LogoSponsor

L’intelligence artificielle accentuera-t-elle les écarts de classes sociales?

L’automatisation et l’IA créeront beaucoup de richesses. Mais qui aura droit aux fruits de ce labeur?

Par
Billy Eff
Publicité

Quand OpenAI, la compagnie derrière le populaire robot conversationnel ChatGPT, a été fondée en 2015, il y avait quelques balises en place ainsi que des valeurs pour guider l’équipe. Sa mission était de « faire avancer l’intelligence artificielle d’une manière qui bénéficiera l’humanité entière, sans les contraintes de générer des revenus ».

Par crainte que des investisseurs qui cherchent à tirer profit de l’IA ne finissent par corrompre la recherche, il fallait, pour des raisons éthiques, que l’entreprise reste une OBNL indépendante. En effet, le fondateur avait peur 1) que l’IA ne devienne la plus grande menace qu’ait connue l’humanité et 2) qu’une technologie aussi puissante et sans réglementation gouvernementale se transforme en catastrophe capitaliste.

Et en ce sens, difficile de trouver un meilleur exemple que le fondateur d’OpenAI : Elon Musk!

C’est assez rare que je sois du côté d’Elon Musk, mais il a peut-être un point.

Publicité

Ayant eu plein d’idées douteuses qu’il a réussi à financer depuis, Musk n’est plus rattaché à OpenAI depuis plusieurs années et est même devenu l’un de ses détracteurs les plus bruyants.

« OpenAI a été créé pour être une compagnie open source (c’est pourquoi je l’ai appelé “Open” AI), sans but lucratif, qui servirait de contrepoids à Google », a tweeté Musk en février. « C’est maintenant une compagnie à source fermée et à profits maximum, contrôlée dans les faits par Microsoft. »

C’est assez rare que je sois du côté d’Elon Musk, mais il a peut-être un point. Premièrement, nous sommes encore loin d’une réelle intelligence artificielle; même les créateurs de ChatGPT peinent à comprendre pourquoi tout le monde capote pour un outil aussi simple et brut. Deuxièmement, comment fait-on pour s’assurer qu’elle profite à tout le monde sans se ramasser dans un monde où l’on reçoit nos nouvelles, notre assistance médicale ou notre éducation par IA tandis que des gens riches se vantent entre eux d’avoir le meilleur tuteur ou médecin humain?

Publicité

Robotisation vs Automatisation

La force de l’intelligence artificielle, c’est sa rapidité et sa connaissance. Une bonne IA peut en quelques secondes traiter une large quantité de données et vous en faire un résumé dans le style de votre auteur préféré.

C’est pourquoi son utilisation généralisée est bientôt attendue dans des domaines comme ceux du droit juridique, de l’éducation, des services financiers ou encore des soins de santé et, à des degrés variables, en technologie, où elle fait déjà partie de notre quotidien.

Aujourd’hui, grâce à des avancées technologiques et industrielles, l’humain moyen est à 61.8 % plus efficace.

Pensez-y bien : quand l’iPhone est sorti, on ne pouvait même pas s’imaginer à quel point il changerait presque tous les aspects de nos vies. Comme le technophilosophe et entrepreneur Kai Fu-Lee l’explique dans son livre AI 2041: Ten Visions for Our Future, nous avons tendance à surestimer ce qu’une nouvelle technologie peut faire pour nous dans 5 ans, mais à sous-estimer ce qu’elle pourra faire dans 20 ans.

Publicité

Aujourd’hui, grâce à des avancées technologiques et industrielles, l’humain moyen est à 61.8 % plus efficace. Toutefois, le salaire horaire moyen n’a augmenté que d’un peu moins de 20 % et le sommet du classement des gens les plus riches de la Terre est largement peuplé de patrons du secteur de la technologie.

« ILS VOLENT NOS JOBS! »

L’une des grandes craintes sociétales que l’on a, et qui n’est pas infondée, est que les PDG les moins scrupuleux tentent de remplacer leurs employés par des robots et par de l’intelligence artificielle. Et il est vrai que des métiers seront repris par la technologie, devenant donc moins chers et plus efficaces. Si votre job se résume à « pousser du papier », évaluer et approuver des dossiers ou même à assurer le service client par clavardage, je suis désolé, you’re out.

Selon un rapport de la firme McKenzie, seulement 5 % de toutes les jobs sur la planète pourraient être entièrement robotisées ou automatisées. C’est considérable, mais ça reste petit. Par contre, 60 % de toutes les jobs risquent de devenir automatisées à 30 %.

vous pourrez profiter de robots ou d’outils semblables à ChatGPT pour accomplir toutes sortes de tâches plates, répétitives et administratives.

