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Manifeste pour le vélo d’hiver

Trucs et astuces que les années m’ont inculqués.

Par
Jean Bourbeau
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Mon estimée collègue Lucie publiait en novembre dernier un guide de survie pour un premier hiver à vélo à Montréal. J’ai lu son travail avec intérêt, soufflant au même instant les froides bougies d’un onzième hiver sur deux roues. Loin d’être un exploit, ma pratique oscille depuis ses débuts en un équilibre fragile entre plaisir et misère.

Je dois l’avouer d’emblée, la lune de miel est terminée depuis longtemps. Mon vélo et moi formons un vieux couple aigri qui avance, peu importe les conditions, pour le meilleur et pour le pire. N’empêche, malgré nos prises de bec constantes, aucun autre moyen de transport ne lui arrive proche en termes de liberté, de spontanéité, d’économie de temps et d’argent.

J’ai voulu rajouter mon grain de sel au travail de ma camarade par une série de réflexions et de conseils de vieux routier, m’auréolant sans modestie d’une fausse sagesse que j’ose ici vous partager. Libre à vous d’en faire fi, mais j’espère secrètement que les initié.e.s hocheront la tête d’une discrète approbation à quelques endroits.

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En premier lieu, n’ayez pas peur. Rouler dans la neige peut paraître intimidant au premier regard, mais le vélo d’hiver est beaucoup plus facile qu’il ne paraît. Vraiment.

Autant que possible, munissez-vous d’un winter beater, un vélo qui peut encaisser les caprices de la saison. Parce que s’il y a une certitude dans ce bas monde, c’est que l’hiver s’imposera sur votre monture. Le cocktail de sel, de pluie, de gel et de dégel est vorace et se nourrira de la chaîne, du cadre, de la potence, des pédales, de la tige de selle. Bref, tout ce qu’il peut se mettre sous la dent.

D’où l’utilité d’un beater, mais n’allez pas dans le trop magané, parce qu’une poubelle affecte grandement la motivation. Rien de plus déprimant que de monter une côte le vent dans la face sur un cancer rouillé qui menace de s’effondrer. Perso, après deux beaters, j’ai eu l’effronterie de rouler un Marinoni à longueur d’année jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il a finalement rendu l’âme l’été dernier après huit ans de loyaux services.

Si ce n’est pas déjà fait, je vous encourage à essayer le pignon fixe, surtout en hiver. L’absence de dérailleur facilite sa survie, puis avec une paire de straps aux pieds, vous avez la possibilité de skidder (déraper légèrement) sur la neige au lieu de freiner. Un slalom enfantin bien plus agréable sur le tapis glacé que sur l’asphalte estival. Si vous utilisez un frein arrière avec trop d’urgence, ça risque de glisser. Seul un frein avant est nécessaire si vous n’êtes pas trop brakeless.

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Comme le soulignait la plume de Lucie, les garde-boues sont essentiels pour ne pas se transformer au quotidien en monstre des marais. Pour celui à l’avant, on peut même en faire une version maison pour presque rien avec une pancarte électorale et deux tie-wraps.

Certain.e.s prêchent mordicus le port des guêtres, mais depuis que j’ai perdu les miennes dans je ne sais quel party, je m’en tire beaucoup mieux. Certes, mes bas de pantalons sont humides en permanence quatre mois par année, mais l’idée d’installer et de retirer sans cesse ces protections à velcros qui durcissent sous l’effet du sodium m’exaspérait au plus haut point. À chacun ses petites paresses.

Au sujet de l’éternel débat des pneus. C’est très subjectif. Mais pour avoir fait des hivers avec les deux extrêmes – des pneus cloutés haut de gamme et des lisses ThickSlick –, je n’y ai vu, sans blague, aucune différence. Votre adresse se joue surtout entre les deux oreilles et non par la qualité du caoutchouc choisi. Sans oublier que les petits clous font un vilain bruit qui perturbe le calme. À vous de choisir votre camp.

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Pour lutter contre le froid, mettez des couches (des épaisseurs) en gardant en tête que vous allez suer avec abondance. D’ailleurs, habituez-vous à être la personne qui a tout le temps l’air de sortir de la toundra et assumez sans gêne votre côté aventurier en dévoilant le port de la combine même lors de l’intimité.

