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Mansplaining dans le milieu du plein air : quand les «conseils» non sollicités s’invitent sur les sentiers

Trois aventurières racontent.

Par
François Breton-Champigny
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« Women in the Backcountry Don’t Need Your Help ». Traduction libre du titre de cet article de Backpacker Magazine : « Les femmes n’ont pas besoin de votre aide dans l’arrière-pays ».

Dans ce texte d’opinion, l’éditrice spécialisée en contenu de survie et hikeuse d’expérience Zoe Gates raconte comment deux hommes ont proposé leur « aide » au trio qu’elle formait avec ses deux amies pendant de fortes averses à l’occasion d’un trek.

Leur offrant d’abord le logis pour se mettre au sec, puis des vêtements chauds, les deux hommes se sont rapidement mis à les sermonner et à les infantiliser parce qu’elles ne portaient pas de pantalons de pluie.

« Je pouvais presque lire dans leurs pensées : les éditeurs qui m’avaient engagée à Backpacker ont sûrement fait une erreur. […] J’étais pourtant une backpackeuse adéquatement préparée pour une sortie avec des amies sur un sentier qui ne me sortait pas du tout de ma zone de confort. Mais pour ces hommes, j’étais une petite fille sans défense qui avait besoin de se faire sauver », poursuit l’éditrice, qui considère que ces interventions en apparence inoffensives pour ceux qui les créent peuvent parfois se traduire comme des « microaggressions » pour les femmes dans le milieu du plein air.

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Comme le phénomène semble s’étendre au-delà des frontières et dans plusieurs univers, comme celui du vélo, on a demandé à trois athlètes de plein air d’ici de nous raconter leurs propres expériences.

Conseils mésadaptés et sexisme latent

Pour les non-initié.e.s, le terme mansplaining est défini dans le Oxford Dictionnary comme « un homme expliquant (quelque chose) à quelqu’un, habituellement une femme, d’une manière condescendante ou paternaliste ».

«J’étais en pleine course et un gars a commencé à me mansplainer sur les bons souliers à avoir alors que j’étais en train de le dépasser…»

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Cette définition, la coureuse et hikeuse de longue distance Charlotte Levasseur-Paquin, qui a brisé un record de vitesse du segment québécois du Sentier international des Appalaches (SIA) récemment, la connait bien. « De l’achat de ton gear à la réalisation de ton sport, il y a tout le temps quelqu’un pour te donner un conseil non sollicité, reconnaît l’athlète dans la vingtaine. À un moment donné, j’étais en pleine course et un gars a commencé à me mansplainer sur les bons souliers à avoir alors que j’étais en train de le dépasser… »

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Elle souligne que les courses sont d’ailleurs des occasions où les hommes se permettent souvent des « conseils » sur la vitesse de croisière qu’elle devrait adopter ou encore la technique à avoir pour des segments plus complexes. « La plupart du temps, ce sont des commentaires qui se veulent bienveillants, mais c’est la manière de les formuler et le contexte dans lequel ils sont formulés qui sont problématiques », croit Charlotte.

La gestion des risques dans des situations d’exploits de longue durée, comme des randonnées de plusieurs jours ou du cyclotourisme, est également un terreau fertile pour les remarques désobligeantes selon elle. « On dirait que pour certains hommes, être téméraire et être une femme ne vont pas de pair. Je me fais souvent demander si j’ai peur de faire ce que je fais étant une femme seule. On me questionne aussi beaucoup sur mon équipement et ma préparation pré-expérience, comme si je ne pouvais pas vraiment savoir de quoi je parle. »

Charlotte donne en exemple la fois où elle voulait se procurer un certain type de téléphone satellite en prévision de son long trek et qu’un commerçant lui a finalement conseillé un autre modèle, prétextant qu’il serait mieux pour ses besoins. Au bout du compte, le téléphone conseillé par le commerçant ne faisait pas du tout l’affaire pour le périple dans lequel la jeune femme se lançait. « J’ai réalisé par la suite qu’il ne m’avait tout simplement pas écoutée et qu’il ne m’avait pas prise au sérieux. Ça aurait carrément pu me mettre en danger d’avoir ce type d’appareil », soutient-elle.

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La photographe de sport et d’aventure et ultra-marathonienne Alexandra Côté-Durrer en a aussi long à dire sur les « gérants d’estrade » dans son milieu. « Ça fait environ une dizaine d’années que je suis dans le domaine de la photographie de plein air et j’ai vite réalisé que c’est très majoritairement un milieu d’hommes », avoue d’emblée la jeune femme basée à Mont-Tremblant.