Publicité

Dans les prochaines années, donc, nous commencerons (volontairement ou non) à repenser notre manière de travailler, mais aussi de former, d’enseigner et de conscientiser la nouvelle force de travail. Et si les choses sont bien faites, vous pourrez profiter de robots ou d’outils semblables à ChatGPT pour accomplir toutes sortes de tâches plates, répétitives et administratives, vous laissant du temps essentiel pour vous concentrer sur votre travail.

Pensez par exemple à des employés des GAFAM, à qui les hauts salaires peuvent être attribués en partie au fait que ces compagnies utilisent déjà l’IA comme outil de travail. Et maintenant songez à ce que cela pourrait changer dans le monde de la construction : des matériaux et des pièces imprimées en 3D qui s’imbriquent les unes aux autres comme des LEGO, des drones pour surveiller le chantier ou transporter des outils qui seront eux-mêmes dotés d’intelligence artificielle pour réaliser le travail le plus précis possible.

Une IA (malheureusement) à notre image

Toutefois, on a encore beaucoup à faire pour que l’intelligence artificielle soit vraiment « intelligente ». Les algorithmes sont actuellement aux prises avec ce qu’on appelle un « biais négatif » qui les empêchent de prendre en compte toute la diversité de l’humanité, ce qui peut fausser leurs résultats. En termes simples, on se ramasse avec une IA qui n’a aucun problème à reconnaître le visage d’un homme blanc, mais peine à distinguer le genre de femmes noires comme Oprah ou Serena Williams, les identifiant comme mâle, voire comme « gorille ».

reste que cette industrie, et surtout celle de l’intelligence artificielle, est encore largement dominée par des hommes blancs hétéros.

Publicité

Même le robot conversationnel ChatGPT a des dérives qui, s’il avait été humain, l’auraient cancelled. Par exemple, les blagues racistes et transphobes qu’il a rédigées pour une fausse sitcom générée par IA ou encore, lorsque la version intégrée dans Bing a tenté de convaincre un journaliste du New York Times de laisser sa femme pour être avec lui.

Malgré toutes les avancées sociales dans le monde de la technologie, reste que cette industrie, et surtout celle de l’intelligence artificielle, est encore largement dominée par des hommes blancs hétéros. Les algorithmes qu’ils créent sont donc à leur image.

Une histoire trop prévisible

Le problème que même un être aussi mégalo que Musk a compris, c’est que tant que les motivations pour créer des IA et les rendre toujours plus performantes tourneront autour de la volonté de s’enrichir, ces IA porteront elles aussi cette avidité économique. Et tant que les efforts seront mis sur le fait de créer des robots qui remplacent des humains, de vrais humains perdront leurs emplois tandis que leur argent ira dans la poche de leurs anciens employeurs, mais aussi celle des créateurs de ces robots.

Publicité

Il serait donc plus judicieux de donner à ces IA la mission de créer de nouvelles choses. Sinon, on se ramasse avec une situation comme celle des États-Unis où 70 % des inégalités de classes entre 1980 et 2016 peuvent être attribuées à l’automatisation.

Si on laisse le capitalisme se charger de mettre en place les balises qui régiront l’intelligence artificielle, on sait déjà à quoi le futur va ressembler.

Plusieurs industries que des outils comme l’intelligence artificielle sont censés révolutionner, comme la médecine ou les finances, sont déjà des milieux qui doivent composer avec leurs propres problèmes d’inégalités. Remplacer des humains par une version bootleg IA dont les préjudices n’ont pas été signalés et corrigés peut donc potentiellement devenir dangereux.

Publicité

Si on laisse le capitalisme se charger de consolider les bases qui régiront l’intelligence artificielle, on sait déjà à quoi le futur va ressembler. Option 1: l’IA devient un gamechanger absolu, voire essentiel, mais cher et auquel seuls les mieux nantis auront accès, ou 2) votre cousin chiant et riche passera les prochains Noël à se targuer d’avoir un médecin humain et des enfants qui vont à un collège privé anti-IA, puis vous n’aurez personne à qui en parler jusqu’à votre prochaine session avec un psy IA.

Car, comme le prévenait déjà en 2016 l’expert montréalais Yoshua Bengio, l’intelligence artificielle sera une grande source de richesse… mais pour qui?