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Lost in translation

Un titre convenu, un récit qui ne l'est évidemment pas.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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14h au terminal d’Osaka. On vient de flamber nos derniers yens dans les délicieux sushis du 7-Eleven.

Un silence apaisant flotte dans la salle d’attente, où tous les passagers dispersés sont absorbés par leur cellulaire, sauf Victor, en train d’arbitrer une chicane entre ses nouveaux bonshommes Dragon Ball. Sa sœur dessine. On s’apprête à quitter le Japon avec l’impression de ne pas avoir compris grand-chose.

Évidemment, deux semaines ne suffisent pas pour se faire une tête. Faudrait sinon être plein aux as pour s’accrocher les pieds au pays du soleil levant. C’est pour ça que nos attentes étaient assez modestes.

Déjà que depuis mon quasi-trépas en Indonésie, j’hashtag gratitude la vie chaque matin en me levant. Après avoir été trainé de force en Inde, au Sri Lanka et dans d’autres pays où l’eau du robinet n’est pas recommandée, Victor insistait pour clore le volet «asiatique» de notre voyage au Japon.

Déjà que depuis mon quasi-trépas en Indonésie, j’hashtag gratitude la vie chaque matin en me levant.

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C’était sa seule demande spéciale, son nanane. Pour un geek en herbe capable de nommer tous les Pokémons en ordre alphabétique (évolués ou non), le pays de Naruto est la Mecque.

On lui devait au moins ça.

Simone a pour sa part été manipulée comme d’habitude avec toute sorte de produits à base de glucide. Après des mois de négligence, elle a maintenant la même dentition qu’une SDF médiévale durant la peste Noire. Je m’obstine déjà avec Martine pour savoir qui aura le mandat d’aller subir l’opprobre de la docteure Huynh à la clinique dentaire sur Masson en rentrant.

En plus le séjour japonais commençait mal pour moi, avec une nouvelle sonate sur l’opus de mes récents malheurs.

Yep, une damnée gastro s’était invitée à bord du vol-D7522 entre Kuala Lumpur et Tokyo, me forçant à passer cinq des sept heures du trajet en train de gerber dans une des chiottes, même pendant les turbulences. La petite consigne de ceinture avait beau frénétiquement clignoter sa petite lumière comme Jean-Marc Parent en 1996 que je lui faisais des gros fuck you.

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Au début, des gens cognaient à la porte, impatients. Mais après avoir été témoins auditivement des sons gutturaux immondes produits par les tréfonds de ma carcasse, plus personne n’est revenu contester mon accès exclusif au cubicule.

Vidé de mes entrailles, mon premier contact en six mois avec un pays du G7 s’est déroulé dans un quartier populaire de Tokyo, où nous avions loué un Airbnb spartiate : deux petits lits collés, une toilette futuriste avec des fonctions inutiles, un quart de bain et un racoin de cuisine.

«Je comprends le feeling», me texterait sans doute Gandalf, en se remémorant sa première visite chez Bilbo pour manigancer.

Dès le lendemain, et après une courte nuit, nous avons attaqué la capitale nippone.

Saké, Sapporo, Pas le temps de niaiser!

Un spectacle franchement impressionnant, dans une ville où l’agglomération compte 40 millions d’habitants, ce qui en fait la plus populeuse du globe.

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Nous avons commencé par Shibuya, un quartier où se trouve l’intersection la plus achalandée de la planète. Chaque fois que le feu tombe vert, des hordes de piétons envahissent le carrefour, au milieu des immeubles animés. Un spectacle franchement impressionnant, dans une ville où l’agglomération compte 40 millions d’habitants, ce qui en fait la plus populeuse du globe, ex aequo avec les Îles de la Madeleine cet été si je me fie à mon fil Facebook.

Encore amoché par la gastro, on a profité de notre chambre climatisée, dans laquelle une console PS4 et un casque de réalité virtuelle étaient inclus.

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Une nuit de sommeil plus tard, nous étions finalement fins prêts à marcher la ville de long en large. D’autant plus que le retrait de mes points de suture à l’hôpital du quartier s’était bien déroulé, même si j’ai rien compris de ce que le médecin tentait de m’expliquer.