Elle ajoute qu’il y a encore des préjugés tenaces concernant les capacités des femmes en comparaison à celles des hommes. « Je me suis récemment fait dire par une entreprise qu’elle avait opté pour un photographe homme parce que les conditions de shoot seraient difficiles… C’est ridicule! », s’insurge Alexandra.

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«J’essayais d’expliquer à l’un d’entre eux les challenges et les réalités auxquels font face les femmes dans le milieu et il ne comprenait pas pourquoi c’était important d’en parler».

Même entre collègues photographes, les mentalités tardent à changer. « J’essayais d’expliquer à l’un d’entre eux les challenges et les réalités auxquels font face les femmes dans le milieu et il ne comprenait pas pourquoi c’était important d’en parler. Je me suis dit que ça devait être difficile pour un homme blanc de saisir l’ampleur de la chose puisqu’il n’a jamais vécu ce genre d’inégalité. »

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Tout comme Charlotte, Alexandra a vécu personnellement des expériences sexistes en lien avec la course à pied. Pour elle, les doubles standards se retrouvent même jusque dans les prix accordés aux vainqueurs. « C’est un fait, il y a beaucoup moins d’argent au bout de la ligne d’arrivée pour une femme que pour un homme. Pourtant, c’est la même course avec le même degré de difficulté. Alors pourquoi est-ce qu’une femme devrait gagner moins? »

Une randonnée encore parsemée d’embûches

En vingt ans de carrière dans le milieu du plein air, la guide en tourisme d’aventure et professeure dans le même domaine au Cégep de Saint-Laurent Renée-Claude Bastien considère qu’elle n’a pas eu à se frotter bien souvent à des hommes voulant lui inculquer des « connaissances » contre son gré.

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Par contre, elle n’a pas échappé à quelques incidents sexistes pour autant. « J’ai commencé à travailler en plein air comme conseillère en boutique il y a plusieurs années et j’ai remarqué à quel point la clientèle allait systématiquement plus vers les hommes sur le plancher que vers moi. Ce n’était pas rare non plus que certains d’entre eux me contredisent sur des aspects des produits alors que c’était clairement moi l’experte. »

La guide vétérante confie qu’elle a également dû se « prouver » davantage que ses collègues masculins au début de sa carrière pour se faire une place et être prise au sérieux. « On avait moins de marge de manœuvre comme femmes dans ce milieu-là, donc il fallait redoubler d’efforts et toujours être au top de notre game. »

«On avait moins de marge de manœuvre comme femmes dans ce milieu-là, donc il fallait redoubler d’efforts et toujours être au top de notre game.»

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Néanmoins, elle se considère « chanceuse » d’avoir des connaissances masculines loin de ces stéréotypes aujourd’hui. « Que ce soit dans mes classes ou lors d’expéditions, je côtoie personnellement des gars en or qui ont une réelle ouverture d’esprit en ce qui a trait à la place des femmes dans le plein air. Je ne sens pas de machisme ou de paternalisme de leur part, mais bien une volonté d’aider et d’accompagner les gens dans leurs expériences. »

Bien qu’elle admette qu’il reste encore du chemin à faire pour arriver à une réelle parité dans le milieu du plein air, la professeure estime que les choses sont en train de changer pour le mieux. « Je constate qu’il y a de plus en plus de place pour les femmes, notamment dans des postes de gestion, et une plus grande appréciation de ce qu’elles peuvent apporter. »

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Pour celles qui aimeraient pratiquer des activités en plein air loin du regard des hommes, Renée-Claude conseille de faire affaire avec des organismes comme Les Chèvres de montagne, où elle est elle-même guide. « Veux veux pas, certaines femmes ne se sentent pas à l’aise d’essayer des choses lorsqu’il y a des gars autour. Donc le fait d’être seulement entre femmes leur permet d’explorer sans avoir peur du jugement d’un homme. Beaucoup ressortent de ces expériences plus confiantes et sont prêtes à s’attaquer à de plus gros défis seules. »

Afin d’aller à la source du problème, Alexandra aimerait pour sa part qu’on reconnaisse en tant que société les mécanismes derrière ces mentalités pour espérer changer concrètement les choses. « C’est super qu’on en parle davantage, mais il ne faudrait pas que ça devienne seulement un trend. On doit réellement inclure les femmes dans les processus décisionnels et viser la parité dans toutes les situations qui s’y prêtent. »

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De son côté, Charlotte a un dernier conseil bien simple pour améliorer la situation : « Laissez les femmes faire. Ça va bien aller! »