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Logement social : qu’est-ce que la ville peut faire?
Selon un sondage, le logement est l’enjeu le plus important de la présente campagne électorale municipale de Montréal. Ce n’est pas étonnant lorsqu’on connaît la difficulté de se loger de manière abordable dans la métropole, où les loyers ont augmenté en moyenne de 4,2 % en 2020, la plus forte hausse depuis 2003. Pas moins de 30,8 % des locataires dépensent plus de 30 % de leur revenu pour leur loyer à Montréal, et pour 14,2 % d’entre elleux, c’est plus de 50 %.
Les principaux partis en lice ont dévoilé leurs promesses pour le logement. Des questions demeurent cependant. Est-ce qu’un logement abordable, c’est la même chose que du logement social? La ville a-t-elle le pouvoir de faire construire 60 000 logements?
Est-ce suffisant pour régler le problème? Entre les différents paliers de gouvernement et les lacunes du financement et des programmes provinciaux dont le fonctionnement est critiqué, les obstacles qui freinent les ambitions municipales sont nombreux.
J’en ai discuté avec Véronique Laflamme, porte-parole du Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), question de démêler cette épineuse question.
Les pouvoirs des villes mandataires
Montréal possède des outils particuliers qui lui permettent d’en faire plus pour le logement, mais son champ d’action est limité si on le compare à celui des gouvernements provincial et fédéral, explique Véronique Laflamme. « La limite principale est financière. Le logement est une responsabilité partagée par le fédéral et le provincial, mais Ottawa s’en est beaucoup retiré depuis 1994 », mentionne-t-elle. Incidemment, il ne se construit plus de nouveaux HLM au Québec depuis cette année-là.
Autant la ville peut acquérir des terrains pour en faire du logement social, autant la construction desdites unités dépend du provincial. « Montréal pourrait se doter de son propre programme, mais il va manquer le financement des autres paliers de gouvernement. On pense que c’est tout de même nécessaire vu l’explosion de la demande pour du logement social », déclare la porte-parole du FRAPRU.
«C’est bien de retirer les terrains à la spéculation, après ça, il faut quand même de l’argent de Québec pour développer des projets.»
Les mairies de Montréal et de Québec ont à leur disposition des fonds d’acquisition qui leur permettent d’acheter rapidement des terrains, le droit de préemption leur permettant d’avoir priorité sur des acheteurs privés. L’acquisition de terrain n’est pas l’étape difficile selon Véronique Laflamme : « C’est bien de retirer les terrains à la spéculation, après ça, il faut quand même de l’argent de Québec pour développer des projets. »
Les grandes villes du Québec, soit Québec, Gatineau et Montréal, sont considérées comme des « villes mandataires ». Cela signifie qu’elles ont le pouvoir d’analyser et d’autoriser provisoirement des projets d’habitation ainsi que d’en suivre la construction. L’autorisation finale de tout projet dépend de la Société d’habitation du Québec (SHQ).
Cependant, l’argent alloué par la CAQ depuis 2017 n’est suffisant que pour pallier les projets qui manquent de financement et non pour en créer de nouveaux.
Là où ça bloque (à Québec)
« Actuellement, on observe très peu de volonté politique à Québec sur cet enjeu. On crée 500 nouvelles unités de logement social en 3 ans, alors qu’avant la CAQ, c’était 3000, ce qui était déjà insuffisant », se désole Véronique Laflamme.
Le financement du logement social provient du gouvernement du Québec, avec l’apport de transferts d’Ottawa. Or, comme l’explique la porte-parole, le gouvernement fédéral concentre davantage ses efforts sur le logement abordable (dont le loyer se situe à 90 % de la valeur du marché), ce qui est différent du logement social.
Faute d’investissements plus généreux du gouvernement Legault, l’offre de logement social stagne alors que la demande ne cesse d’augmenter. « On est toujours en mode rattrapage parce que les programmes ne sont pas indexés et les coûts de construction explosent », souligne Véronique Laflamme.
«On crée 500 unités de logement social par année, alors qu’avant la CAQ, c’était 3000.»
Une fois que l’argent est investi, toutefois, la situation ne se règle pas pour autant. Un rapport d’audit du vérificateur général du Québec fait état d’une mauvaise gestion du programme AccèsLogis de la SHQ. Créé en 1997, AccèsLogis permet à des organismes la réalisation de leurs projets d’habitation pour les locataires à moyens modestes ou ayant des besoins particuliers par des subventions et des garanties de prêt.
Dans son rapport, le vérificateur général déplore que la SHQ n’ait élaboré aucune stratégie d’intervention pour permettre de répondre aux besoins prioritaires des populations qu’elle sert, mais aussi un manque de contrôle financier sur les projets qui engendre souvent des dépassements de coûts importants. De plus, le rapport fait état de conflits d’intérêts entre des organismes subventionnés par la SHQ et les groupes de ressources techniques qui effectuent les projets, lesquels ne sont pas encadrés par la SHQ. Le programme AccèsLogis, dans de telles conditions, crée moins d’unités de logement social qu’il ne devrait et le fait en plus de temps.
Avant de construire
Les villes du Québec sont-elles impuissantes devant les besoins criants de logements sociaux à travers la province? Pas si elles agissent à la source du problème, selon le FRAPRU. Ce n’est pas une question d’offre de logement, mais que l’offre soit abordable. « Le problème avec le fait de fixer un loyer abordable à 90 % de la valeur du marché, c’est que la valeur du marché ne cesse d’augmenter et là, ça cesse d’être abordable », explique Véronique Laflamme.
Le Front d’action recommande plutôt de protéger le parc locatif toujours abordable pour éviter que les foyers aient besoin du logement social pour se trouver un toit à la hauteur de leurs moyens : « Lorsque des sociétés d’investissement achètent des logements et augmentent drastiquement le loyer par des rénovictions, ça crée davantage de nouveaux besoins en logement social. » Les villes comme Montréal ont le pouvoir de se doter de règlements pour mieux encadrer les évictions ainsi que de registres des loyers, mais également d’acquérir ces logements pour les sortir de la spéculation.
«Les villes ont du pouvoir, mais si le gouvernement du Québec agissait, ça serait plus simple.»
Par contre, ces mesures ne se comparent pas à un contrôle des loyers appliqué sur toute la province. « Il n’y a pas qu’une crise du logement à Montréal, ce sont des crises du logement à travers tout le Québec, rappelle Véronique Laflamme. Et dans un contexte de crise, les gens ont peur de faire respecter leurs droits. »
En ce moment, il revient aux locataires de s’adresser au tribunal administratif du logement lorsqu’iels jugent une augmentation de loyer abusive. « Si l’indice était obligatoire, ce serait aux propriétaires de faire une demande au tribunal pour augmenter un loyer au-delà de la limite. On changerait le rapport de pouvoir », dit-elle.
Pour qu’il y ait un réel frein aux crises du logement, les municipalités peuvent faire leur part, mais elles devront interpeler le gouvernement provincial pour des programmes structurants plus ambitieux. Véronique Laflamme résume succinctement le cœur du problème : « Les villes ont du pouvoir, mais si le gouvernement du Québec agissait, ça serait plus simple. »