge du débat des chefs, afin d’envoyer un message clair aux leaders des principaux partis politiques conviés.
Selon Statistique Canada, 55 % des victimes d’agression sexuelle au Canada sont des personnes mineures, alors qu’elles ne représentent que 20 % de la population.
« On croit que les membres du gouvernement devraient prendre ça au sérieux et se mettre tous ensemble pour lutter concrètement pour les jeunes au lieu de faire des promesses qui n’aboutissent pas, croient fermement Youveline et Sha’Nyce. On ne connaît pas l’issue des élections [du 3 octobre 2022], mais on croit que les violences sexuelles ne devraient pas faire l’objet de débats ou de promesses électorales floues. Ça devrait être un enjeu prioritaire non partisan. Ça vise quand même la protection de tous les jeunes du Québec. »
Quand je leur demande en quoi elles considèrent que les revendications de La voix des jeunes compte sont essentielles, Youveline et Sha’Nyce attirent mon attention sur une statistique figurant dans le mémoire que le collectif a présenté à la Commission de la culture et de l’éducation en janvier 2022.
« Selon Statistique Canada, 55 % des victimes d’agression sexuelle au Canada sont des personnes mineures, alors qu’elles ne représentent que 20 % de la population. […] Il s’agit d’actes criminels à potentiel hautement traumatique qui nécessitent des interventions immédiates, spécialisées et intégrées », peut-on lire dans le mémoire.
Youveline déplore que malgré les différents scandales survenus récemment dans des établissements scolaires primaires et secondaires, les violences sexuelles à l’école n’ont pas du tout été abordées lors des récents débats. Malgré leurs efforts, Youveline, Sha’Nyce et leurs collègues ne se sentent pas écoutées.
« La présente campagne aurait été une belle opportunité pour les chefs de partis de se prononcer sur la sécurité des jeunes, et même de faire consensus sur la question, maintient Youveline. Il n’y a aucune bonne raison pour eux d’être en désaccord avec nous. L’enjeu de la lutte contre les violences sexuelles dans les écoles devrait transcender les partis. »
Manque de ressources adéquates, lacunes sur le plan de l’éducation à la sexualité, absence de conséquences à la hauteur des gestes des agresseurs : les constats alarmants en matière de violences à caractère sexuel sont nombreux et ne cessent de faire de jeunes victimes. Qui plus est, certains membres du personnel des écoles semblent manquer de connaissances et d’encadrement quand il est temps de prendre certaines décisions.
« Selon moi, c’est absurde de juste renvoyer un élève accusé d’agression sexuelle et de le changer d’école sans suivi, fait valoir Sha’Nyce avec aplomb. L’élève risque juste de recommencer et de faire vivre la même chose à d’autres. »
Si la loi P-22.1, visant à prévenir et à combattre les violences à caractère sexuel dans les établissements d’enseignement supérieur, est en place depuis maintenant cinq ans, aucune loi n’encadre actuellement les écoles primaires et secondaires.
En 2018, la Commission scolaire de Montréal s’est dotée de protocoles d’intervention en matière de violences sexuelles, l’une des grandes fiertés du collectif, dont les dénonciations et les revendications ont influencé ce changement. Mais est-ce suffisant? Poser la question, c’est y répondre.
De lutte et de fierté
« Ma plus grande fierté, c’est de faire partie d’un groupe de filles aussi fort. On continue à porter nos revendications et je suis fière de toutes nous voir grandir et faire nos vies, tout en gardant la même passion et la même motivation qu’à nos débuts, raconte Sha’Nyce, tout sourire. C’est long. Mais on avance. »
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Pour sa part, Youveline souligne le nombre de conférences de presse, de rencontres politiques et de manifestations auxquelles le collectif a pris part. « C’est énorme, et je pense qu’on commence à récolter les fruits de notre travail », fait valoir celle qui, tout comme sa collègue, désire poursuivre son implication sociale et militante dans l’avenir, de manière professionnelle ou non.
En plus de continuer à faire le plus de bruit possible afin de faire adopter une loi-cadre, les membres de La voix des jeunes compte rêvent de rencontrer le ministre de l’Éducation Jean-François Roberge ou celui ou celle qui lui succédera dans les jours qui viennent.
Avant de mettre fin à notre rencontre Zoom, je prends le temps de féliciter Youveline et Sha’Nyce pour leur dévouement, en ayant une pensée chaleureuse pour Juliette et sa mère Catherine. Si l’adolescente n’a pas obtenu le soutien adéquat, j’ose croire que les jeunes qui lui succéderont auront accès à un encadrement plus satisfaisant et bienveillant.
Si, manifestement, la voix des jeunes ne compte pas encore autant qu’elle le devrait, j’espère de tout coeur que le parti qui sera porté au pouvoir lundi entendra enfin les mots de Juliette, Catherine, Youveline, Sha’Nyce et de toutes celles qui prennent courageusement le porte-voix.
Pour soutenir concrètement les actions du collectif La voix des jeunes compte, c’est par ICI.
- *Les prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes concernées.
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