Même l’interprète dépêché en renfort parlait moins bien en anglais que Pauline Marois dans un débat des chefs. Si cette barrière linguistique avait un visage, ce serait celui de ma carte d’hôpital remise à l’accueil.

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Comme personne ou presque ne s’exprime dans la langue d’Eugenie Bouchard, on a ramé pour arriver à se démerder dans les transports en commun. Après quelques trajets, on a fini par comprendre et s’incliner devant leur efficacité.

Si bien qu’après une semaine à se balader dans les wagons et tramways tokyoïtes, je peux affirmer sans détour que la ligne orange du métro de Montréal demeure LA PIRE EXPÉRIENCE EN MATIÈRE DE TRANSPORT EN COMMUN SUR LA PLANÈTE.

Tant qu’à lancer des bonzaïs aux Japonais, saluons aussi la propreté des rues des villes visitées. Pas un mégot, une crotte de chien, ni même un bout de papier sur le sol immaculé ou dans des recoins de ruelles.

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Les fans finis de l’expression «c’est tellement propre qu’on pourrait manger par terre» pourraient se lâcher lousse. D’ailleurs, on n’a pas trop compris ce qu’ils faisaient avec leurs déchets. On n’a pratiquement pas vu de poubelles, ce qui m’a parfois obligé à improviser pour me débarrasser de mes déchets.

Greta Thunberg me jugera.

Au pire, pour rembourser mes dettes à Gaia, je vais planter deux épinettes ou me déplacer uniquement en roller blade en revenant.

Ma légendaire ouverture d’esprit s’arrête justement aux portes de cette capacité à fantasmer sur des cartoons de filles pulpeuses aux cheveux gomme balloune en armure elfique.

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Un de nos principaux objectifs étaient de visiter le quartier Akihabara de Tokyo, LA destination des geeks. D’imposants bâtiments où chaque étage regorge d’artéfacts de la culture manga. Figurines, arcades, jeux, cartes, objets de collections : je n’avais pas vu mon fils heureux de même depuis qu’on a arrêté de l’obliger à s’inscrire au hockey.

Comme il ne s’enlignait pas pour la ligue nationale, on s’est dit à quoi bon.

Jouer pour le plaisir, pfff, belle mentalité de perdants.

Il y avait aussi un énorme attrait pour des produits hentai, ces animés salaces représentant des filles aux formes aussi improbables qu’une participante de l’émission Barmaids.

Ma légendaire ouverture d’esprit s’arrête justement aux portes de cette capacité à fantasmer sur des cartoons de filles pulpeuses aux cheveux gomme balloune en armure elfique.

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On a quand même trouvé le moyen de se faire embobiner dans un spectacle de soubrettes qui faisaient du lipsync sur la même toune en intégrant des mains en cœur dans leur chorégraphie.

On pensait naïvement aller manger un dessert, avant de se ramasser avec des oreilles de lapin obligatoires devant deux sundaes hors de prix. Là encore, quelque chose nous avait échappé.

Je dois avouer avoir moi aussi eu un coup de cœur pour le quartier manga. Avant de devenir le garçon le plus populaire de la rue Orléans (après Pierre-Yves McSween), j’ai connu quelques années scolaires difficiles, durant lesquelles le Super Nintendo et le catalogue Sears Printemps-Été constituaient de précieux refuges.

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J’ai ainsi consacré plusieurs heures de ma vie à sauver le monde en jouant à Final Fantasy.

C’est donc avec une petite larme refoulée que je me suis rendue au siège social de Square Enix, la compagnie derrière la franchise de mon jeu fétiche. Un immense édifice gardé comme une forteresse. Tellement qu’un agent de sécurité au rez-de-chaussée a coupé court à mon pèlerinage. Pas grave, je suis allé déverser ma nostalgie au café thématique juste à côté.

Je sais, j’ai probablement devancé ma rupture avec Martine sur ce coup-là, mais je ne regrette rien. Si elle m’aime, elle devra m’accepter comme je suis, et donc avec MES CRISTAUX MAGIQUES.

