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Une université qui s’apprête à célébrer son bicentenaire, ça en fait des vieux bâtiments. L’éclectisme architectural qui y règne, du style néo-grec au néo-Renaissance en passant par le gothique anglais, témoigne de sa longue histoire. Selon la rumeur, il y aurait même des fantômes sur le campus du Royal Institution for the Advancement of Learning — alias l’Université McGill. (Oui, l’établissement d’enseignement montréalais porte encore officiellement le nom qui lui a été consacré par le monarque britannique George IV en 1821.)
Affrontant ma propre hantise des phénomènes paranormaux, je me suis entretenue avec l’historien Donovan King, fondateur de Montréal hanté pour en savoir plus. Verdict : McGill compterait pas moins d’une douzaine de bâtiments hantés, lui valant le titre de « l’université la plus hantée au Canada » selon l’expert, qui enquête et organise des visites guidées sur les histoires mystérieuses montréalaises depuis 2011.
Des expériences qui ont mal tourné
Situé au pied du mont Royal sur l’avenue des Pins, l’institut Allan Memorial abrite le département de psychiatrie du Centre universitaire de santé McGill (CUSM). Le pavillon principal est d’abord hanté par son histoire : pendant la guerre froide, la CIA y a cofinancé le programme MK-Ultra pour expérimenter des techniques de lavage de cerveau.
Depuis, selon Donovan King, les lamentations des patient.e.s torturé.e.s se feraient entendre dans les corridors, une lueur mystérieuse éclairerait parfois la tour principale et des pleurs d’enfants émergeraient du terrain derrière le bâtiment, qui serait un cimetière secret pour les jeunes cobayes ayant succombé aux tests. « Il s’agit de la seule histoire de fantômes, à ma connaissance, [qui se base sur un fait historique] où il y a réellement eu 300 victimes », dit-il.
Toute cette vraie souffrance est un terreau fertile pour les rumeurs spectrales
« Toute cette vraie souffrance » est un terreau fertile pour les rumeurs spectrales, selon lui. Selon qu’on est plus ou moins enclin.e à croire aux esprits, on peut penser que ces horreurs du passé : a) empêchent les défunt.e.s de reposer en paix ; b) font en sorte que les visiteurs.euses se sentent d’emblée mal à l’aise ; c) toutes ces réponses.
Les fêtes fantomatiques du Cercle universitaire
Un peu plus bas, sur la rue McTavish, le Cercle universitaire — un centre social pour les profs et le personnel mieux connu sous le nom de Faculty Club — connaîtrait aussi son lot d’activités surnaturelles. D’après Donovan King, ce serait carrément l’édifice le plus hanté de McGill, en raison de la diversité des sources et des phénomènes recensés.
« C’est une histoire fascinante, explique-t-il. Le très riche baron Alfred von Baumgarten, un magnat du sucre, a fait construire en 1886 la plus belle maison de toute la ville. Il avait l’habitude d’y accueillir la haute société montréalaise jusqu’à ce que la Première Guerre mondiale éclate : vu qu’il était Allemand, il s’est retrouvé persona non grata et a tout perdu. Il est mort dans le manoir quelques années plus tard, ruiné. »
Selon Donovan King, on y a déjà vu des boules de billard se déplacer toutes seules sur les tables, un piano jouer de la musique sans intervention humaine et des apparitions de femmes évanescentes danser dans la salle de bal ou dans les miroirs.
La rumeur veut que le fantôme du baron occupe toujours les lieux, reprenant ses soirées mondaines depuis l’au-delà. Selon Donovan King, on y a déjà vu des boules de billard se déplacer toutes seules sur les tables, un piano jouer de la musique sans intervention humaine et des apparitions de femmes évanescentes danser dans la salle de bal ou dans les miroirs. Il arrive même que le téléphone du Cercle universitaire appelle d’autres bâtiments du campus en pleine nuit, alors qu’il n’y a personne sur place…
Un spectre à la bibliothèque
Toujours sur la rue McTavish, le sixième étage (précisément) de la bibliothèque McLennan serait également hanté par un ancien propriétaire. Des étudiant.e.s et des bibliothécaires racontent avoir été surpris.es par l’apparition d’un homme vêtu d’un « vieux manteau bizarre ». « Il flotte derrière les gens et leur donne une bonne frousse avant de disparaître, raconte Donovan King. Certaines personnes croient qu’il s’agit de l’homme d’affaires et épicurien Jesse Joseph, dont l’élégante demeure au style Renaissance égyptienne a été démolie pour faire place à l’architecture brutaliste de la bibliothèque des sciences humaines et sociales, un immense bloc de béton aux antipodes de son prédécesseur. » Depuis la désacralisation de sa maison et de son jardin adorés, le fantôme se vengerait en arpentant les rangées de livres pour effrayer les McGillois.es.
Depuis la désacralisation de sa maison et de son jardin adorés, le fantôme se vengerait en arpentant les rangées de livres pour effrayer les McGillois.es.
D’autres pistes à explorer
L’historien a aussi répertorié des phénomènes étranges dans la maison Duggan du département d’éducation et dans l’ancien hôpital Royal Victoria du CUSM, fermé depuis 2015 mais en cours de « réinvention » pour devenir un pavillon consacré à la durabilité et aux politiques publiques. Donovan King se penche aussi sur des histoires au pavillon des arts McCall MacBain, au pavillon Strathcona d’anatomie et de médecine dentaire, à la bibliothèque Schulich, au musée Redpath ainsi qu’au centre des études supérieures David-Thomson.
Sans surprise, l’administration de McGill demeure muette à propos des activités paranormales dont elle serait le théâtre. Pourtant, Donovan King ne croit pas qu’aborder ces sujets ferait fuir les étudiant.e.s potentiel.le.s étant donné que « l’université possède une renommée mondiale, malgré son sombre passé ». Il ajoute qu’« une tonne d’endroits dans le monde profitent au contraire de leurs histoires de fantômes et attirent des gens spécifiquement pour cette raison », par exemple par le biais d’activités pédagogiques, d’événements thématiques ou de visites touristiques.
Une chose est sûre, les ghost busters en herbe trouveront leur compte avec tous les bâtiments qu’il reste à investiguer, toutes les histoires qui demeurent inexpliquées. Les plus facilement traumatisé.e.s — dont je fais partie — se garderont toutefois d’arpenter certains couloirs de l’institution en solo après le coucher du soleil. Et même les plus sceptiques ne pourront s’empêcher d’y voir des airs de Poudlard… Ça compense pour la lettre que vous n’avez jamais reçue.