Vous n’aurez pas le luxe de lire la Pléiade dans la chaleur réconfortante du transport en commun, vous allez plutôt vous geler les extrémités. Ça va arriver. C’est correct. Mon conseil : trouvez-vous des bottes et des gants chauds pas trop chers dans une boutique de linge de construction, par exemple.

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En fait, je dois vous avouer que s’il y a une chose qui m’a toujours irrité avec le vélo d’hiver, c’est la fausse barrière à l’entrée du gear. Sérieusement, vous n’avez pas à dépenser une fortune pour traverser la saison ni être une carte de mode plein air. C’est dit. Habillez-vous comme vous le pouvez en n’oubliant pas d’être visible.

Mais une paire de lunettes de skis facilite grandement la patente par contre. Une simple tombée de neige bucolique prend des allures de blizzard lorsqu’on roule à l’horizontale. Ça tabasse les yeux impossible et des googles gèrent ça sans problème.

Nourrissez votre mercenaire intérieur et chérissez-le. Sans être trop cowboy pour votre propre bien, faites-vous respecter sur la route. N’ayez crainte du klaxon. L’automobiliste est au chaud. Mieux vaut rouler plus près du milieu que sur les côtés. Surtout lorsque la charrue vient de passer.

C’est correct de tomber.

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Je vous le répète en un doux murmure à l’oreille. C’est correct de tomber.

Faut juste pas que ça égratigne trop la confiance. Une porte ou une crisse de fouille, c’est différent. Mais des glissades infortunées risquent d’arriver. Relevez-vous. La confiance reviendra avec un peu de patience et de vigilance.

La liberté de déplacement est une richesse qui justifie amplement cette petite torture insécuritaire.

La glace cachée sous la neige et la glace noire sont vos ennemis premiers. Mais par moment, vous n’aurez pas d’autre choix que de rouler dessus, c’est le moment de tester votre équilibre.

Ça peut paraître contradictoire, mais prenez les rues passantes. Autant que possible. Genre, toujours. Contrairement à l’été, les « petites rues tranquilles » sont les plus dangereuses parce qu’elles sont moins déneigées par le trafic. Je m’en suis souvent voulu.

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Munissez-vous d’un bon cadenas, parce que tôt ou tard, son mécanisme va coincer s’il se fait cheap ou vieux. Il va recevoir des bordées de neige, de la sloche, de l’eau suivie de grands froids. Commencer à le dégeler avec de l’eau chaude est le début d’une spirale infernale. Les mains nues à sacrer, la tentation sera forte, mais faut pas, croyez-moi.

Le réseau cyclable est généralement très bien dégagé. Je le répète; c’est bien plus facile qu’on le croit. Et les rares moments où les conditions sont réellement extrêmes, voyez votre déplacement comme un défi débile à traverser avec le couteau entre les dents. Ne faites pas de vous une victime. Soyez fier ou fière et sale sur votre beau vélo. Célébrez l’inconfort.

Une fois arrivé.e à destination, vous sentirez une pépite de fierté briller en vous. Voyez le vélo d’hiver comme une façon d’aborder la ville de façon ludique. Prenez-vous en photo la face couverte de neige et de morve gelée. Célébrer votre misère en vous rappelant que l’hiver est bientôt terminé.

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Rouler l’hiver, en dépit des nombreux obstacles, c’est aussi s’offrir de petites épiphanies impromptues; le silence de la nuit, le discret bruit des roues qui creusent la neige fraîche, l’effet serein de solitude, les maigres filets de lumières qui percent la grisâtre. Il y a quelque chose de magnifique à témoigner.

Prenez la saison par les cornes. Vous allez voir, quand l’été revient, un sentiment printanier bourgeonnera et chaque déplacement sera d’une ravissante légèreté.

Avec un peu de violence, croyez-moi, l’idée d’échanger le cyclisme contre l’enfer de la voiture ou l’autobus deviendra une idée chaque hiver plus indécente.

Courage, c’est bientôt fini.

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