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Martine aimerait certainement que je gagne en maturité, que je sois un peu plus comme mon ancien collègue Alexandre, qui se trouvait par hasard à Tokyo avec sa famille et avec qui nous avons partagé 400 dumplings parce qu’on ne comprenait rien d’autre sur le menu.

Intellectuel comme tous les employés de La Presse, Alexandre imposait cruellement des visites de musées et d’édifices gouvernementaux à ses malheureux ados, pendant que mes enfants s’abrutissaient dans des temples dédiés à Pikachu.

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On a quand même eu du mal à quitter Tokyo au bout d’une semaine. On était tombés amoureux de notre quartier, fait de supérettes et bouiboui authentiques.

Ils m’ont lavé les cheveux trois fois, m’ont massé, m’ont épilé les sourcils, les poils de nez, des oreilles et m’ont rasé de prêt à la serviette chaude. En sortant, je ressemblais à Brad Pitt dans Sept ans au Tibet.

Même mon rendez-vous chez le barbier s’est avéré une expérience dépaysante. J’avais décidé de me couper la barbe pour voir combien de mentons j’avais perdus depuis mon départ, sans me douter que j’allais passer presque deux heures sur la chaise du barbier et sa femme. Ils m’ont lavé les cheveux trois fois, m’ont massé, m’ont épilé les sourcils, les poils de nez, des oreilles et m’ont rasé de prêt à la serviette chaude. En sortant, je ressemblais à Brad Pitt dans Sept ans au Tibet.

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Grâce au barbier, j’ai au moins savouré ma première vraie conversation avec un local, grâce à Google translate.

«You must be rich!», qu’il m’a lancé quand je lui disais qu’on était parti en famille pour sept mois.

-Yes sir, mais surtout riche D’AMOUR ET DE BONHEUR.

Cette jasette m’avait au moins redonné foi envers le peuple nippon, que je qualifiais de froid jusque-là.

À ma défense, les deux ou trois spécimens que j’avais essayé d’aborder s’étaient enfuis presque en courant comme si j’étais Godzilla en train de sortir de l’eau fâché noir. D’autres m’ignoraient carrément, comme si j’étais invisible.

Après six mois en Asie où on avait l’impression d’être Marina Orsini à l’épluchette de blé d’Inde annuelle du Cercle de fermières de Sainte-Julienne, disons que le clash était violent.

On a ressenti une étrange solitude durant ces deux semaines, laissés à nous-mêmes dans des places qu’on ne saisissait pas vraiment.

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Ça aurait pu être bien de souffler un peu, après un mois assez intense en Indonésie. Hélas, les enfants sont pas mal tannés et il fallait les trainer de force pour tout déplacement n’impliquant pas une bébelle à la clé. Ok, faut dire qu’on marchait environ 10km par jour à 35 degrés, mais c’était la seule activité qu’on pouvait se payer au Japon.

La vie étant bien faite, je me fais tranquillement à l’idée que rentrer à la maison n’est peut-être pas une mauvaise idée.

C’est mieux qu’une peine de prison à perpétuité pour le double meurtre d’enfants ingrats en tout cas. Je passerais au cash en d’dedans en plus, puisque tous les Japonais sont tous des ceintures noires de karaté sans doute, en plus d’être bons en calcul.

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Kyoto et Osaka complétaient notre séjour au Japon. Le premier, très touristique avec un côté kimono-calèche, fait penser au Vieux-Québec. Le second fut un énième coup de cœur, pour la beauté de ses quartiers populaires et l’extrême gentillesse des gens qu’on y croisait, surtout les plus âgés.

On a vécu une sorte de transe symbiotique avec une poignée d’entre eux dans un petit bar karaoké où j’avais trainé de force ma famille un dimanche après-midi.

J’enfilais les succès anglophones avec Simone pendant que les autres clients, des hommes seuls, enchainaient tour à tour avec des chansons traditionnelles japonaises au comptoir de l’estaminet enfumé.

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Un vrai beau moment et une tradition dominicale ici en plus. Je ne sais pas encore ce que je vais faire en revenant de voyage, mais je sais déjà que je veux finir mes jours en train de scraper Suspicious Minds accoudé au zinc d’une buvette japonaise où on a le droit de fumer en dedans.

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